mercredi 26 décembre 2007

La cocaïne des peuples


Dans un récent débat consacré à la sémiotique du sacré on était arrivés à un certain point à parler de cette idée qui va de Machiavel à Rousseau, et ailleurs, d'une "religion civile" des Romains, entendue comme ensemble de croyances et d'obligations capable de tenir ensemble la société. Il a été fait remarquer que de cette conception, en soi vertueuse, on arrive facilement à l'idée de la religion comme "instrumentum regni", expédient qu'un pouvoir politique (même représenté de mécréants) utilise pour tenir sages ses propres sujets.
L'idée déjà présente chez les auteurs qui avaient l'expérience de la religion civile des
romains et par exemple Polybe (Histoires VI) écrivait à propos des rites romains que "dans une nation formée de seuls savants(1), il serait inutile de recourir à des moyens comme ceux-ci, mais puisque la multitude est par sa nature changeante et sujette aux passions de tout genre, à l'avidité effrénée, à la colère violente, il n'y a qu'à la retenir avec de pareils apparats et avec de mystérieuses craintes. Je suis pour cela de l'avis que les anciens(2) n'aient pas introduit sans raison auprès(3) de la multitude la foi religieuse et les superstitions sur Hadès, mais que plutôt soient stupides(4) ceux qui cherchent à les éliminer de nos jours... Les Romains, même si maniant dans les fonctions publiques et dans les ambassades quantité d'argent de beaucoup supérieurs(5), se conservent honnêtes seulement par respect au lien du serment; tandis que chez(6) les autres peuples rarement on trouve qui ne touche pas le trésor publique, chez les Romains il est rare de trouver que quelqu'un se tache d'une telle faute".
Si pourtant les romains se comportaient aussi vertueusement à l'époque républicaine, certainement à un certain moment ils ont cessé. Et on peut comprendre pourquoi les siècles après
Spinoza donnasse(7) une autre lecture de l'"instrumentum regni", et de ses cérémonies splendides et captivantes : "Or donc, s'il est vrai que le plus grand secret et le meilleur intérêt du régime monarchique consistent dans le maintien des hommes dans l'illusion et dans le cacher sous le spécieux nom de religion la peur avec laquelle ils doivent être tenus soumis, parce qu'ils combattent pour leur esclavage(8) comme si ce fut leur salut... et il est autant vrai que dans une communauté libre on ne pourrait ni penser ni tenter de réaliser rien de plus funeste" (Tractacus théologico politique).
D'ici il n'était pas difficile d'arriver à la célèbre définition marxienne(9) selon laquelle la religion est
l'opium des peuples.
Mais il est vrai que les religions ont toutes et toujours cette "
virtus dormitiva"? D'opinion nettement différente est par exemple José Saramago qui à plusieurs reprises s'est élevé contre les religions comme source de conflit :"Les religions, toutes, sans exception, ne serviront jamais à rapprocher et réconcilier les hommes et, au contraire, elles ont été et continuent à être cause de souffrances indicibles, de massacres, de monstrueuses violences physiques et spirituelles qui constituent un des plus ténébreux chapitres de la triste histoire humaine" (de La Repubblica, 20 septembre 2001).
Saramago concluait ailleurs que "si tous nous fussions athées nous vivrions dans une société plus pacifique". Je ne suis pas certain qu'il ait raison, mais certainement il semble que indirectement le pape Ratzinger lui ait répondu dans sa récente encyclique Spe salvi(10) où il nous dit que au contraire l'athéisme du XIXéme et de XXéme siècle, même si elle s'est présentée comme protestation contre les injustices du monde et de l'histoire universelle, a fait en sorte que "d'un tel préambule soient suivies les plus grandes cruautés et violences de la justice".
Il me vient le soupçon que
Ratzinger pensait à ces sans dieu de Lénine et Staline, mais oubliait que sur les drapeaux nazis était écrit "Gott mit uns" (qui signifie "Dieu est avec nous") que les phalanges(11) des aumôniers militaires bénissaient les petits gaillards(12) fascistes, que inspiré par des principes très religieux(13) et soutenu par les Guerrilleros(14) du Christ Roi était le massacreur(15) Francisco Franco (excepté les crimes des adversaires, c'est aussi toujours lui qui a commencé), que très religieux(13) étaient les vendéens contre les républicains qui avaient pourtant inventé une Déesse Raison ("instrumentum regni"), que catholiques et protestants se sont allègrement massacrés pendant des années et des années, que ou les croisés ou leurs ennemis étaient poussés de(16) motivations religieuses, que pour défendre la religion romaine se faisaient manger les chrétiens par des lions, que par raisons religieuses ont été allumés beaucoup de bûchers, que très religieux(13) sont les fondamentalistes musulmans, les terroristes des Twin Towers, Ossama et les talibans qui bombardèrent les Boudhas, que par raisons religieuses s'opposent Inde et Pakistan et que enfin c'est en invoquant "God bless America" que Bush a envahi l'Iraq.
Par là me venait de réfléchir que peut-être (si telle la religion est ou a été opium des peuples) plus souvent en a été la
cocaïne(17).
Peut-être l'homme est animal psychédélique.


Notes

1 sapienti savants
2 antichi
3 presso
4 stolto idiot, imbécile
5 di molti maggiori
6 presso
7 subjonctif imparfait de dare
8 schiavitù
9 marxiana
10 "Dans l'espérance nous avons tous été sauvés" dit saint Paul, Epître aux Romains (8, 24)
11 falangi
12
gagliardetti, -etto est un suffixe diminutif
13 religiosissimi
14 da Guerriglieri
15 massacratore
16 spinti da incités, dirigés
17 Per cui mi veniva da riflettere che forse (se talora la religione è o è stata oppio dei popoli) più spesso ne è stata la cocaina.

La bustina di Minerva, du 13 décembre 2007.

dimanche 23 décembre 2007

Demon Dog of American Crime Fiction

"L'Amérique n'a jamais été innocente (...). La nostalgie de masse fait chavirer les têtes et les cœurs par son apologie d'un passé excitant qui n'a jamais existé. Les hagiographes sanctifient des politiciens fourbes, ils réinventent leur geste opportuniste en autant de moments d'une grande portée morale. (...) La véritable trinité de Camelot était : de la Gueule, de la Poigne et de la Fesse. Jack Kennedy a été l'homme de paille mythologique d'une tranche de notre histoire particulièrement juteuse. Il avait du bagou, et arborait une coupe de cheveux classe internationale. C'était le Bill Clinton de son époque, moins l'œil espion des médias envahissants et quelques poignées de lard. Jack s'est fait dessouder au moment propice pour lui assurer sa sainteté. "
(James Ellroy)

*WELTSCHMERTZ: MELANCOLIE

American Dog

James Ellroy (1948-

Né en 1948, James Ellroy (de son vrai nom Lee Earle Ellroy), vit, après le divorce de ses parents en 1954, à El Monte, un quartier modeste de Los Angeles: c'est là que sa mère est assassinée en 1958. Crime encore non résolu, qui hante les premiers romans de James Ellroy.

Après quelques années noires (drogue, alcool, délinquance), il écrit son premier roman à trente ans.

Si l'on décidait qu'un auteur ressemble à son oeuvre et que l'on confondait esthétique et morale, James Ellroy aurait depuis longtemps le FBI à ses trousses. Ses romans dressent en effet un catalogue assez complet des obsessions et des folies les plus dangereuses de notre époque. Flics intelligents et ambigus (Lloyd Hopkins, le sergent héros d'une trilogie, est lui-même obsédé par un meurtre qu'il a commis), tueurs psychopathes, maniaques, pervers, personnages poursuivis par des enfances désaxées ou des crimes atroces, ivres de vertu, de coke ou d'ambition, et en quête de rédemption, tels sont les héros de James Ellroy qui, livre après livre, explore avec pessimisme la pathologie moderne.

Los Angeles est en fait la véritable héroïne des romans de James Ellroy, même s'il ne la décrit jamais en tant que telle: la ville du "Grand nulle part" à l'ombre des studios hollywoodiens, qui ne cesse de se mettre en scène, de se perdre dans la démesure, vision poétique, froide et dangereuse.

Comme Los Angeles, James Ellroy l'écrivain ne vient de nulle part. Aucune référence dans ses livres, aucune "filiation" littéraire apparente. Il dit lui-même ne connaître de la littérature européenne que quelques Maigret, et ne revendique que des lectures très "classiques" pour un auteur de polar: Hammett, McCain. Il reste que Le dahlia noir, White Jazz, L.A. Confidential ou Un tueur sur la route sont d'ores et déjà des classiques, et leur auteur reconnu par des millions de lecteurs comme l'un des plus grands du roman noir.


Liens existants sur James Ellroy:

http://archives.arte-tv.com/static/plokker/ellroy/index_fr.html
http://www.edark.org/
http://www.ellroy.com/

James Ellroy


Extrait de la grande et regrettée émission littéraire: "Un siècle d'Ecrivains".

Pour en savoir plus sur James Ellroy, voir les liens suivants:

http://archives.arte-tv.com/static/plokker/ellroy/index_fr.html.
http://www.edark.org/
http://www.ellroy.com/

lundi 17 décembre 2007

Howard Zinn

"Je peux comprendre que ma vision de ce monde brutal et injuste puisse sembler absurdement euphorique. Mais pour moi, ce que l'on disqualifie comme tenant de l'idéalisme romantique ou du voeu pieux se justifie quand cela débouche sur des actes susceptibles de réaliser ces voeux, de donner vie à ces idéaux.

La volonté d'entreprendre de tels actes ne peut se fonder sur des certitudes mais sur les possibilités entrevues au travers d'une lecture de l'histoire qui diffère de la douloureuse énumération habituelle des cruautés humaines. Car l'histoire est pleine de ces moments où, contre toute attente, les gens se sont battus ensemble pour plus de justice et de liberté, et l'ont finalement emporté - pas assez souvent certes, mais suffisamment tout de même pour prouver qu'on pourrait faire bien plus.

Les acteurs essentiels de ces luttes en faveur de la justice sont les êtres humains qui, ne serait-ce qu'un bref moment et même rongés par la peur, osent faire quelque chose. Et ma vie fut pleine de ces individus, ordinaires et extraordinaires, dont la seule existence m'a donné espoir.
"


Howard Zinn " L'impossible neutralité "

Howard Zinn, historien nord-américain et militant, nous montre que chaque individu est acteur de l'histoire. Il est bon, surtout en cette période où règne un sentiment de désespoir et d'impuissance, de redonner vie au possible en rendant aux hommes la place qu'ils tiennent dans l'écriture de ce que sont les sociétés humaines et de leur devenir.
Non pas une note d'espoir mais une note de lucidité...

Magali

Méditations sur le bonheur


Dimanche 16 mars, 22 h,

Larmon,

histoire de Lancelot.


Lancelot ne comprenait pas ce qui poussait les gens à vouloir transformer un monde qui était à l'image de l'humanité. Plus de bonheur? Mais plus de bonheur pour qui? Et quel bonheur?
Heureux sont les hommes et les femmes de pousser leurs Caddie remplis d'objets multicolores : heureux ils sont de les charger dans le coffre de leur voiture rutilante ; heureux de ranger tout ça dans leurs meubles IKEA ; heureux de s'affaler devant leur télé et de se brancher sur des émissions qui ont pour seul but d'humilier leurs congénères ; heureux de suer dans des campings bondés ; heureux de voir une graisse flottante dégouliner du bout de barbaque qu'ils ont posé sur leur barbecue allumé à l'essence ; heureux de faire plaisir à un patron qui les a épargnés lors du dernier dégraissage de leur entreprise ; heureux de défendre cette entreprise, d'en vanter les produits fabriqués à l'étranger par des sous-esclaves ; heureux de bientôt pouvoir se payer leur retraite, et pas celle du salaud de fonctionnaire qui a passé sa vie à bouffer tout cru le budget de l'Etat ; heureux de pouvoir bientôt se payer leurs médicaments et pas ceux de cet enfoiré de sous-développé mental né dans une famille de pauvres, alcooliques de surcroît ; en un mot heureux d'avoir le droit de suer* pour gagner leur place au soleil sans qu'aucun parasite ne puisse venir leur faire de l'ombre...
Ce qu'ils trouvent dommage, c'est qu'ils manquent d'argent ; ce qu'ils trouvent dommage, c'est que cet argent qui leur manque, on le donne aux fainéants, aux étrangers et aux malades (sauf quand c'est eux qui sont malades) ; ce qu'ils trouvent dommage, c'est qu'on n'exécute plus les tueurs d'enfants blancs - ceux d'enfants thaïlandais morts sous les coups de boutoir de sexes trop énormes pour leurs petits culs, ce n'est pas grave, par ces temps de crise, il faut bien que l'homme blanc se vide la déprime ; ce qu'ils trouvent dommage, c'set que ces exécutions ne soient pas publiques - et pourquoi pas revenir à la pendaison, ça durerait plus longtemps ; ce qu'ils trouvent dommage, c'est de devoir rouler moins vite, moins bourré et moins longtemps ; ce qu'ils trouvent dommage, c'est de ne pas pouvoir tirer sur un salaud qui vient piquer leur lecteur de DVD ou leur voiture ; ce qu'ils trouvent dommage, c'est de ne plus avoir le droit de battre les femmes et corriger les enfants - et même certaines femmes trouvent ça dommage, mais c'est peut-être parce qu'on les a tant détruites qu'elles n'ont plus le courage d'avoir de l'espoir.
Oui, c'est comme ça que Lancelot voyait le monde. Très vite, de sa place de moche, caché derrière sa peau jaune et trouée, il avait pu voir les grimaces les plus laides se dessiner derrière les visages les plus beaux. Pour lui, les gens avaient ce qu'ils voulaient. Ils votaient extrême droite ou libéral pour de vrai, parce que la solidarité, le bonheur des autres, le bien-être général, l'égalité des sexes, la Déclaration universelle des droits de l'homme, de la femme et de l'enfant, l'évolution de l'humanité, la progression philosophique et l'émancipation culturelle, ils s'en foutaient! Si en plus on commençait à leur parler de changer leur mode de vie pour cesser de spolier des négros ou des bougnoules, ce n'était pas la peine. Autant affréter et partir dans l'espace, à la recherche d'autres mondes.
Alors qu'est-ce que des types comme Lars, Max ou Nathan avaient espéré? N'avaient-ils pas eux aussi agi par égoïsme, pour façonner le monde à leur image, sans tenir compte de ceux qui leur étaient différents? Comme les autres, tout pétris de certitudes qu'ils étaient, ils manquaient de poésie, et c'était de cette pénurie de poésie que mourrait le monde, Lancelot en était sûr. De poésie et d'histoires... Et la seule chose qui comptait pour lui, dorénavant, c'était sa vie avec Coralie. Pas celle d'aujourd'hui, celle de demain, qu'il vivrait aussi longtemps que ce monde détraqué le lui permettrait, et au cours de laquelle il inventerait des histoires et les raconterait, inlassablement, pour apporter un peu de poésie à leur existence.

Christian Roux, Les ombres mortes, Rivages/noir, 2005.
*"tuer" s'est substitué à "suer" un cours instant sur la page.

samedi 15 décembre 2007

vendredi 14 décembre 2007

Le beau est laid et le laid est beau?


Hegel avait observé que seulement avec le christianisme étaient entrées dans les représentations artistiques la douleur et la laideur, parce que "on ne peut pas représenter dans les formes de la beauté grecque le Christ flagellé, couronné d'épines..crucifié, agonisant." Il avait tort, car le monde grec n'était pas seulement celui des Veneri(1) en marbre blanc mais aussi celui du supplice de Marsyas(2), de l'angoisse d'Oedipe ou de la passion mortifère de Médée. Mais dans la peinture et la sculpture chrétiennes les visages défigurés par la douleur, même sans arriver au sadisme de Mel Gibson ne manquent pas. Dans chaque cas la difformité triomphe, rappelait toujours Hegel (pensant en particulier à la peinture haute allemande et flamande), quand se montrent les persécuteurs de Jésus.
Maintenant quelqu'un m'a fait observer que dans un célèbre tableau de Bosh sur la passion (conservé à Gand) apparaissent entre autres bourreaux horribles, deux qui feraient pâlir d'envie beaucoup de chanteurs rock et leurs jeunes imitateurs : l'un avec un double "piercing" au menton et l'autre avec le visage tout transpercé de divers bricoles(3) métalliques. Sauf que Bosh voulait de cette façon réaliser une sorte d'épiphanie de la méchanceté (anticipant la conviction lambrosienne(4) que qui se tatoue ou altère son propre corps est un délinquant né), alors que aujourd'hui on peut(5) nourrir des sentiments d'ennui devant de jeunes garçons et de jeunes filles avec la perle sur la langue, mais il résulterait sinon encore(6) statistiquement erroné de les considérer génétiquement tarés.
Si ensuite nous réfléchissons que beaucoup de ces mêmes jeunes s'évanouissent(7) après en face de la beauté classique de George Clooney ou de Nicole Kidman, il devient clair qu'ils font comme leurs parents : lesquels d'un côté achètent automobiles et téléviseurs désignés selon les canons renaissances de la divine proportion, ou affolent les Offices pour prouver le syndrome de Stendhal, et d'un autre côté s'amusent de film "splatter" où la matière cérébrale se réduit en bouillie sur les murs, achètent dinosaures et autres petits monstres à leurs petits enfants, et vont jusqu'à admirer l'happening d'un artiste qui se tranche les mains, se tourmente les membres ou se mutile les organes génitaux.
Tant les pères que les fils ne restent pas réfutant chaque commerce du beau(8), choisissant seulement ce qui dans les siècles passés était considéré horrible. Cela arrivait jamais par hasard quand les futuristes, pour étonner le bourgeois, proclamaient "nous faisons courageusement du laid en littérature", et Palazzeschi (en Il controdolore de 1913) proposait, pour éduquer sainement les enfants à la laideur, de leur donner, comme jouets éducatifs, "marionnettes bossues, aveugles, gangréneux, estropiés, phtisiques, syphiliques, qui mécaniquement pleurent, crient, se plaignent, viennent assaillis d'épilepsie, peste, choléra, hémorragies, hémorroïdes, écoulements, folie, râlent, s'évanouissent, meurent." Simplement aujourd'hui on jouit dans certains cas du beau (classique), et on sait reconnaître un bel enfant, un beau paysage ou une belle statue grecque, et dans d'autres cas on retire du plaisir par ce qui hier était vu comme insupportablement laid.
Mieux, parfois on élit le laid comme modèle d'une nouvelle beauté, comme accord avec la "philosophie" cyborg. Si dans les premiers romans de Gibson (William cette fois, et on voit que "nomina sunt numina*") un être humain dont les divers organes étaient substitués par des appareils mécaniques ou électroniques pouvait encore représenter une inquiète vaticination(9), aujourd'hui quelques féministes radicales proposent de supprimer les différences sexuelles à travers la réalisation de corps neutres, post-organes ou "trans-humains", et Donna Haraway lança comme slogan "je préfère être cyborg que déesse".
Selon certains cela signifie que dans le monde post-moderne s'est dissous une quelconque opposition entre beau et laid. Il ne s'agirait pas néanmoins de répéter avec les sorcières de Macbeth, "le beau est laid et le laid est beau". Les deux valeurs se seraient simplement amalgamées perdant leurs caractères distinctifs.
Mais est-ce vrai? Et si certains comportements de jeunes ou d'artistes fussent(10) seulement des phénomènes marginaux, célébrés par celles qui sont en minorité par rapport à la population de la planète? A la télévision nous voyons des enfants qui meurent de faim réduits à un squelette au ventre gonflé, nous apprenons des femmes violées par les envahisseurs, nous savons des corps humains torturés, et d'autre part ils nous tournent continuellement devant les yeux les images pas si lointaines(11) d'autres squelettes vivants destinés à une chambre à gaz. Nous voyons des membres déchirées à peine hier par l'explosion d'un gratte-ciel ou d'un avion en vol, et nous vivons dans la terreur que cela puisse demain arriver aussi à nous. Chacun sent très bien que ces choses sont laides, et aucune conscience de la relativité des valeurs esthétiques ne peut nous convaincre à les vivre comme objet de plaisir.
Peut-être alors cyborg, splatter, La Chose qui vient d'un autre monde, et les "films catastrophes" sont des manifestations de surface, enfantées par les mass média, à travers lesquels nous exorcisons une laideur bien plus profonde qui nous assaille(12), nous terrifie et que nous voudrions désespérément ignorer, faisant semblant que tout soit par comédie(13).


Notes

1 les Veneri sont (approximativement) des représentations sculpturales de déesses mères.
2 le supplice (l'écorché et jeté sa dépouille dans une grotte) infligé par Apollon le punissant de sa démesure (hubris).
3 ammennicoli bricoles, babioles.
4 Cesare Lombroso (1835-1909) était un professeur de médecine légale italien, dont l'ouvrage maître L'homme délinquant, qui influence aujourd'hui jusqu'aux plus hautes spères de l'Etat français, affirmait l'innéité de la criminalité et son repérage par certaines caractéristiques crâniennes. Notons qu'au Congrès d'Anthropologie criminelle de Rome (1895), son principal opposant était un anthropologue français Lacassagne.
5 si possono
6 se non altro
7 vanno in deliquio
8 non stanno rifiutando ogni commercio con il bello
9 vaticinio oracle, prophétie
10 fossero
11 non molto remote
12 che ci assedia qui nous assiège
13 facendo finta che tutto sia per finta
*"les noms sont des présages".

Cette bustina di Minerva est parue dans "L'espresso" du 14 septembre 2006 et son auteur est Umberto Eco.

jeudi 13 décembre 2007

Cheveux dans l'air

http://www.youtube.com/watch?v=6rgt5hzMvCI

Demain à 14h, il y aura une conférence sur le code vestimentaire en Iran à la Maison Méditerranéenne des sciences de l'homme. J'en profite pour vous montrer ce clip, que j'aime bien, et son actrice. Elle est obligée de contourner les lois imposées par l'état pour réussir le clip. C'est exactement pour cela que l'actrice ressemble si étrangement à toutes ses jeunes compatriotes qui font la même chose pour se faire un espace vivable. Regardons "Zolf bar bâd" qui veut dire "cheveux dans l'air" (chanteur: Mohsen Namjoo, poème: Hafez de Shiraz)

lundi 10 décembre 2007

Mandorla (Paul Celan)

Todesfuge (Paul Celan)


Todesfuge

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends
wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
er schreibt es und tritt vor das Haus und es blitzen die Sterne er pfeift seine Rüden herbei
er pfeift seine Juden hervor läßt schaufeln ein Grab in der Erde
er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich morgens und mittags wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
Dein aschenes Haar Sulamith wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng

Er ruft stecht tiefer ins Erdreich ihr einen ihr andern singet und spielt
er greift nach dem Eisen im Gurt er schwingts seine Augen sind blau
stecht tiefer die Spaten ihr einen ihr andern spielt weiter zum Tanz auf

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags und morgens wir trinken dich abends
wir trinken und trinken
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith er spielt mit den Schlangen
Er ruft spielt süßer den Tod der Tod ist ein Meister aus Deutschland
er ruft streicht dunkler die Geigen dann steigt ihr als Rauch in die Luft
dann habt ihr ein Grab in den Wolken da liegt man nicht eng

Schwarze Milch der Frühe wir trinken dich nachts
wir trinken dich mittags der Tod ist ein Meister aus Deutschland
wir trinken dich abends und morgens wir trinken und trinken
der Tod ist ein Meister aus Deutschland sein Auge ist blau
er trifft dich mit bleierner Kugel er trifft dich genau
ein Mann wohnt im Haus dein goldenes Haar Margarete
er hetzt seine Rüden auf uns er schenkt uns ein Grab in der Luft
er spielt mit den Schlangen und träumet der Tod ist ein Meister aus Deutschland

dein goldenes Haar Margarete
dein aschenes Haar Sulamith

(Paul Celan, 1952)

Blume (Ute Lemper)

(Paul Celan-Michael Nyman) interp. Ute Lemper

Blume

Der Stein
Der Stein in der Luft, dem ich folgte
Dein Aug, so blind wie der Stein

Wir waren
Hände,
wir schöpften die Finsternis leer, wir fanden
das Wort, das den Sommer heraufkam:
Blume

Blume - ein Blindenwort
Dein Aug und mein Aug:
sie sorgen
für Wasser

Wachstum
Herzwand um Herzwand
blättert hinzu

Ein Wort noch, wie dies, und die Hämmer
schwingen im Freien

(Paul Celan)

Langsamer Satz (Anton Webern)

Anton Webern (1883-1945) Compositeur et chef d'orchestre autrichien. Un des premiers élèves d’Arnold Schönberg, il appartient au premier cercle de la seconde école de Vienne. Au début du XXe siècle il délaisse la tonalité. Vers 1920 — presque en même temps que Schönberg — Webern remplace la libre atonalité par la technique plus stricte du dodécaphonisme. À partir de ce moment, la musique de Webern se concentre vers une organisation totale des sons non seulement d'après leurs hauteurs mais également d'après leurs durées.

Le syndrome du complot


Il a été aujourd'hui traduit en italien le livre de Kate Tuckett, Cospirazioni. Trame, complotti, depistaggi, e altre inquietanti verità nasconte (Castelvecchi, pp. 260, 14 euro), et dans une critique du Corriere della sera Ranieri Polese déplorait qu'elle s'occupe d'une grande quantité de conspirations présumées, des Templiers à la mort de Mozart, de l'assassinat de Kennedy à la mort de Lady Diana, des "vérités" sur le 11 septembre aux pseudo mystères christologiques dévoilées par Dan Brown dans le Da Vinci Code, mais oublie peut-être le plus grand exemple de construction d'un complot mondial, les tristements célèbres(1) et archi-faux(2) "Protocoles des sages de Sion".

L'absence est irritante et vaudrait la peine que Einaudi réimprime de nouveau le vieux(3) Licenza per un genocido de Norman Cohn, qui sur l'histoire du pseudo complot juif avait écrit en 1967 des choses définitives -même si toujours chez Einaudi a été publié en 2005 Il complotto de Willy Eisner, qui raconte la même histoire en bande dessinée(4) (mais ce n'est pas un livre à rire, mais plutôt à pleurer).
"Protocoles" exceptés, le syndrome du complot est aussi vieux que le monde et qui en a tracé de façon superbe la philosophie a été Karl Popper, dans un essai sur la théorie sociale de la conspiration qui se retrouve dans Congetture e refutazioni *(Il Mulino, 1972). "Cette(5) théorie, plus primitive que beaucoup de formes de théisme, est semblable à celle relevable dans Homère. Celle-ci(6) conceptualisait le pouvoir des dieux de façon que tout ce qui arrivait sur la plaine devant Troie constituait seulement un reflet des multiples conspirations tramées dans l'Olympe. La théorie sociale de la conspiration est en effet une version de ce théisme, de la croyance, c'est à dire, en une divinité par lesquels caprices ou volontés gouvernent toutes choses. Elle est une conséquence du venir moins(7) de la référence à dieu, et de la conséquente question : "Qui y-a-t-il à sa place?". Cette dernière est maintenant occupée par différents hommes et groupes puissants -sinistres groupes de pression, dont on peut imputer d'avoir organisé la grande Dépression et les malheurs dont nous souffrons... Quand les théoriciens de la conspiration parviennent au pouvoir, elle assume le caractère d'une théorie décrivant des évènements réels . Par exemple, quand Hitler conquit le pouvoir, croyant dans le mythe de la conspiration des Sages Anciens de Sion, il chercha de ne pas être inférieur avec sa propre contre-conspiration(8)."
La psychologie du complot naît du fait que les explications les plus évidentes de nombreux faits préoccupants ne nous satisfont pas, et souvent ne nous satisfont pas parce qu'on nous les fait mal accepter. On pense à la théorie du Grande Vecchio(9) après l'enlèvement de Moro : comment est-il possible, on nous demandait, que des trentenaires aient pu concevoir une action aussi parfaite? Il doit y avoir derrière un cerveau plus avisé. Sans penser qu'en ce moment d'autres trentenaires dirigeaient des entreprises, guidaient des jumbo jet ou inventaient de nouveaux dispositifs électroniques, et donc le problème n'était pas comment jamais des trentenaires avaient été(10) capable de ravir Moro sur la via Fani, mais que ces trentenaires étaient fils pour qui fabulait à propos du Grande Vecchio(11).
L'interprétation soupçonneuse en un certain sens nous absout de nos responsabilités parce qu'elle nous fait penser que derrière ce qui nous préoccupe se cache un secret, et que l'occultement de ce secret constitue un complot à nos dépends(12). Croire dans le complot est un peu comme croire qu'on guérit par miracle, sauf qu'en ce cas on cherche à expliquer non une menace mais un inexplicable coup de chance (vois Popper, l'origine est toujours dans le recours aux mains des dieux).
Le plus beau est que, dans la vie quotidienne, il ne vous est rien de plus transparent que le complot et le secret. Un complot, si efficace, avant ou après crée ses propres résultats et devient évident. Et ainsi des possibilités(13) du secret, qui non seulement vient d'habitude à être révélé par une série de "gorge profonde" mais, n'importe quelle chose se relate, s'il est important (soit la formule d'une substance prodigieuse ou une manoeuvre politique) avant ou après vient à la lumière. Complots et secrets, s'ils n'arrivent pas en surface, ou étaient des complots maladroits, ou des secrets vides. La force de qui annonce posséder un secret n'est pas de cacher quelque chose, c'est de faire croire qu'il y a un secret. En ce sens secret et complot peuvent être des armes efficaces dans les mains de qui ne vous croit pas.
Georg Simmel dans son célèbre essai sur le secret rappelait que "le secret confère à qui le possède une position d'exception... Il est fondamentalement indépendant de son contenu, mais certainement est d'autant plus efficace que sa possession est vaste et significative... En face de l'inconnu l'impulsion naturelle à l'idéalisation et la peur naturelle de l'homme coopèrent ensemble à la même fin : intensifier l'inconnu à travers l'imagination et le considérer avec une intensité que d'habitude n'est pas réservée aux faits réels évidents(14)." Conséquence paradoxale : derrière chaque faux complot, peut-être se cache toujours le complot de quelqu'un qui a intérêt à nous le présenter comme vrai. Vois Scaramella.



Notes
1 famigerati notoire
2 falsissimi
3 vecchio ancien
4 fumetti
5 detta teoria la théorie dont il a été mentionnée ci-dessus
6 questi
7 del venir meno le recul, le déclin
8 di non essere da meno con la propria contro-cospirazione
9 Grande Vecchio
10 fossero stati
11 di chi à qui, pour qui
12 ai nostri danni à nos dépends
13 dicasi
14 alle realtà evedenti

Le texte original est paru dans L'espresso du 8 février 2007. Son auteur, Umberto Eco, y tient une chronique, "La Bustina di Minerva".

jeudi 6 décembre 2007

Où est Gorge profonde?


Comme il est connu sur le 11 septembre circulent de nombreuses théories du complot. Il y a celles extrêmes (qui se trouvent sur les sites fondamentalistes arabes ou néo nazis), pour lesquelles le complot aurait été organisé par les juifs et tous les juifs qui travaillaient aux deux tours auraient été avertis le jour précédent de ne pas se présenter au travail -pourtant il est connu qu'environ 400 citoyens israéliens ou juifs américains étaient parmi les victimes; il y a les théories anti-Bush, pour lesquelles l'attentat aurait été organisé pour pouvoir ensuite envahir l'Afghanistan et l'Iraq; il y a celles qui attribuent le fait à plusieurs services secrets américains plus ou moins tordus(1); il y a la théorie que le complot était arabe fondamentaliste, mais le gouvernement américain en connaissait d'avance les détails, sauf qu'il a laissé les choses aller(2) dans leur sens pour avoir ensuite le prétexte pour attaquer l'Afghanistan et l'Iraq (un peu comme il a été dit de Roosevelt, qui fut dans la confidence de l'attaque imminente sur Pearl Harbor mais ne fit rien pour mettre à l'abri sa flotte parce qu'il avait besoin d'un prétexte pour débuter la guerre contre le Japon) ; et il y a enfin la théorie par laquelle l'attaque a été dû certainement aux fondamentalistes de Ben Laden, mais les diverses autorités préposées à la défense du territoire étatsunien ont réagi mal et en retard amenant la preuve d'une incompétence horrible(3). Dans tous ces cas les partisans d'au moins un entre ces complots(4) retiennent que la reconstruction officielle des faits est fausse, malhonnête et puérile.
Qui veut avoir une idée en ce qui concerne ces différentes théories du complot peut lire le livre de Giulietto Chiesa et Roberto Vignoli, "Zero. Perché la versione ufficiale sull'11/9 è un falso", edizioni Piemme, où apparaissent quelques noms de collaborateurs de tout respect comme Franco Cardini, Gianni Vattimo, Gore Vidal, Lidia Ravera, plus de nombreux étrangers.
Mais qui voudrait écouter la campagne contraire remercie les edizioni Piemme parce que, avec une admirable impartialité (et donnant la preuve de savoir conquérir deux secteurs opposés du marché) ils ont publié un livre contre les théories du complot, "11/9. La cospirazione impossibile", par Massimo Polidoro, avec des collaborateurs aussi respectables que Piergiorgo Odifreddi ou James Randi. Le fait que j'y apparaisse moi aussi ne va ni à mon infamie ni à mon éloge car l'éditeur m'a simplement demandé de republier en ce lieu une Bustina qui n'était pas tant sur le 11 septembre que sur l'éternel syndrome du complot. Pourtant, si comme j'estime que notre monde est né par hasard, je n'ai pas de difficulté à estimer que par hasard ou par un concours de différentes stupidités se passèrent(5) la majeure partie des évènements qui l'ont tourmenté au cours des millénaires, de la guerre de Troie à nos jours, et par conséquent je suis par nature, par scepticisme, par prudence, toujours enclin à douter de n'importe quel complot, car j'estime que mes semblables seraient trop bêtes pour en concevoir un à la perfection. cela même si -pour des raisons certainement amorales, mais par impulsion incoercible- je serais enclin à estimer Bush et son administration capable de tout.
Je n'entre pas (aussi pour des raisons de place) dans les détails des arguments utilisés par les partisans des deux thèses qui peuvent paraître toutes persuasives, mais je m'en remets seulement à celle que je définirais la "preuve du silence". Un exemple de preuve du silence est utilisé par exemple contre celui qui insinuerait que le débarquement(6) américain sur la Lune aurait été un faux télévisé. Si la navette américaine ne fut pas arrivée sur la Lune il y avait quelqu'un qui était en mesure de le contrôler et avait intérêt à le dire, et c'étaient les soviétiques; si partant les soviétiques sont restés silencieux, voilà la preuve que sur la Lune les américains y sont allés pour de vrai. Point final.
En ce qui concerne les complots et les secrets l'expérience (aussi historique) nous dit que : 1 Si il y a un secret, même s'il fut connu d'une seule personne, peut-être au lit avec l'amant, avant ou après elle le révèlera (seul les franc-maçons ingénus et les adeptes de quelque rite templier faux(7) croient qu'il y a un secret qui demeure inviolé) ; 2. Si il y a un secret il y aura toujours une somme adéquate en échange de laquelle quelqu'un sera prêt a le révéler (il suffit de quelque centaine de millier de livres sterling en droit d'auteur pour convaincre un officiel de l'exercice anglais à raconter tout ce qu'il avait fait au lit avec la princesse Diana, et s'il l'avait fait avec sa belle-mère il aurait suffit de doubler la somme et un gentilhomme de cette espèce l'aurait également raconté.Maintenant pour organiser un faux attentat aux deux tours (pour les miner, pour aviser les forces aériennes de ne pas intervenir, pour cacher les preuves embarrassantes et ainsi de suite) il serait nécéssaire la collaboration si non de milliers de personne au moins de centaines de personne. Les personnes utilisées pour ces entreprises ne sont jamais habituellement des gentilhommes et il est impossible que au moins un de ceux-là n'ait pas parlé pour une somme adéquate. En somme, dans cette histoire il manque la gorge profonde.



Notes
1 deviati de deviare, dévier
2 che le cose andassero
3 spaventosa terrible, épouvantable, horrible
4 i sostenitori di almeno uno tra questi complotti
5 avvenirsi se passer
6 lo sbarco
7 qualche rito templare fasullo


Le texte original est paru dans L'espresso du premier novembre 2007. L'auteur est Umberto Eco et sa chronique bi-mensuelle se nomme La Bustina di Minerva. Nous n'avons pas souhaité traduire les titres des deux livres cités par Eco.

Paul Ceylan (1920-1970)

Paul Celan
(1920-1970)



Paul Celan (de son vrai nom Pessakh Antschel) est né en 1920 à Czernowitz en Bucovine, une ancienne province de l'Autriche-Hongrie, devenue roumaine en 1918. La population juive de Bucovine atteignait alors 12%, partagée entre une petite bourgeoisie germanophone, très attachée au défunt empire des Habsbourg qui furent les premiers à accorder aux juifs l'égalité des droits civiques en 1867 - une bourgeoisie dont était issue la mère de Paul Celan -, et un groupe d'origine essentiellement ukrainienne, adepte d'un judaïsme plus strict, resté attaché à la pratique de l'hébreu et du yiddish - dont était issu le père du poète. Le jeune Paul suivit d'abord des cours au sein d'une école élémentaire libérale en langue allemande et étudia ensuite à l'école juive Safah Ivriah. Il grandit ainsi tiraillé entre le yiddish et le judaïsme strict de son père et la langue allemande de sa mère, passionnée de poésie et de littérature. Il quitta Czernowitz pour aller étudier la médecine en France et traversa l’Allemagne le 9 novembre 1938, le lendemain de la « Nuit de Cristal ».

Un de ses poèmes en gardera la trace :

La Contrescarpe »

Tu es venu
par Cracovie à l’Anhalter
Bahnhof
vers tes regards coulait une fumée
qui était déjà de demain. Sous
des pauwlonias
tu voyais les couteaux dressés, encore, aiguisé par la distance

(La rose de Personne, 1963)

Paul Celan revint en Roumanie à la fin des années 30, à l’université de Cernăuţi, pour se consacrer à l'étude de la littérature de langue romane. Ses premiers poèmes parurent dans différents périodiques.

En juin 1941, la province de Bucovine et la ville de Cernăuţi passèrent sous contrôle allemand (après plus d'une année sous contrôle soviétique). Les parents de Paul Celan furent arrêtés et déportés peu de temps après cette période. Son père mourrut d'épuisement à l'automne 1942 et sa mère tuée d'une balle dans la nuque, pendant l'hiver suivant... Il fut lui-même déporté en 1943, dans un camp de travail en Moldavie. Il vécut pendant quelques années en Roumanie à Bucarest en tant qu'éditeur et traducteur avant de s'installer momentanément à Vienne, où il publie son premier livre Der Sand aus den Umen (Le Sable des urnes), et à Paris où il enseignera l'allemand. Il épousa l’artiste Gisèle de Lestrange, en 1952, rencontrée l'année précédente et pour laquelle il écrira plus de 700 lettres en 19 ans.

Son deuxième livre, Mohn und Gedächtnis (Pavot et Mémoire), parut en 1952 assit sa réputation de poète d'après-guerre, saisi par l'horreur du nazisme et l'expérience concentationnaire. Son poème le plus connu, Todesfuge (Fugue de la Mort) a d'ailleurs pour thème le sort des juifs dans les camps d'extermination. Son travail poétique effectué dans sa langue maternelle, également celle de ses bourreaux, est exemplaire d’un courage immense qui le conduira au cœur d’une écriture complexe, discontinue et particulièrement saisissante. Il décivit ainsi l'ambiguïté de sa langue et de son écriture, de son identité, à travers une lettre rédigée en 1946 :

… je tiens à vous dire combien il est difficile pour un juif d’écrire des poèmes en langue allemande. Quand mes poèmes paraîtront, ils aboutiront bien aussi en Allemagne et – permettez-moi d’évoquer cette chose terrible –, la main qui ouvrira mon livre aura peut-être serré la main de celui qui fut l’assassin de ma mère… Et pire encore pourrait arriver… Pourtant mon destin est celui-ci : d’avoir à écrire des poèmes en allemand. »

Cet extrait illustre la violence et le tourment qui habitent l'œuvre du poète. La poésie de Paul Celan questionne la part indicible de la langue. Ce qui traduit en d'autres termes la condition de sa survie et de sa raison à l'épreuve du silence et d'une absence de réponses devant l'horreur de ce siècle. Il désigna sa langue comme surgissant d'un "mutisme effroyable et mille ténèbres des discours porteurs de morts..."
Elle "traversa et ne trouva pas de mots pour (dire) ce qui se passait, mais elle traversa ce passage et put enfin ressurgir au jour, enrichie de tout cela."

Paul Celan considérait que le langage devait se libérer de l'Histoire et être utilisé pour répondre à ses silences et son incompréhension. L'écriture de l'auteur se fait d'ailleurs de plus en plus dense et expérimentale, au cours du temps, ses vers plus fracturés et monosyllabiques. On la compare en cela à la musique de Webern (cf. rubrique Musiques). La singularité de la poésie de Paul Celan, se traduit par l'exercice d'une métamorphose, d'une destructuration, de la langue des bourreaux pour exprimer la déchirure, la perte, le manque, mais aussi le sort des survivants.


Todesfuge (Fugue de la Mort)

Schwarze Milch der Frühe wir trinken sie abends
wir trinken sie mittags und morgens wir trinken sie nachts
wir trinken und trinken
wir schaufeln ein Grab in den Lüften da liegt man nicht eng
Ein Mann wohnt im Haus der spielt mit den Schlangen der schreibt
der schreibt wenn es dunkelt nach Deutschland dein goldenes Haar Margarete
er schreibt es und tritt vor das Haus und es Blitzen die Sterne er pfeift seine Rüden herbei
er pfeift seine Juden hervor lässt schaufeln ein Grab in der Erde
er befiehlt uns spielt auf nun zum Tanz...


Lait noir de l'aube nous le buvons dans le soir
nous le buvons le matin le midi nous le buvons dans la nuit
nous buvons et buvons
nous creusons une tombe dans l'air nul n'y est à l'étroit
Un homme habite la maison il joue avec des serpents il écrit
il écrit vers le soir en Allemagne ta chevelure d'or Marguerite
il l'écrit et passe devant la maison et brillent les étoiles il siffle ses dogues
il siffle ses juifs creusez donc une tombe dans la terre
il nous ordonne à présent jouez donc pour la danse

(trad. John E. Jackson)


Paul Celan reçut le prix Georg Büchner en 1960, et prononca pour l'occasion un magnifique discours intitulé Le Méridien à travers lequel il présenta sa conception de l'art et de la poésie.

La poésie, Mesdames et Messieurs: cette parole qui recueille l’infini là où n’arrivent que du "mortel" et du "pour-rien"...
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"...Eines Abends, die Sonne, und nicht nur sie, war untergegangen, da ging, trat aus seinem Haüsel und ging der Jud, der Jud und Sohn eines Juden, und mit ihm ging sein Name, der unaussprechliche, ging und kam, kam dahergezockelt, ließ sich hören, kam am Stock, kam über den Stein, hörst du mich, du hörst mich, ich bins, ich, ich und der, den du hörst, zu hören vermeinst, ich und der andre, — er ging also, das war zu hören, ging eines Abends, da einiges untergegangen war, ..."

"...Un soir, le soleil, et pas seulement lui, avait disparu, le Juif s’en alla, sortit de sa petite maison et s’en alla, lui le Juif et fils d’un Juif, et avec lui s’en alla son nom, l’imprononçable, il s’en alla et s’en vint, s’en vint, clopinant, se fit entendre, s’en vint bâton en main, s’en vint foulant la pierre, m’entends-tu, tu m’entends, c’est moi, moi, moi et celui que tu entends, que tu crois entendre, moi et l’autre – donc il s’en alla, on pouvait l’entendre, s’en alla un soir, alors qu’un certain nombre de choses avaient disparu, s’en alla sous les nuages, s’en alla dans l’ombre, la sienne et l’étrangère – car le Juif, tu le sais, qu’a-t-il donc qui lui appartienne en propre, qui ne soit emprunté, prêté et jamais restitué – donc il s’en alla et s’en vint, s’en vint de par la route, la belle, l’incomparable, s’en alla comme Lenz, à travers la montagne, lui que l’on avait laissé habiter tout en bas, là où est sa place, dans les basses-terres, lui, le Juif, s’en vint et s’en vint..."
Paul Celan, 1959, Entretien dans la montagne, trad. de l’allemand par Stéphane Mosès, Editions Verdier.
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Il rencontra en 1967 à Todtnauberg le philosophe Martin Heidegger dont il attendit une parole, pour les juifs exterminés, qui n'est pas venue. - Ce mot, Heidegger pensait, pour sa part, l’avoir livré dans son entretien du Spiegel donné en 1966, qui devait paraître au lendemain de sa mort, survenue en 1976*-
Ce silence a inspiré à Paul Celan un poème devenu célèbre, Todtnauberg.

Arnika, Augentrost, der
Trunk aus dem Brunnen mit dem
Sternwurfel drauf,

in der
Hütte,

die in das Buch
—wessen Namen nahms auf
vor dem meinen?—,
die in dies Buch
geschriebene Zeile von
einer Hoffnung, heute,
auf eines Denkenden
kommendes
Wort
im Herzen,

Waldwasen, uneingeebnet,
Orchis and Orchis, einzeln,

Krudes, später, im Fahren,
deutlich,

der uns fährt, der Mensch,
der's mi anhört,

die halb-
beschrittenen Knüppel-
pfade im Hochmoor,

Feuchtes,
viel.

Arnica, délice-des-yeux, la gorgée à la fontaine avec le nom dé en étoile dessus/dans la Hutte/elle, dans le livre- de qui a-t-il recueilli le nom avant le mien ? - elle, écrite dans ce livre, la ligne d´un espoir, aujourd´hui,en un mot d´un pensant, à venir au coeur/ humus forestier, non aplani, des orchis et des orchis, isolés/des choses crues, plus tard, en route distinctement/celui qui nous conduit, l´homme qui les entend aussi/à moitié parcourus, les sentiers de gourdins dans la haute fagne,des choses humides,beaucoup (trad. de l'allemand de Bertrand Badiou et Jean-Claude Rambach)

"Todtnauberg" témoigne de la rencontre entre le poète et le philosophe et décrit la constitution de deux camps opposés, pro- et anti-heideggérien. Au fur et à mesure, la controverse autour du lien Celan-Heidegger devient l'un des principaux ressorts de la réception. On en a souvent conclu que ce poème avait été l’occasion d’une rupture, évidemment compréhensible de la part du poète. Or, il semblerait que le dialogue se soit poursuivi entre les deux hommes: Celan avait fait parvenir son poème à Heidegger, et on connaît depuis 1997 une réponse de Heidegger au poème, que Pöggeler commente avec finesse (Pöggeler, 2000). Celan et Heidegger se seraient à nouveau rencontrés en juin 1968, puis en mars 1970, quelques semaines seulement avant la mort du poète. Otto Pöggeler rapporte que Heidegger, se rendant compte de l’état désastreux dans lequel se trouvait alors Paul Celan, aurait souhaité lui montrer les contrées salvatrices de la Forêt Noire et du pays de Hölderlin, qui l’avaient autrefois aidé à surmonter ses propres crises personnelles.
*Pöggeler, O. 2000, Der Stein hinterm Aug. Studien zu Celans Gedichten. München, Wilhelm Fink Verlag.
Sur les circonstances exactes de cette rencontre, on peut aussi consulter le dossier du Magazine littéraire de janvier 2002, avec une lettre de Heidegger à Celan et d'autres documents...

Il visita Israël en 1969.

Paul Celan se donna la mort en se jetant dans la Seine en Avril 1970 .


Dans un poème longtemps inédit, daté du 4 août 1969, il écrivait :

Tu jettes après moi, un noyé,
de l’or :
peut-être qu’un poisson
se laissera soudoyer

Mort, donne-moi
Ma fierté


lundi 3 décembre 2007

Grupo Kalunga @ The Baobab Tree

Pour Nao-

Jimmy - Moriarty

Tu devrais rentrer à la maison Jim', ici l'herbe est verte et les bisons sont en liberté... Si tu te souviens que tu n'es personne, alors tu seras chez toi au pays des bisons...

samedi 1 décembre 2007

L'art de la mauvaise foi, ou les seuls arguments de la Ligue 1


"...On n'a pas été ridicule, au contraire... Les vingt premières minutes, Caen n'existait pas... et après, dans le dernier quart d'heure, ils se prenaient tous pour des Maradona et ça c'est une chose que j'aimerais souligner: c'est le manque de respect de cette équipe de Caen qui... sur tous les ballons cherchait à faire des petits ponts, des sombreros... Ils nous ont pris pour des cons, je les attends au match retour..."

Monsieur Jurietti (Footballeur professionnel, accessoirement avocat de Ligue 1, piètre philosophe, défenseur au sein de l'équipe des Girondins de Bordeaux)