jeudi 23 août 2012

Eva Joly : «Je redoute de voir la gauche se normaliser»

Eva Joly à Paris le 25 avril 2012.
Alors que débutent aujourd’hui à Poitiers (Vienne) les journées d’été d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV), Eva Joly, ancienne candidate à l’élection présidentielle, analyse son faible score et évoque son avenir.
L’ancienne candidate Europe Ecologie-les Verts revient sur son expérience présidentielle et évoque la participation de son mouvement au gouvernement. Et elle lance son club, «#engagement».

Par LILIAN ALEMAGNA, JONATHAN BOUCHET-PETERSEN, Libération, 21.08.2012.


Après cette campagne, dans quel état d’esprit revenez-vous ?
Je me suis régénérée. On ne mesure pas combien la présidentielle est une épreuve physique. Je m’en suis libérée en reprenant ma vie d’avant et notamment mon travail au Parlement européen. Je suis aussi allée en Afghanistan [pour une mission de l’ONU, ndlr], une façon de renouer avec mes fondamentaux : la lutte contre la corruption.

Quatre mois après, avez-vous digéré vos 2,3% à la présidentielle ?
C’est 300 000 voix de plus que le score de Dominique Voynet en 2007. C’est donc un progrès. Mais c’est aussi une déception par rapport à nos résultats aux élections européennes et régionales, où on se voyait presque à égalité avec le PS. La présidentielle est toujours difficile pour les écologistes, d’autant plus en période de crise, où l’écologie est rejetée alors qu’elle est la seule solution.

Faites-vous votre autocritique ?
Non. J’ai été rejetée parce que je viens de la société civile et qu’on est habitué à voir des mâles blancs entre 50 et 60 ans qui ont fait l’ENA. Souvenez-vous du «Joly bashing»…

Regrettez-vous encore l’accord entre EE-LV et le PS avant la présidentielle ?
Cet accord a créé de la confusion. Cécile Duflot et moi étions montées au créneau en disant que nous ne le signerions pas s’il ne prévoyait pas la sortie du nucléaire. Quand nous l’avons signé quand même, l’opinion n’y a plus rien compris.

Durant la campagne, vous êtes-vous sentie lâchée par certains amis ?
J’ai un grand entraînement à fonctionner en petit comité. Quand j’ai instruit l’affaire Elf, je n’avais pas beaucoup d’amis. J’en ai gardé une force incroyable et je suis habitée par le sentiment d’urgence. Si nous n’arrivons pas maintenant à infléchir les tendances lourdes - la finance, les privilèges, la France forteresse -, nous aurons un homme fort et un régime fasciste. Pendant les journées d’été d’EE-LV, je vais lancer un club ouvert à tous ceux qui partagent les idées que j’ai défendues pendant la campagne.

Quel sera son nom ?
«#engagement». Mes idées ont intéressé bien au-delà des personnes qui ont voté pour moi. Dans la rue, les gens me disent sans arrêt de ne pas les laisser tomber. Je m’y engage. Je veux dire aux citoyens que l’action collective peut changer les choses.

Comment jugez-vous l’action de François Hollande après le cap des cent jours de pouvoir ?
Il a apaisé le pays après la période excitée et bling-bling que nous avons vécue. C’est bien, mais ça ne suffit pas. Nous avons besoin qu’il nous indique son cap, car sa victoire était davantage un rejet de Nicolas Sarkozy qu’une adhésion à son programme. J’aimerais que le Président se souvienne de son discours du Bourget et qu’il prenne des mesures efficaces pour lutter contre les désordres financiers et les abus des multinationales. On ne peut pas imposer l’austérité si on ne s’attaque pas aussi à la finance.

Diriez-vous comme Jean-Luc Mélenchon que c’est «cent jours presque pour rien» ?
Non. On sort de dix années d’opposition, il faut un peu de temps. François Hollande doit maintenant tenir ses promesses. Le peuple de gauche attend avec impatience des mesures symboliques qui ne coûtent rien, comme le récépissé lors des contrôles d’identité et le mandat unique.

Les écologistes sont-ils assez mûrs pour l’exercice du pouvoir ?
Il faut réussir à être partie prenante du jeu institutionnel tout en restant auprès des citoyens avec nos valeurs. Par exemple, nous gagnerons le combat contre le gaz de schiste en l’animant dans la société. Certes, c’est plus facile d’être dans l’opposition : on est toujours plus pur, plus radical. Mais pour agir sur le monde, c’est au pouvoir que ça se passe.

Ne craignez-vous pas que cet espace de contestation soit une nouvelle fois capté par Jean-Luc Mélenchon ?
Il est terriblement séduisant ! Mais nous proposons davantage qu’une protestation : un changement de civilisation. Les écologistes doivent continuer sur leurs combats antinucléaires, anti-gaz de schiste, pour la biodiversité, la préservation de l’environnement. La solidarité gouvernementale ne doit pas nous condamner au silence : une présidence normale oui, mais je redoute de voir la gauche se normaliser.

Le PS prend-il l’écologie au sérieux ?
Il oublie, à tort, que la solution à la crise est écologiste. Mais le basculement idéologique viendra. J’ai pris date, car j’ai raison.

Que pensez-vous des premiers pas de Christiane Taubira au ministère de la Justice ?
Je la trouve formidable. Depuis sa nomination, elle a été excellente. Elle n’a peur de rien, elle voit clair et elle a parfaitement compris les enjeux. Sur les prisons comme sur la délinquance des jeunes, elle est remarquable. Je lui fais une totale confiance et j’espère qu’elle réformera bien le statut du parquet.

Dans Libération avant l’été, Daniel Cohn-Bendit jugeait qu’EE-LV était un parti à «l’image détestable»…
«Dany» se comporte de temps en temps comme le sélectionneur d’une équipe de football. Pendant la présidentielle, j’aurais aimé qu’il soit davantage sur le terrain à mes côtés.

A l’inverse de Cohn-Bendit, vous êtes opposée au nouveau traité européen…
Le traité qu’on nous propose de voter est le traité «Merkozy». Le petit ajout sur la croissance que le Président prétend avoir obtenu n’est pas à la mesure des enjeux. Je suis fédéraliste, mais en limitant le déficit structurel à 0,5% du PIB, on crée les conditions de notre propre récession. L’urgence, c’est de permettre à la Banque centrale européenne de prêter directement aux Etats et d’autoriser un peu d’inflation. Je suis d’accord pour prendre des leçons de politique avec Dany, mais lui devrait prendre des cours d’économie avec moi.

Demandez-vous un référendum sur le traité européen ?
Oui. On ne peut pas escamoter le débat public sur un tel enjeu.

mercredi 22 août 2012

Auschwitz, symbole de «l’holocauste-tourisme»

Par Gilbert Casasus - Chroniqueur associé - Marianne.

Le camp d'Auschwitz, en Pologne, serait-il devenu le parfait contre-exemple du travail de mémoire ? C'est ce que soutient Gilbert Casasus, professeur en études européennes, qui met en cause un système de visites guidées où superficiel et compassion dominent, au détriment de l'histoire et de l'information.

(Auschwitz en 2010 - Tesinsky David/AP/SIPA)
(Auschwitz en 2010 - Tesinsky David/AP/SIPA)
Peut-être que le chemin des vacances vous a conduit en Europe centrale. Si tel est le cas, le camp d’Auschwitz fait partie de ces endroits où l’on s’arrête et l’on se recueille. Au-delà de l’atrocité du camp, vous êtes rapidement envahi par un sentiment de malaise qui vous ne lâche plus. Gêné de regarder ce lieu de mort, vous avez l’impression de n’être qu’un vulgaire touriste, au même titre que ceux qui s’aventurent sur la Place Saint-Marc de Venise, au pied de la Statue de la Liberté de New-York ou aux abords immédiats des Pyramides de Gizeh.

D’ailleurs, les agences de voyage locales ne s’y trompent pas. Elles organisent votre séjour, votre déplacement, vous proposent même de vous chercher à votre hôtel pour vous emmener personnellement à Auschwitz. Tout est parfaitement organisé et planifié, comme il se doit. Et si le dégoût n’accompagnait pas cette description morbide, le ton cynique de ces quelques lignes suffirait à lui seul à traduire la honte que vous ressentez à favoriser ce qu’il convient de nommer ici « l’holocauste-tourisme ». 
 
Sandwiches et cartes postales
 
Impossible d’en réchapper. Dès l’entré du camp n°1, vous devez suivre la masse. On vous met en groupe, linguistique s’il vous plaît, et il ne reste plus qu’à suivre le guide. Ecouteur en bandoulière, vous n’entendez plus que ses explications et ses conseils. Veillez surtout à ne pas prendre du retard, à ne pas marcher du faux côté pour laisser la place aux autres visiteurs étrangers. On vous montre ce que l’on veut bien vous montrer, des cheveux, des chaussures, des lunettes et des valises. On vous inonde de chiffres, de dates, de détails plus ou moins techniques et historiques. Parfois, vous ne savez plus où vous êtes : dans une fabrique de roulements à billes, de vilebrequins, de boutons de nacre ou dans la pire des industries de la mort que l’homme a imaginée et construite depuis sa création.

Le visiteur aguerri n’apprend pas grand-chose. Pas beaucoup plus qu’il n’a appris par ses lectures, par des films, des documentaires ou des reportages télé. Entre deux bâtiments de torture et d’exécution, il a même le temps d’acheter une carte postale qu’il enverra comme souvenir à ses parents ou à ses amis. 

Vient alors la pause repas, un sandwich que l’on a le droit de grignoter qu’hors du camp, avant de prendre la navette pour Birkenau. Là, la nudité du lieu vous impressionne. On sent la mort, mais les explications du guide ne vous convainquent toujours pas. Il insiste longuement sur les conditions d’hygiène, sur les latrines des femmes, ne parle presque que des victimes, que très rarement des bourreaux.

Après plus de deux heures de visite, votre patience atteint ses limites. Vous êtes excédé par ce langage officiel, par cette présentation qui omet même d’évoquer l’armée soviétique au profit de la seule armée russe. Alors, vous passez vous-même à l’offensive. Surpris par le nombre de villages ou bourgades environnantes, vous osez poser la question qui fâche, à savoir celle de l’attitude de la population locale durant le Seconde Guerre mondiale. Subitement, le ton monte d’un cran et vous avez droit à la remarque suivante : « que vouliez-vous qu’ils fassent » ? Sur quoi, poli, vous répondez : « donner des informations à la résistance ». Fusillé du regard, on vous rétorque alors un cinglant : « vous avez un autre exemple » ! 
 
Absence de débat de fond
La consigne donnée aux guides est claire : refuser coûte que coûte d’engager un dialogue historique qui permettrait de mener un débat de fond sur ce lieu de mémoire qu’est Auschwitz. Seuls le superficiel et la compassion doivent l’emporter sur toute autre considération. Plus que jamais, vous êtes réduit au rang d’un simple touriste qui ne mérite aucune autre prestation que celle pour laquelle il a versé un droit d’entrée d’environ douze euros. Bref, vous n’êtes plus ce citoyen que vous devriez être, mais un client d’une pure transaction commerciale.

Auschwitz est devenu le parfait contre-exemple du travail de mémoire. Tel n’est pas le cas de tous les autres camps d’extermination et de concentration. Comment ne pas évoquer ici le travail exemplaire accompli depuis une vingtaine d’années par Volkhard Knigge et son équipe sur les lieux du mémorial de Buchenwald ? Les efforts pédagogiques et didactiques y sont remarquables, au bénéfice d’ailleurs d’une Allemagne qui ne craint pas de condamner son propre passé.

De même, à une soixantaine de kilomètres d’Auschwitz, la ville de Cracovie accueille sur le terrain même de son ancienne usine, un excellent musée consacré à Oskar Schindler.  A l’exception de deux ou trois tableaux qui embellissent quelque peu le rôle de l’église polonaise durant la Guerre, les objets exposés vous prennent à la gorge. Saisi par l’émotion d’une jeune Sarah de 14 ans qui écrivait, avant d’être gazée, « que c’est vraiment moche d’être juive », vous percevez alors toute la misère et la douleur qui régnaient dans le ghetto de Cracovie. D’ailleurs cette ville, et plus particulièrement son Centre d’études sur l’Holocauste de l’Université de Jagellonne ne comptent pas en rester là. Car, comme le dit l’un de ses responsables, « nous Polonais, nous ne pouvons pas toujours être que des victimes » !

Gilbert Casasus est professeur en études européennes à l'Université de Fribourg, en Suisse.

Charles Beigbeder met la clé sous la porte d'Happytime!

Charles Beigbeder met la clé sous la porte d'Happytime!Par Laurence Dequay - Marianne

Le président de la commission entreprenariat du Medef, secrétaire national UMP et serial entrepreneur, Charles Beigbeder, s'est bien gardé de communiquer sur la liquidation, le 2 août, de sa société de réservation de loisirs sur Internet et de distribution de coffrets cadeaux : Happytime. On a pourtant connu Charles Beigbeder plus bavard.

Bye bye Happytime. Cette semaine, en page 23 de son numéro 800, Marianne se penche sur la dernière mésaventure, passée largement inaperçue, du flamboyant Charles Beigbeder, sérial entrepreneur, président de la commission entreprenariat du Medef et secrétaire national UMP de la pédagogie de la réforme. Il s'agit de la liquidation le 2 août, en catimini, de sa société de réservation de loisirs sur Internet et de distribution de coffrets cadeaux Happytime. Seize jours seulement après sa déclaration de cessation de paiements !
«Les salariés sont en vacances»
  Or dans l’Hexagone, la disparition d’Happytime pénalise déjà nombre de ses 70 000 clients qui n’ont pas pu réserver la prestation qu’ils avaient achetée ou offert à un tiers. Mais aussi ses 2 500 partenaires, maison d’hôtes, organisateurs de vols ULM qui doivent annuler leurs réservations. «Ca va nous faire un sacré manque à gagner ! s’indigne ainsi Pascal Chollet qui loue en Corrèze une chambre d’hôte et organise avec son époux des repas gastronomiques. Si M. Beigbeder voulait retirer ses billes, c’est son droit. Mais il aurait du nous céder ses parts afin que le réseau continue. Chez le liquidateur, on va passer après tout le monde. Dans les affaires comme en politique, il faut sortir la tête haute ! Y en a marre de ceux qui font payer ceux qui travaillent.»
L’adresse a beau sonner comme un slogan de l’UMP, elle n’ébranle guère Charles Beigbeder. Contacté par Marianne, le fondateur du courtier en ligne Selftrade (lancé avec en guise de publicité une photo de la tombe de Karl Marx) et du producteur d’énergie Poweo (cédé depuis) que l’on a connu plus communiquant, nous a répondu que «toutes les solutions étaient à l’étude.» Au siège d’Happytime pourtant, Marianne a trouvé porte close: «Les salariés sont en vacances», nous a affirmé le concierge. 
 
Aussi, pour que toutes les personnes intéressées sachent à qui s'adresser, Marianne2 publie en ligne deux documents exclusifs : d’une part, le mail d’anthologie que la société a envoyé à chacun des partenaires et d’autre part, le jugement de liquidation d’Happytime.

Les gens du voyage montent d'un cran sur l'échelle du crime organisé

Par Frédéric Ploquin - Marianne

Les derniers règlements de compte à Marseille viennent encore de le démontrer : le grand banditisme à l'ancienne est poussé vers la sortie par une nouvelle génération de caïds. Dans cet épisode : les gens du voyage montent d'un cran sur l'échelle du crime organisé.

(POL EMILE/SIPA)
(POL EMILE/SIPA)
On les appelle les gens du voyage. Présents sur tout le territoire, zones urbaines comme zones rurales, ils présentent la particularité d'être autonomes. Les analystes de la PJ les voient dans les braquages, le vol de fret, les vols par qualité, les escroqueries type «jade» ou «ivoire», le trafic de voitures, le recel d'or et de bijoux, autrefois monopole du milieu juif, auquel ils ont également emprunté la technique du vol par ruse, consistant à se faire passer pour des policiers ou des agents du gaz pour entrer chez les personnes âgées et rafler leurs économies, sans violences.

Sédentarisés pour la plupart, ils n'en sont pas moins mobiles. «Ils ont cette capacité à se transporter loin de leur base, jusqu'en Suisse, en Belgique ou au Luxembourg», indique Franck Douchy, patron de la lutte contre le crime organisé. Les connaisseurs identifient quatre «castes» : les manouches, les barengris, les voyageurs et les forains. Les premiers sont plutôt spécialisés dans les vols par ruse et les cambriolages, les deuxièmes oeuvrent surtout dans le vol à main armée, les troisièmes forment les meilleurs escrocs au faux jade et au faux ivoire, tandis que les derniers se contentent généralement de faire tourner leurs manèges.

Longtemps, la PJ a laissé ces clients aux gendarmes, jusqu'au jour où on les a vus monter sur des vols à main armée sérieux, des attaques à l'explosif de distributeurs de billets, sans parler de leur probable implication dans des fusillades mortelles contre la police, comme à Dammarie-les-Lys en 2010 ou du côté de Marseille l'année suivante. Marseille, où un gardien de la paix a été tué au kalachnikov au terme d'un long raid nocturne, par une équipe spécialisée dans le pillage de commerces à la disqueuse et à la tronçonneuse.

Dynamisme, nomadisme, organisation clanique et polyvalence sont les principaux atouts de cette «tribu», dont une famille, celle des Hornec, s'est illustrée dans le grand banditisme à la fin des années 90. «Leur logique est essentiellement familiale, explique Franck Douchy. Les voleurs font vivre tous les autres. Ils investissent sous le nom de proches, de plus en plus souvent à l'étranger

Ils sont parfois trahis par les liasses de billets planquées dans la double paroi de la caravane ou la Porsche Panamera immatriculée au nom de la grand-mère de 87 ans, mais leur mode d'habitation est une protection aussi efficace que peuvent l'être la cité pour le milieu maghrébin ou le village de montagne pour le milieu corse. La plus grosse fabrique de fausse monnaie démantelée en France, en juin 2012, était ainsi installée dans un garage planqué au milieu d'une zone habitée par des manouches.

Points forts : ils saisissent toutes les opportunités, s'améliorent sans cesse, ont les moyens, en cash, de s'offrir les meilleurs conseillers et avocats, savent pouvoir bénéficier en toute occasion de la solidarité familiale.

Points faibles : la multiplication des règlements de comptes au sein de la communauté. Conflits sur le partage des butins, enlèvements, racket des plus rusés (les voyageurs) par les plus forts (les barengris) arrivent de plus en plus souvent aux oreilles de la police.

Israël-Iran : le candidat Obama en ligne de mire ?

Carolyn Kaster/AP/SIPA
Carolyn Kaster/AP/SIPA
Par Régis Soubrouillard - Marianne

Multipliant les menaces de frappes sur Téhéran, le premier Ministre Benjamin Netanyahu utilise clairement la fenêtre de tir des présidentielles américaines pour peser dans le débat politique américain, avec pour seul objectif de faire tomber un Barack Obama trop peu belliciste à son goût. C'est que sur un plan stratégique, rien ne justifie des attaques sur l'Iran.

Officiellement, « toutes les options sont sur la table ». Si de nombreux dirigeants israéliens, parmi lesquels le président Shimon Peres, mais aussi le chef d’état major des armées et la communauté du renseignement sont opposés à une attaque sur l’Iran, le premier ministre  Benyamin Netanyahu est plus que jamais décidé à déterrer la hache de guerre. Dans une annonce macabre destinée à préparer les esprits et qui se voulait rassurante, l’armée de l’état Hébreu  a ainsi  assuré que le nombre de morts ne dépasserait pas 300. Une évaluation rapidement revue à la hausse :  « 500 victimes » a rectifié le Ministre de la Défense Ehud Barak, pas vraiment sûr de la précision de son coup : « Il pourrait y avoir moins ou plus de morts, mais c'est le scénario auquel nous nous préparons. Les estimations font état d'une guerre qui durerait 30 jours et aurait plusieurs fronts ». Après la guerre « zéro mort » -dans son camp- inventée par les américains qui s’était révélée peu convaincante, les israéliens lancent les estimations à la louche…

Journaliste spécialisé en questions de défense en Israel, Alon Ben David affirme que « faute d’avoir pu obtenir une suspension du programme nucléaire iranien, le temps de l’action est venu et Netanyahu est déterminé à attaquer l'Iran avant les élections américaines ». 

Autre élément renforçant le climat de tensions, cette fois-ci sur la scène politique, la Knesset (Parlement) a entériné, jeudi, la nomination d'Avi Dichter -considéré comme un « dur »- , à la tête de la Défense passive, un ministère crucial en cas de guerre. Ancien chef des renseignements de l’état Héberu, Uri Saguy estime pour sa part que les menaces de frappe relèvent d’une  « hystérie orchestrée dont le timing a été planifié pour placer le pays dans un état d’anxiété, artificiel ou non. Ce serait une erreur d’utiliser la force  aujourd'hui afin de contrecarrer le potentiel nucléaire iranien».

De son côté, le secrétaire américain à la Défense Leon Panetta a  déclaré qu’il ne pensait pas qu'Israël ait pris une décision définitive concernant une éventuelle attaque de l'Iran qui a promis de riposter en dévoilant récemment une partie de son nouvel arsenal militaire.
 
Une attaque qui pourrait s'avérer contre-productive
 
 Selon Netanyahu, le président Barack Obama n'aurait d'autre choix que de soutenir la décision israélienne, au risque de se confronter aux lobbys juifs et de perdre une partie des suffrages de la communauté.

« La multiplication récente de déclarations publiques sur l'Iran a pour but, en plus de préparer l'opinion publique aux conséquences d'une éventuelle frappe, de pousser l'administration américaine à davantage de clarté sur le sujet. Les déclarations de la Maison Blanche sont jugées trop vagues par les dirigeants israéliens. En évoquant publiquement l'éventualité d'une opération militaire israélienne imminente, ils veulent pousser les Américains à abattre leurs cartes » expliquait à l’AFP Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l'Université de Tel-Aviv.

Plusieurs thinks tanks américains, pourtant peu réputés pour leur « pacifisme », estiment d’ailleurs qu’une attaque israélienne encouragerait plutôt l’Iran à poursuivre, sinon accélérer son programme nucléaire.
 
Une dramaturgie aux ambitions purement électorales
Un coup de billard politique à trois bandes, alors ? Derrière ces menaces de moins en moins voilées à l’égard de l’adversaire iranien, c’est bien son meilleur ennemi Barack Obama, engagé dans une compétition électorale trop délicate pour lancer un débat public sur l’opportunité de frapper Téhéran, que Benyamin Netanyahu chercherait à atteindre.

C’est que dans leurs campagnes respectives, Obama et Romney se disputent les faveurs de l’Etat hébreu. Selon le journal israélien Haaretz, Barack Obama aurait dévoilé en juillet au premier ministre israélien des plans d'attaques américaines contre l'Iran. En revanche, on ne sait rien sur la date et les détails d'une telle éventualité.

Mitt Romney, son adversaire républicain a rapidement surenchéri affirmant qu'il fallait maintenir l'option militaire sur la table pour contrer la «folie nucléaire» de l'Iran. Son entourage a même assuré que le gouverneur «respecterait» une éventuelle décision israélienne d'attaquer l'Iran, sans avoir obtenu le feu vert préalable et explicite des États-Unis.

Ancien directeur de la Délégation aux affaires Stratégiques, Maître de conférences à Sciences Po et auteur de La fabrication de l’ennemi, Pierre Conesa tient ces nouvelles menaces comme « relevant de la dramaturgie. Rien ne justifie aujourd’hui sur le plan stratégique le déclenchement d’une attaque contre l’Iran. C’est évidemment un argument utilisé par Netanyahu pour mettre son nez dans la campagne électorale américaine et peser de tout son poids sur les positions des candidats vis-à-vis de l'Iran. De ce point de vue, Netanyahu a clairement choisi son camp. Romney a eu des déclarations très bellicistes, c’est un George Bush II. Lors de sa visite en israël, il est allé jusqu'à présenter Jérusalem comme la capitale d'Israël ! Dans le camp républicain, la mécanique néo-conservatrice est encore très vivace. Personnellement, je pense d’ailleurs que les plans d’attaques contre l’Iran présentés par Obama à Netanyahu avaient bien plus pour objectif de lui démontrer qu’Israël ne pourrait pas le faire seul –il faudrait une centaine d’avions en l’air- et sûrement pas avant la présidentielle ».

Un scénario qui n’a pas dû emballer le faucon Netanyahu.
 
 

samedi 18 août 2012

The 2012 Sight & Sound Directors’ Top Ten

Thursday, 2 August 2012

The 10 Greatest Films of All Time, as chosen by 358 directors including Woody Allen, Nuri Bilge Ceylan, Quentin Tarantino, the Dardenne brothers, Terence Davies, Guillermo del Toro, Martin Scorsese, Olivier Assayas, Michael Mann, Guy Maddin, Francis Ford Coppola, Mike Leigh, Aki Kaurismäki…


2012 Directors' Top 10 1. Tokyo Story

Ozu Yasujirô, 1953 (48 votes; pictured above)
Subtle and sensitive, Tokyo Story lets the viewer experience the tensions and demands that modern life makes on people – here family members—Adoor Gopalakrishnan

 

2= 2001: A Space Odyssey

Stanley Kubrick, 1968 (42 votes)
This is the film I’ve seen more than any other in my life. 40 times or more. My life altered when I discovered it when I was about 7 in Buenos Aires. It was my first hallucinogenic experience, my great artistic turning-point and also the moment when my mother finally explained what a foetus was and how I came into the world. Without this film I would never have become a director—Gaspar Noé

2= Citizen Kane

Orson Welles, 1941 (42 votes)
Welles’s feat of imagination in Citizen Kane remains dazzling and inspiring. Cinema aspiring to great art, political import – and delivered with unabashed showmanship. The fervour of the work is as excited and electric as ever. The thriller plot never disappoints—Kenneth Branagh

4.

Federico Fellini, 1963 (40 votes)
8½ is a film I saw three times in a row in the cinema. This is chaos at its most elegant and intoxicating. You can’t take your eyes off the screen, even if you don’t know where it’s heading. A testament to the power of cinema: you don’t quite understand it but you give yourself up to let it take you wherever—Pen-Ek Ratanaruang
A true classic has to be both intimate and universal. To speak about cinema through cinema requires a voice unwavering in its passion and purity. 8½ speaks as much about life as it does about art – and it makes certain to connect both. A portrait of the teller and his craft – a lustful, sweaty, gluttonous poem to cinema—Guillermo del Toro

5. Taxi Driver

Martin Scorsese, 1976 (34 votes)
A film so vivid, hypnotic and corrosive that it feels forever seared onto your eyeballs, Taxi Driver turns a city, a time and a state of mind into a waking nightmare that’s somehow both horribly real and utterly dreamlike—Edgar Wright

6. Apocalypse Now

Francis Ford Coppola, 1979 (33 votes)
Coppola evoked the high-voltage, dark identity quest, journeying into overload; the wildness and nihilism – all captured in operatic and concrete narrative, with the highest degree of difficulty. A masterpiece—Michael Mann

7= The Godfather

Francis Ford Coppola, 1972 (31 votes)
A classic, but I never tire of it. The screenplay is just so watertight, and Michael’s journey is one of the best protagonist arcs ever created—Justin Kurzel

7= Vertigo

Alfred Hitchcock, 1958 (31 votes)
[These are the scenes or aspects I usually think about in the movies I have thought about most often…] In Vertigo, after he’s worked so hard to remake her and finally she emerges: hair dyed platinum, grey suit, misty lens. It’s her!—Miranda July

9. Mirror

Andrei Tarkovsky, 1974 (30 votes)
I must have been around 13 when I first watched Mirror. This time I realised that there are films that are not even meant to be ‘understood’. It’s the poetry of cinema in its purest form, on a very delicate verge of being pretentious – which makes its genius even more striking—Alexei Popogrebsky

10. Bicycle Thieves

Vittorio De Sica, 1949 (29 votes)
My absolute favourite, the most humanistic and political film in history—Roy Andersson

The Top 50 Greatest Films of All Time (11th-50th)

11. Battleship Potemkin

Sergei Eisenstein, 1925 (63 votes)

12. L’Atalante

Jean Vigo, 1934 (58 votes)

13. Breathless

Jean-Luc Godard, 1960 (57 votes)

14. Apocalypse Now

Francis Ford Coppola, 1979 (53 votes)

15. Late Spring

Ozu Yasujiro, 1949 (50 votes)

16. Au hasard Balthazar

Robert Bresson, 1966 (49 votes)

17= Seven Samurai

Kurosawa Akira, 1954 (48 votes)

17= Persona

Ingmar Bergman, 1966 (48 votes)

19. Mirror

Andrei Tarkovsky, 1974 (47 votes)

20. Singin’ in the Rain

Stanley Donen & Gene Kelly, 1951 (46 votes)

21= L’avventura

Michelangelo Antonioni, 1960 (43 votes)

21= Le Mépris

Jean-Luc Godard, 1963 (43 votes)

21= The Godfather

Francis Ford Coppola, 1972 (43 votes)

24= Ordet

Carl Dreyer, 1955 (42 votes)

24= In the Mood for Love

Wong Kar-Wai, 2000 (42 votes)

26= Rashomon

Kurosawa Akira, 1950 (41 votes)

26= Andrei Rublev

Andrei Tarkovsky, 1966 (41 votes)

28. Mulholland Dr.

David Lynch, 2001 (40 votes)

29= Stalker

Andrei Tarkovsky, 1979 (39 votes)

29= Shoah

Claude Lanzmann, 1985 (39 votes)

31= The Godfather Part II

Francis Ford Coppola, 1974 (38 votes)

31= Taxi Driver

Martin Scorsese, 1976 (38 votes)

33. Bicycle Thieves

Vittoria De Sica, 1948 (37 votes)

34. The General

Buster Keaton & Clyde Bruckman, 1926 (35 votes)

35= Metropolis

Fritz Lang, 1927 (34 votes)

35= Psycho

Alfred Hitchcock, 1960 (34 votes)

35= Jeanne Dielman, 23 quai du Commerce 1080 Bruxelles

Chantal Akerman, 1975 (34 votes)

35= Sátántangó

Béla Tarr, 1994 (34 votes)

39= The 400 Blows

François Truffaut, 1959 (33 votes)

39= La dolce vita

Federico Fellini, 1960 (33 votes)

41. Journey to Italy

Roberto Rossellini, 1954 (32 votes)

42= Pather Panchali

Satyajit Ray, 1955 (31 votes)

42= Some Like It Hot

Billy Wilder, 1959 (31 votes)

42= Gertrud

Carl Dreyer, 1964 (31 votes)

42= Pierrot le fou

Jean-Luc Godard, 1965 (31 votes)

42= Play Time

Jacques Tati, 1967 (31 votes)

42= Close-Up

Abbas Kiarostami, 1990 (31 votes)

48= The Battle of Algiers

Gillo Pontecorvo, 1966 (30 votes)

48= Histoire(s) du cinéma

Jean-Luc Godard, 1998 (30 votes)

50= City Lights

Charlie Chaplin, 1931 (29 votes)

50= Ugetsu monogatari

Mizoguchi Kenji, 1953 (29 votes)

50= La Jetée

Chris Marker, 1962 (29 votes)

The Top 10 Greatest Films of All Time

Sight and Sound, 01.08.2012.

846 critics, programmers, academics and distributors have voted – and the 50-year reign of Kane is over. Our critics’ poll has a new number one.

Introduction

VertigoIan Christie rings in the changes in our biggest-ever poll.
And the loser is – Citizen Kane. After 50 years at the top of the Sight & Sound poll, Orson Welles’s debut film has been convincingly ousted by Alfred Hitchcock’s 45th feature Vertigo – and by a whopping 34 votes, compared with the mere five that separated them a decade ago. So what does it mean? Given that Kane actually clocked over three times as many votes this year as it did last time, it hasn’t exactly been snubbed by the vastly larger number of voters taking part in this new poll, which has spread its net far wider than any of its six predecessors.
But it does mean that Hitchcock, who only entered the top ten in 1982 (two years after his death), has risen steadily in esteem over the course of 30 years, with Vertigo climbing from seventh place, to fourth in 1992, second in 2002 and now first, to make him the Old Master. Welles, uniquely, had two films (The Magnificent Ambersons as well as Kane) in the list in 1972 and 1982, but now Ambersons has slipped to 81st place in the top 100.
So does 2012 – the first poll to be conducted since the internet became almost certainly the main channel of communication about films – mark a revolution in taste, such as happened in 1962? Back then a brand-new film, Antonioni’s L’avventura, vaulted into second place. If there was going to be an equivalent today, it might have been Malick’s The Tree of Life, which only polled one vote less than the last title in the top 100. In fact the highest film from the new century is Wong Kar-Wai’s In the Mood for Love, just 12 years old, now sharing joint 24th slot with Dreyer’s venerable Ordet…
Ian Christie’s full essay on changing fashions on our new poll is published in the September 2012 issue of Sight & Sound, available from 3 August on UK newsstands and as a digital edition from 7 August. See Nick James’s poll coverage introduction for details of our methodology. Texts below are quotations from our poll entries and magazine coverage of the top ten. Links are to the BFI’s Explore Film section. The full, interactive poll of 846 critics’ top-ten lists will be available online from 15 August, and the Directors’ poll (of 358 entries) a week later.

THE TOP 10

1. Vertigo

Alfred Hitchcock, 1958 (191 votes)
VertigoHitchcock’s supreme and most mysterious piece (as cinema and as an emblem of the art). Paranoia and obsession have never looked better—Marco Müller
After half a century of monopolising the top spot, Citizen Kane was beginning to look smugly inviolable. Call it Schadenfreude, but let’s rejoice that this now conventional and ritualised symbol of ‘the greatest’ has finally been taken down a peg. The accession of Vertigo is hardly in the nature of a coup d’état. Tying for 11th place in 1972, Hitchcock’s masterpiece steadily inched up the poll over the next three decades, and by 2002 was clearly the heir apparent. Still, even ardent Wellesians should feel gratified at the modest revolution – if only for the proof that film canons (and the versions of history they legitimate) are not completely fossilised.
There may be no larger significance in the bare fact that a couple of films made in California 17 years apart have traded numerical rankings on a whimsically impressionistic list. Yet the human urge to interpret chance phenomena will not be denied, and Vertigo is a crafty, duplicitous machine for spinning meaning…—Peter Matthews’ opening to his new essay on Vertigo in our September issue

Citizen Kane 2. Citizen Kane

Orson Welles, 1941 (157 votes)
Kane and Vertigo don’t top the chart by divine right. But those two films are just still the best at doing what great cinema ought to do: extending the everyday into the visionary—Nigel Andrews
In the last decade I’ve watched this first feature many times, and each time, it reveals new treasures. Clearly, no single film is the greatest ever made. But if there were one, for me Kane would now be the strongest contender, bar none—Geoff Andrew
All celluloid life is present in Citizen Kane; seeing it for the first or umpteenth time remains a revelation—Trevor Johnston

Tokyo Story 3. Tokyo Story

Ozu Yasujiro, 1953 (107 votes)
Ozu used to liken himself to a “tofu-maker”, in reference to the way his films – at least the post-war ones – were all variations on a small number of themes. So why is it Tokyo Story that is acclaimed by most as his masterpiece? DVD releases have made available such prewar films as I Was Born, But…, and yet the Ozu vote has not been split, and Tokyo Story has actually climbed two places since 2002. It may simply be that in Tokyo Story this most Japanese tofu-maker refined his art to the point of perfection, and crafted a truly universal film about family, time and loss—James Bell

4. La Règle du jeu

Jean Renoir, 1939 (100 votes)
La Règle du jeuOnly Renoir has managed to express on film the most elevated notion of naturalism, examining this world from a perspective that is dark, cruel but objective, before going on to achieve the serenity of the work of his old age. With him, one has no qualms about using superlatives: La Règle du jeu is quite simply the greatest French film by the greatest of French directors—Olivier Père

 

 A Song of Two Humans5. Sunrise: A Song of Two Humans

FW Murnau, 1927 (93 votes)
When F.W. Murnau left Germany for America in 1926, did cinema foresee what was coming? Did it sense that change was around the corner – that now was the time to fill up on fantasy, delirium and spectacle before talking actors wrenched the artform closer to reality? Many things make this film more than just a morality tale about temptation and lust, a fable about a young husband so crazy with desire for a city girl that he contemplates drowning his wife, an elemental but sweet story of a husband and wife rediscovering their love for each other. Sunrise was an example – perhaps never again repeated on the same scale – of unfettered imagination and the clout of the studio system working together rather than at cross purposes—Isabel Stevens

 A Space Odyssey 6. 2001: A Space Odyssey

Stanley Kubrick, 1968 (90 votes)
2001: A Space Odyssey is a stand-along monument, a great visionary leap, unsurpassed in its vision of man and the universe. It was a statement that came at a time which now looks something like the peak of humanity’s technological optimism—Roger Ebert

7. The Searchers

The SearchersJohn Ford, 1956 (78 votes)
Do the fluctuations in popularity of John Ford’s intimate revenge epic – no appearance in either critics’ or directors’ top tens in 2002, but fifth in the 1992 critics’ poll – reflect the shifts in popularity of the western? It could be a case of this being a western for people who don’t much care for them, but I suspect it’s more to do with John Ford’s stock having risen higher than ever this past decade and the citing of his influence in the unlikeliest of places in recent cinema—Kieron Corless

Man with a Movie Camera 8. Man with a Movie Camera

Dziga Vertov, 1929 (68 votes)
Is Dziga Vertov’s cine-city symphony a film whose time has finally come? Ranked only no. 27 in our last critics’ poll, it now displaces Eisenstein’s erstwhile perennial Battleship Potemkin as the Constructivist Soviet silent of choice. Like Eisenstein’s warhorse, it’s an agit-experiment that sees montage as the means to a revolutionary consciousness; but rather than proceeding through fable and illusion, it’s explicitly engaged both with recording the modern urban everyday (which makes it the top documentary in our poll) and with its representation back to its participant-subjects (thus the top meta-movie)—Nick Bradshaw

The Passion of Joan of Arc 9. The Passion of Joan of Arc

Carl Dreyer, 1927 (65 votes)
Joan was and remains an unassailable giant of early cinema, a transcendental film comprising tears, fire and madness that relies on extreme close-ups of the human face. Over the years it has often been a difficult film to see, but even during its lost years Joan has remained embedded in the critical consciousness, thanks to the strength of its early reception, the striking stills that appeared in film books, its presence in Godard’s Vivre sa vie and recently a series of unforgettable live screenings. In 2010 it was designated the most influential film of all time in the Toronto International Film Festival’s ‘Essential 100’ list, where Jonathan Rosenbaum described it as “the pinnacle of silent cinema – and perhaps of the cinema itself”—Jane Giles

10. 8½

Federico Fellini, 1963 (64 votes)
8½Arguably the film that most accurately captures the agonies of creativity and the circus that surrounds filmmaking, equal parts narcissistic, self-deprecating, bitter, nostalgic, warm, critical and funny. Dreams, nightmares, reality and memories coexist within the same time-frame; the viewer sees Guido’s world not as it is, but more ‘realistically’ as he experiences it, inserting the film in a lineage that stretches from the Surrealists to David Lynch
Mar Diestro Dópido

vendredi 17 août 2012

Les riches fuient la France d'Hollande... Info ou Intox ?

Les cris épouvantés de l'opposition et les appels du pied britanniques ont-ils d'ores et déjà suscité un exode massif des contribuables français les plus fortunés ? Rien n'est moins sûr, comme le révèle l'enquête que nous avons menée.

(ISOPIX/SIPA)
(ISOPIX/SIPA) Adios ! Goodbye ! Arrivederci ! Depuis l'élection de François Hollande, les plus riches contribuables français fuiraient l'Hexagone. Certes, vous ne les voyez pas faire la queue aux postes de douanes au volant de leurs berlines de luxe, mais ils partiraient tous en masse, avec armes et bagages, femme, enfants et capitaux. La grande transhumance aurait commencé. Tout le monde le dit, l'écrit, le crie : patrons, banquiers, créateurs de mode, footballeurs, économistes, éditorialistes... La nouvelle politique fiscale du gouvernement Ayrault pousserait les plus nantis à l'exil. Direction Londres où David Cameron déroule pour eux «le tapis rouge», Genève ou Zurich, là où la chasse aux riches n'est pas (encore) ouverte. Et cette supposée évidence est reprise en boucle, telle une assourdissante propagande, par la plupart des chefs galonnés de l'UMP. Patrick Balkany parle d'un «exode» - oui, comme en juin 1940. Le député-maire de Levallois compare même la France de François Hollande à la Corée du Nord... Déjà, pendant la campagne présidentielle, lorsque le candidat socialiste avait promis de taxer à 75 % les revenus supérieurs à 1 million d'euros par an, le député de Savoie Dominique Dord, par ailleurs trésorier de l'UMP et de la campagne de Nicolas Sarkozy, avait lancé, sans rire : «De ma circonscription savoyarde, je tente depuis hier de verrouiller la frontière suisse. A 75 % d'impôt, peut-être plus la semaine prochaine, je crains que la file d'attente ne vienne jusqu'à Aix-les-Bains.» Mais sur quoi se fondent-ils, au juste, pour être aussi affirmatifs ?

«D'ordinaire, je recevais cinq à six personnes par an tentées par une délocalisation. Au début de l'année 2012, le rythme est passé à une par semaine, et j'en suis à deux depuis la fin avril», confie à Marianne l'avocat Jean-Sébastien Dumont. Le calcul est vite fait : une multiplication par 20 du business. Dans cette antenne parisienne du cabinet Nixon Peabody, comme chez ses confrères avocats fiscalistes, les rendez-vous s'enchaînent depuis le dernier trimestre 2011. En France, peut-être un peu plus qu'ailleurs, la crise et les déficits des comptes publics ont remis à l'ordre du jour les hausses d'impôts. Dans le viseur socialiste, les plus hauts revenus. Déjà, la fin du quinquennat de Nicolas Sarkozy, jalonnée de hausses de prélèvements, n'annonçait rien de bon pour les gros patrimoines, même en cas de victoire, improbable, de l'inventeur du bouclier fiscal à 50 %. Donné gagnant, François Hollande, avec ses «75 %» et son retour à l'ISF d'avant 2007, faisait cauchemarder les contribuables les plus aisés, certains d'être dévorés par le croque-mitaine des riches : l'inspecteur des impôts. En 1981, ils prédisaient l'arrivée des chars soviétiques sur les Champs-Elysées ; en 2012, ils craignent les chasseurs du fisc ! Et ce ne sont pas les déclarations tonitruantes de la droite (lire l'encadré ci-contre) prédisant un exode massif de tout ce que la France compte de sièges sociaux, détenteurs de patrimoines et entrepreneurs, voire l'hémorragie des capitaux, qui vont apaiser leurs angoisses. Même Françoise Hardy semble cette fois avoir trouvé les mots pour dire adieu à la France.

Dans un sondage, en réalité un vote ouvert, le site du Figaro relayait récemment cette vision apocalyptique : à la question «craignez-vous un exode fiscal ?», 82,16 % des 22 017 internautes répondaient oui ! Pour ceux-là - et pour tous les autres -, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a tenté la «calinothérapie» : il n'est «pas l'ennemi de l'argent», a-t-il lancé. Dans son discours de politique générale, l'ancien maire de Nantes avait sans doute à coeur de contrebalancer les propos du président qui, un jour, déclara : «Je n'aime pas les riches.» D'où cette question : exode fiscal massif catastrophique pour l'économie du pays ou phénomène marginal ? Info ou intox ?

Bien sûr, il y a Marie. Cette fois, c'est décidé. La jeune femme, bientôt 30 ans, ira rejoindre ses parents à Bruxelles, avec enfants, mari, bagages et surtout son énorme patrimoine d'héritière. Issue d'une famille d'industriels du Nord, Marie comptait pourtant terminer en France son cycle universitaire. Diplôme en poche, elle pensait même commencer à y exercer, avant de se (re)poser la question d'un départ, celle-là même à laquelle ses parents ont répondu positivement depuis longtemps déjà. La victoire de François Hollande a emporté sa décision, jusque-là incertaine. Pas question pour Marie de justifier son choix, même anonymement. Elle ne dira rien de son parcours de combattante contre le fisc : les rendez-vous avec les avocats fiscalistes, le montant exorbitant de leurs honoraires, le choix de la nouvelle école des enfants, les visites d'appartement, les équivalences de diplômes... Toutes ces questions auxquelles se confrontent les candidats à l'exil. Le cas de Marie reste cependant marginal.

«Ce matin encore, j'ai eu un rendez-vous avec des gens qui souhaitaient s'installer en Suisse dans l'urgence. Etude faite, la Confédération s'est révélée trop chère pour eux», s'amuse Philippe Kenel. Cet avocat n'a plus besoin de faire de publicité. Depuis la parution de son livre*, les médias s'en chargent très bien. Trop cher pour eux ? Ces clients n'avaient pas les moyens de se payer le forfait fiscal de 100 000 € en moyenne que le fisc helvétique réclame aux résidants français. D'autres ont eu les moyens. Au total, «une quinzaine de délocalisations de Français, réalisées depuis janvier dernier, contre une douzaine par an ordinairement», que notre avocat a installés dans les cantons de Genève et de Vaud. «Certaines de leurs demandes dataient d'avant le 18 juin 2012, mais n'ont été réalisées qu'après la victoire socialiste aux élections législatives, précise Me Philippe Kenel. Mais de là à parler d'un exode, il y a un monde...»

Même son de cloche au cabinet Arsene. «Pour l'heure, de nombreuses personnes poussent la porte de mon bureau pour se renseigner, tant sur leur départ que sur celui de leur société. Mais, en général, la plupart attendent de connaître les mesures fiscales que prendra le gouvernement de manière effective, raconte Michel Taly, le fiscaliste star du bureau parisien de ce cabinet anglo-saxon. Il y a bien sûr la loi de finances rectificative de l'été, mais il y a surtout la loi de finances pour 2013 qui, elle, entrera dans le dur du sujet.» En attendant de savoir à quelle sauce fiscale ils seront assaisonnés, les gros patrimoines financiers ou immobiliers cherchent conseil auprès des spécialistes de l'expertise. Ceux-là, souvent âgés et non anglophones, opteront pour la Suisse, la Belgique ou le Luxembourg. Les autres candidats à la délocalisation, les actifs, les entrepreneurs, regarderont de préférence du coté du Royaume-Uni, voire des Etats-Unis.

Une politique de drague

Impossible, cependant, d'obtenir le moindre chiffre sur une période aussi courte. En revanche, l'opportunité de voir débouler capitaux et entreprises avec leur potentiel d'emplois aiguise les appétits de nos voisins : «Quand la France instituera un taux de 75 % pour la tranche supérieure de l'impôt sur le revenu, nous déroulerons le tapis rouge, et nous accueillerons plus d'entreprises françaises, qui paieront leurs impôts au Royaume-Uni», se félicitait récemment le Premier ministre britannique, David Cameron. Provocation ? Pas seulement. Le chef du Parti conservateur, élevé au lait du libéralisme anglo-saxon, est d'une redoutable constance. Cet étrange appel du 18 Juin aux résistants fiscaux français pour qu'ils traversent en nombre le channel n'est que la suite logique d'une politique de drague éhontée des entrepreneurs français. En témoigne la campagne de publicité de l'UK Trade & Investment (UKTI), lancée dès avril et placardée jusqu'aux frontières parisiennes du royaume. Dans les aéroports de Roissy et d'Orly, et à la gare du Nord, à Paris, sur le quai de l'Eurostar, les voyageurs ont pu, des semaines durant, contempler ces affiches destinées aux Froggies encravatés : «Entrepreneurs are great». Sous-titre : «Au Royaume-Uni, créer une entreprise est facile et rapide». «C'est une campagne commandée par le cabinet du Premier ministre, assure Hervé Grella, du bureau français dxe l'UKTI. Avec cet appel aux entrepreneurs français, le chef du gouvernement fait bien son travail de commercial», poursuit-il. Pas question, cependant, de se risquer à la concurrence fiscale frontale. Officiellement ne sont courtisées que les entreprises désireuses de se développer outre-Manche : «Nous ne visons pas la création d'entreprises boîtes aux lettres, avec zéro activité au Royaume-Uni. Notre soutien s'adresse aux créations, à l'extension ou à l'acquisition d'entreprises en Grande-Bretagne par des ressortissants français. S'ils s'y installent, c'est qu'ils l'ont choisi.» Mais, là encore, pas la moindre statistique, sinon le nombre de ceux qui ont sauté le pas l'année passée : 69 projets ont reçu le soutien de l'UKTI, générant 5 900 emplois nouveaux. Au total, la Grande-Bretagne compte aujourd'hui 2 000 entreprises tricolores employant plus de 330 000 salariés.

La Suisse perd de son lustre

En tout cas, quelque chose a bougé, comme le relate le Telegraph : «Depuis février, quand François Hollande a annoncé sa volonté de taxer les riches, les recherches internet émanant de résidents français sur des logements à 5 millions de livres dans le centre de Londres ont explosé», explique Liam Bailey dans le quotidien britannique. Sans livrer, lui non plus, de chiffres concrets...

«On ne s'expatrie pas quand la tranche marginale de l'impôt passe de 41 à 45 %, comme ce fut le cas sous le gouvernement Fillon, insiste Jean-Sébastien Dumont. Mais la question peut se poser pour un passage à 75 % d'impôt au-delà du million d'euros de revenus annuels. En réalité, poursuit l'avocat fiscaliste, c'est surtout l'instabilité fiscale que les entrepreneurs détestent le plus. Ainsi, l'an dernier, le précédent gouvernement a supprimé l'avantage fiscal lié aux jeunes entreprises innovantes [JEI]. Alors que l'exonération de charges s'appliquait à tous leurs salariés, cet avantage a été restreint à seulement trois salariés. Cette mesure a totalement chamboulé le business plan de ces entreprises fragiles.» La question ne se pose d'ailleurs pas qu'en France. La Confédération helvétique, modèle de stabilité, subit elle aussi les contrecoups de la crise. Outre la dégradation du secret fiscal, passablement écorné par l'affaire HSBC (le pays a dû fournir les noms de certains clients aux Etats-Unis), la Suisse réfléchit également à une réforme de son sacro-saint «forfait fiscal». Voire à sa disparition, comme l'a déjà décidé le canton de Zurich. Un drame pour les 2 000 Français qui en bénéficiaient - 44 d'entre eux figuraient même parmi les 300 personnes les plus riches du pays. «C'était devenu insupportable pour les citoyen suisses de voir des rentiers s'acquitter d'une minicontribution», confirme Me Kenel. Si l'on ajoute à cela la hausse prodigieuse des prix de l'immobilier, la retraite sur le lac Léman est en passe de perdre de son lustre..

Stéphane Chapus, lui, n'a que faire de ces revirements suisses. Le créateur de la société Le Grand Studio, une petite entreprise Web spécialisée dans les réseaux sociaux, regarde par-delà les océans. Direction l'île Maurice. «L'idée d'un départ était déjà armée, l'élection de François Hollande n'a été que le détonateur. Regardez la future hausse de la CSG...» explique-t-il. Pour ce créateur d'entreprise - la seconde après un premier échec dû à l'explosion de la bulle Internet en 2000 -, le développement de sa nouvelle structure ne pourra se faire que sous d'autres cieux. «S'il y a des paradis fiscaux, c'est qu'il y a des enfers fiscaux. Sans compter la lourdeur administrative de certains pays», raille ce quadragénaire. Les avantages de sa future installation à l'île Maurice ? «Pas d'impôts sur les plus-values, ni sur les dividendes. Les prélèvements sont de 5 % au titre des charges salariales, 15 % sur les résultats. Le personnel y est qualifié, 300 000 personnes travaillent dans le high tech, et surtout nous n'avons que deux heures de décalage horaire avec Paris.» Mais il y a plus important : «Pour moi, la crise va être profonde. Et plus encore en Europe, qui ne sait pas où elle va. Il y a un fort risque sur l'euro, un risque important de hausse de la fiscalité, mais surtout une incertitude sur l'activité. Moi, je réalise l'ensemble de mon chiffre d'affaires avec cette zone. Si, dans un an, ces risques se matérialisent, je préfère très bien vivre au soleil avec 1 000 € par mois que mal à Paris avec 5 000 €.»

Et la CSG, alors !

«Un exode fiscal, quel exode fiscal ?» Telle est l'analyse de Vincent Drezet, le secrétaire général du syndicat national Solidaires- Finances publiques. «C'est à chaque fois la même ritournelle sur le départ des riches. A peine si on ne nous ressort pas l'arrivée des chars russes. Mais aucun de ceux qui annoncent ces départs n'est en mesure de produire des chiffres», poursuit-il. Et ce n'est pas dans les rapports de la Cour des comptes qu'ils les trouveront. Au contraire. Les seules données concernant les délocalisations, notamment de contribuables redevables de l'ISF au cours des vingt dernières années, ont conduit les magistrats de la Rue Cambon à conclure que ces départs étaient davantage liés à des motifs professionnels (cadres expatriés) qu'à des stratégies de fuite devant l'impôt. A preuve : entre 1998 et 2008, le solde des départs et des retours représente moins de 1 % du nombre de contribuables soumis à l'ISF. Quant à ceux qui veulent le beurre et l'argent du beurre - autrement dit, habiter en France tout en déclarant résider dans un autre pays -, 177 d'entre eux se sont fait alpaguer. Ensemble, ces «fausses expatriations» ont fait l'objet de 77 millions d'euros de redressement fiscal en 2011, «et il y en a bien davantage», assure Vincent Drezet.

Alors que le débat s'est focalisé sur l'exode des plus riches, le gouvernement est en passe de mettre à son menu fiscal 2013 une hausse de la CSG. Avec sa base fiscale extralarge, tous les revenus y sont soumis (des salaires aux retraites, en passant par les revenus immobiliers et mobiliers), sans distinction de richesse. Cette décision fera un gagnant : les caisses de la Sécurité sociale, qui recevront 11 milliards d'euros pour chaque point supplémentaire. Et un perdant : le discours du candidat devenu président, qui promettait de ne faire payer que les riches en épargnant les classes moyennes... En attendant, ce sont les riches qu'on entend. Normal, ils crient avant d'avoir mal ! E.L.

* Délocalisation et investissements des personnes fortunées étrangères en Suisse (Favre).

Article publié dans le magazine Marianne n°795 et daté du 13 au 20 juillet 2012.

L'ordre et la morale

So Foot, 06.08.2012.

La FFF a donc annoncé la suppression des primes de quatre joueurs du dernier Euro (Samir Nasri, Hatem Ben Arfa, Yann M'Vila et Jérémy Ménez) et la réduction de celles des autres Bleus ainsi que la mise en route d'une « commission de réflexion » sur l'avenir de ces rétributions généreusement accordées aux capés. Peu avant, Didier Deschamps livrait à l'AFP ses priorités en termes de gestion du groupe. Et cela sentait bon le hussard noir du foot tricolore. Après le Président, le ministre de l’Intérieur ? 

"De par l'historique, ce qui s'est passé en 2010 et dans cet Euro 2012, les joueurs doivent prendre conscience d'un devoir d'exemplarité sur le terrain et en dehors." Exemplarité, le mot est lâché comme une bombe qui n’explose jamais. Didier Deschamps en appelle à cette boussole invisible pour redorer l'image de l’Equipe de France, assurer la cohésion de la sélection nationale, et donc garantir sa réussite future. Seul petit problème, il s’avère assez difficile d’en définir les contours et ce ne sont pas les éternels codes de bonne conduite (comme le couvre-feu à Rennes) qui dissiperont le flou artistique qui nimbe ce concept fourre-tout. Spécialement quand on sait que la morale se fracasse toujours les dents sur le mur de l’argent. Où se situent notamment les limites à ne pas dépasser ? Le respect du droit ne suffit-il plus ? Et sinon, qui va désigner ceux qui franchissent la ligne rouge (et quelles sont-elles, d'ailleurs) ? Les médias, l’opinion publique ou la direction de la FFF ? En dehors du terrain, à moins d’enfreindre la loi, en quoi les comportements d’un international seraient-ils plus sujets au contrôle public que celui des stars ou des politiques, et plus simplement de n’importe quel citoyen avec le respect de sa vie privée ?

Le foot boit la tasse éthique de la natation

Cela dit, les déclarations de Didier Deschamps interviennent un peu, peut-être à dessein, dans le vide médiatique (d’autant plus que, par ailleurs, le PSG a terminé d'animer un triste mercato). Le foot tricolore apparaît bien loin des préoccupations de nos compatriotes, trop heureux de regoûter un peu d'ivresse patriotique grâce aux succès de nos nageurs, de braves garçons et filles de classe moyenne, à l’image d’un Yannick Agnel, lecteur de Nabokov et Montesquieu, qui fournissent en outre l'occasion aux fédérations olympiques d’infliger au « sport roi » une petite leçon de civisme athlétique, voire d'éducation citoyenne. Pourtant, ici, personne ne conteste les primes des vainqueurs - ni ne s’ennuient à suivre leurs faits et gestes - qui sont pour le coup directement puisées dans les caisses de l’État... Bref. Même dans le registre du ballon rond, ce sont pour une fois les filles qui redonnent du baume au cœur à la patrie de Jules Rimet et Marinette Pichon. Y compris dans les tweets de Pierre Ménès.

Certes, à la décharge de l’ancien entraineur de l'OM, s’il n’arrive peut-être pas dans une situation reluisante, elle s’avère néanmoins fort éloignée du catastrophisme général (politique, sportif, médiatique, etc.) post Knysna, qui avait transformé Laurent Blanc en ultime sauveur. On a vu qu’il n’en fut rien. Peut-être parce que « Le Président » ne voulait pas endosser ce rôle, qu’il n'aspirait qu'à gérer un effectif et que son désarroi durant l’Euro tenait autant à son incompréhension avec Noël Le Graët qu’à son sentiment d’impuissance devant des gars qui ne croyaient certainement pas en leur destin ni en leurs capacités à le forcer sur les pelouses ukrainiennes. Si de ce point de vue, il a sportivement rempli son contrat, il avait conscience aussi que la lente déliquescence d’un « collectif » quasi-inexistant n'augurait rien de bon pour la suite.

Une épiphanie politique ?

En tout cas, dans son interview à l’AFP – on est loin des ors télévisuels de Canal Plus -, le nouveau sélectionneur admet à demi-mots, contrairement à son prédécesseur qui déléguait cette dimension à la Fédé, que le problème et la raison d'être de la sélection nationale, surtout quand elle ne remporte aucun titre, ne consiste pas simplement à remporter ses rencontres l’une après l’autre. Il importe désormais de réconcilier un pays avec son football, et presque, pour tout dire, avec ses classes populaires (et plus largement avec sa « diversité »): "Il y a deux choses importantes : la notion de plaisir, de représenter la France, de porter ce maillot, et parallèlement un esprit. Être international français, ça doit être au-dessus de tout, même pour les joueurs qui jouent dans des grands clubs et de grandes compétitions". L'ambiance politique et la crise économique appellent en conséquence d'autres formes de mobilisations symboliques, ce que Laurent Blanc ne voulait ou ne savait pas voir (rappelez-vous, les quotas). Seul petit problème, il reste à deviner ce que cet « esprit » peut signifier ou englober comme postures concrètes.

De la sorte, loin d'entrer en contradiction avec le fait d’évoluer au Bayern ou au Real (comme le laisse supposer les propos de l’ancien Nantais), jouer en sélection nationale constitue en général la cerise sur le gâteau, avec un fort retour sur investissement sur le mercato suivant (ce que globalement Italiens ou Espagnols ont bien intégré). Il faudra autre chose que des imprécations erratiques pour que les enfants de nos centres de formation, auxquels on inculque d'abord à se vendre à l’étranger pour financer les clubs hexagonaux et à engraisser leur plus-value sportive, cessent d’être des purs produits d'exportation tournés vers l’étranger. Demande-t-on aux traders de rendre leur carte d’identité quand ils vont s’exiler en Angleterre ?

Sauver les Bleus en interdisant la LFP ?

Didier Deschamps et Noel Le GraetA suivre le point de vue de Deschamps, en toute cohérence, c'est presque se demander si la dissolution de la LFP et des centre de formation ne s’impose pas... On ne peut taper sur les progénitures d’un système sans oublier qui tient les commandes et gère la fabrique des footballeurs. L'équipe de France tant désirée par Noël Le Graët et l’ensemble de la presse sportive ne peut naitre ex-nihilo, du moins comme en rêve apparemment le service de com' de la FFF dans le seul but de vendre ses contrats de sponsoring. La République s'est autant construite avec l'Éducation nationale que par ses lois et ses constitutions. Chanter La Marseillaise ne doit pas se réduire à une punition pour donner le bon exemple à la jeunesse du pays et le rôle d’un sélectionneur ne se résume pas à administrer une tape sur la nuque de celui qui oublie de retirer sa capuche et ses écouteurs. Car qui dit reprise en main parle sanction : "Je souhaite ardemment que tout le monde ait une attitude et un comportement idéaux. S'il y en a qui ne l'ont pas, ce n'est pas moi qui ne vais pas les prendre : ils se condamneront eux-mêmes. Le fait de sélectionner ou de ne pas sélectionner, c'est une forme de sanction sportive." Si l’on comprend bien, en creux, à la différence de Laurent Blanc, qui faisait passer avant tout le critère « compétence » (d’où le retour de Ribéry), Didier Deschamps inverse la perspective car il sait que « le supporter français attache autant d'importance au résultat qu'au comportement, a-t-il poursuivi. Même si ce ne sont pas des choses graves au sens propre du terme, ça dérange, ça indispose, voire plus pour certains. On ne peut pas faire l'unanimité, mais il faut que les joueurs soient très vigilants".

De son côté, la FFF annonce enfin une réflexion sur le maintien des fameuses primes. Ce qui revient à reconnaitre que le France n'est malgré tout toujours pas un pays anglo-saxon (où rien n’empêche de conjuguer appât du gain et nationalisme de bon aloi). Dans la nation de Jaurès et Renan, les beaux esprits attendent encore que le patriotisme s’affiche comme un exercice altruiste, en principe délivré à titre gracieux (voir la sempiternelle et hypocrite polémique sur les rémunérations que touchent nos politiques, notamment dès qu’ils sont en fonction). Comme souvent dans la Cinquième, il s'agit davantage de protéger les apparences que de garantir leur application. Or, les footeux avaient un peu perdu de cette fausse pudeur qui fait tout le sel des grands idéaux à l’ère médiatique. Didier Deschamps promet désormais que les apparences seront au moins sauves, peu importent les résultats. On comprend mieux pourquoi la Juventus Turin ne l’a pas gardé lors de la remontée en Série A.

Nicolas Kssis-Martov

mardi 14 août 2012

Université populaire de Psychanalyse Jacques Lacan

 
Créée le dimanche 8 novembre 2009 à Paris
Par Jacques-Alain Miller

Il y a un temps pour penser – méditer, calculer, supputer, tergiverser – et il y a un temps pour agir, foncer, passer au registre de l’acte, ce qui comporte toujours de traverser en toute hâte la barrière du non-savoir.

Voici quelque temps que j’ai mis l’idée en discussion, de créer un puissant pôle d’enseignement à Paris, en réunissant sous un même chapeau, sans mettre en cause leur autonomie de fonctionnement, les enseignements de l’École, ceux du Département de psychanalyse, les deux Sections cliniques, le Collège freudien pour la formation permanente, l’Envers de Paris, les Groupes du Champ freudien, que sais-je encore ? Je suis allé jusqu’à évoquer l’idée d’une Université européenne, et cette idée a été soutenue par Uforca, bien accueillie en Espagne comme en Italie.

Il manquait ce que Stendhal appelle « cristallisation ». Ces Journées en sont l’occasion. Vous êtes ici plus de 2 000 : c’est une affluence sans précédent. Surtout, n’en déplaise aux oiseaux de mauvais augure nous promettant « la kermesse » parce que nous ne tirons plus la tête d’enterrement qui est traditionnelle chez les analystes en toute circonstance institutionnelle, on n’a jamais mieux travaillé, plus sérieusement et plus plaisamment.

Une ligne politique se dégage ; je l’expose au fur et à mesure qu’elle se révèle à moi, comme un prophète qui ne serait que logicien ; elle recueille ces jours-ci l’assentiment de la plupart. Eh bien, le moment est venu de conclure sur l’affaire universitaire, pour aller de l’avant sur d’autres plans encore.
Je dis « Université populaire », parce que le terme est connu, qu’il a cours, et qu’il indique bien que nous prendrons à cœur cette « éducation freudienne du peuple français » que j’appelais de mes vœux au début de cette décennie – sauf à l’étendre à tous les peuples, comme nous y encourage l’exemple de Mitra Kadivar en République islamique d’Iran. Les religions ont bien réussi à orienter l’humanité vers des divinités d’utilité douteuse, et dont l’existence est sujette à controverse. Pourquoi reculer devant la notion d’une humanité analysante ? Ce n’est pas pour demain, je vous le concède – mais après-demain ? Tomorrow, the World !

Je l’appelle « Jacques-Lacan » parce que je veillerai à ce qu’elle soit digne de ce nom. Ce sera une association sans but lucratif ; on essayera de la faire reconnaître d’utilité publique. Elle abritera le Pôle parisien dont je parlais, auquel s’ajouteront les principaux établissements Uforca, et les meilleurs de l’étranger, comme l’ICBA (Institut clinique de Buenos Aires) ou le Séminaire franco-bulgare distingué par Judith Miller. Je vois bien cette Université abriter un Institut Lacan, dédié aux études lacaniennes. Je la vois aider les établissements d’enseignement du Champ freudien à se reconfigurer et à se perfectionner, sur la base du volontariat, et, je l’ai dit, dans le respect des autonomies de gestion. Réduire au minimum le nombre des établissements en gestion directe. L’Université populaire devra être dotée d’un département des publications, où réinscrire le Journal des Journées, LNA-Le Nouvel Âne, Ornicar ?, et ouvrir un site et un blog propres.

Je pose l’acte. Je n’ai pas plus de détails à communiquer. On les discutera ensuite, dans l’esprit des Journées, win-win. Cette Université populaire, je la construirai à ciel ouvert, sous la tyrannie de la transparence, avec ceux qui voudront y collaborer, en particulier dans le Journal, et sur Twitter.

 http://www.lacan-universite.fr/

Michel Onfray et Jacques Miller - En finir avec Freud

Soixante-dix ans après sa mort, Freud est toujours source de discorde. Face au philosophe Michel Onfray, résolu à démonter le mythe, le psychanalyste  Jacques-Alain Miller défend l'héritage. Entre l'hédonisme libertaire du premier et le cynisme supérieur du second, il est difficile de les départager.

Par Martin Duru et Alexandre Lacroix

Impossible de ne pas retenir son souffle en pénétrant dans la vaste cour de l'immeuble dans lequel habite Jacques-Alain Miller, à deux pas du jardin du Luxembourg.  

Charmant, amusé, un cigarillo à la main, l'éminent psychanalyste nous a reçus chez lui, dans un imposant salon orné de toiles de maîtres, où officiait discrètement une femme de service en tablier noir et blanc. Le fondateur de l'Association mondiale de psychanalyse a serré la main du fondateur de l'université populaire de Caen. D'un côté, une des intelligences les plus affûtées de Paris, un normalien, agrégé de philosophie, si soucieux de perfectionnisme qu'il n'a toujours pas achevé la publication des séminaires de Lacan, entreprise en 1975, il y a trente-quatre ans… De l'autre, un fils d'ouvrier agricole, qui vit toujours à Argentan où il est né, franc-tireur, volcan d'énergie publiant trois à quatre livres par an. Loin de s'en laisser conter, Michel Onfray s'est installé sur un canapé et s'est lancé dans son réquisitoire contre Freud. Cette année, dans son cours à l'université populaire, le philosophe a entrepris de déboulonner la statue du père de la psychanalyse, à coups de thèses fracassantes : « La thérapie freudienne n'est pas une technique scientifique, mais un procédé magique », « L'éros freudien ne contribue pas à la libération sexuelle, mais au conformisme bourgeois », « La constellation freudienne ne suppose pas le contrat intellectuel, mais l'affiliation religieuse », etc. Il en fera un livre à paraître en mars chez Grasset : Le Crépuscule d'une idole : l'affabulation freudienne. Face à ces attaques, Jacques-Alain Miller a parfois acquiescé, souri, mais il lui est aussi arrivé de s'empourprer, d'élever la voix contre ce qui lui semblait des piques trop naïves, une approche de Freud lacunaire. À un moment donné, il est franchement sorti de ses gonds, a trouvé des accents imprécateurs. Après coup, il a justifié son emportement : « Excusez-moi, ma psychanalyse n'a pas été complètement réussie, j'ai encore des accès de colère. »

Michel Onfray :J'ai commencé à lire Freud assez jeune, vers 13 ou 14 ans, après avoir acheté sur le marché d'Argentan les Trois Essais sur la théorie de la sexualité. Je l'ai découvert à peu près à la même époque que Marx et Nietzsche. Fils d'ouvrier agricole, j'étais enchanté par le projet marxiste d'abolir le capitalisme. Pensionnaire d'un établissement religieux, je me délectais de l'antichristianisme nietzschéen. Quant à Freud, il parlait beaucoup au petit masturbateur que j'étais…

Jacques-Alain Miller :Freud a aidé le jeune Michel Onfray à vivre ses masturbations infantiles !

M. O. : Les problèmes adolescents sont universels.

J.-A. M. : On peut aussi se préoccuper de l'être féminin en général…

OnfrayM. O. : L'adolescent est un être qui passe son temps à courir après les filles. Comme elles sont plus rapides que lui, il ne lui reste que ses mains : c'est quand même ça, la configuration ontologique de l'adolescent. Freud m'a réconforté, qui affirme que la sexualité est présente dès la plus petite enfance, que c'est là une situation naturelle et saine. En classe de terminale, j'ai lu l'Introduction à la psychanalyse et Totem et tabou. À l'université, j'ai étudié les Cinq psychanalyses, avec les fameux récits des cures de Freud – Dora, l'Homme aux rats, l'Homme aux loups, le petit Hans, etc. – qui se concluent par des guérisons miraculeuses. Ensuite, j'ai enseigné pendant vingt ans en lycée technique et donné des cours sur le corpus freudien, dont le complexe d'Œdipe. Je me suis aperçu que cela passionnait bien plus mes élèves que l'impératif catégorique de Kant… Quand on évoque Freud en classe, il y a un moment de grâce : les élèves comprennent qu'il est question de leur père, de leur mère, de leur sexualité. Là, j'ai perçu pour la première fois le pouvoir magique de la psychanalyse. Les élèves me considéraient comme une espèce de gourou détenant la clé de leurs tourments existentiels. Or, ce gourou, je ne voulais pas le devenir, par refus de la position du maître.

J.-A. M. : Lacan appelle ça « l'effet du sujet supposé savoir », pouvoir de fascination qui peut se monnayer sous des formes diverses.

M. O. : Monnayer, le terme est bien choisi ! Après avoir démissionné de l'Éducation nationale, j'ai créé l'université populaire de Caen, où je propose une contre-histoire de la philosophie. Ma méthode consiste à tirer de l'oubli des philosophes méconnus ou à développer une lecture nietzschéenne de la pensée des auteurs « célèbres ». Dans la préface du Gai Savoir, Nietzsche soutient qu'un philosophe est d'abord un homme avec des instincts spécifiques et que sa doctrine, au lieu d'être pure et désintéressée, consiste en un « travestissement inconscient de besoins physiologiques ». Mon projet est d'examiner ces besoins, ces instincts, donc de me livrer à une approche psychobiographique de l'histoire de la philosophie. Dans ce trajet, j'en suis arrivé cette année à Freud – qui coupe le XXe siècle en deux. Pour préparer un séminaire d'une année sur lui, je me suis replongé dans sa vie et son oeuvre complète. Et je n'ai pas été déçu par ce que j'y ai découvert…

J.-A. M. : Mon itinéraire est différent. Comme vous, j'ai lu Freud précocement, vers 14 ou 15 ans. Je suis entré dans son oeuvre par les Cinq psychanalyses, que j'ai dévorées comme un roman d'Agatha Christie. Je voulais savoir comment Freud allait résoudre l'énigme du petit Hans, qui a une peur panique des chevaux… Lorsque j'ai passé mon bac, j'étais beaucoup plus intéressé par la « psychanalyse existentielle » proposée par Sartre dans L'Être et le néant – une psychanalyse sans inconscient, qui maintient l'autonomie du sujet – que par les écrits métapsychologiques de Freud, auxquels je ne comprenais rien. J'essayais, mais ça me semblait… de la bouillie pour chats ! L'Interprétation des rêves m'a séduit davantage, et j'ai tenté d'interpréter mes propres rêves. Je suis entré à l'École normale supérieure et, via Louis Althusser, qui y enseignait la philosophie, j'y ai entendu parler d'un certain Jacques Lacan. Je me suis procuré son texte « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse ». Là, c'est le choc, le bouleversement intellectuel majeur de mon existence. Lacan mariait ce que j'aimais chez Sartre – et il y a une empreinte très forte de la pensée sartrienne sur celle de Lacan – et chez Freud. J'ai assisté à la première séance de son séminaire sur « Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse » et, comme il entendait faire retour à Freud, j'ai commencé à relire ce dernier, sans enthousiasme débordant. J'ai épousé la fille de Lacan, Judith, en 1966. A suivi alors pour moi une période de militantisme intense, dans les rangs de la gauche prolétarienne, dont je suis sorti dévasté. Je suis entré en analyse non pour des raisons théoriques, mais pour continuer à exister après. C'est à ce moment, au début des années 1970, que je me suis lancé vraiment dans l'oeuvre de Freud. J'ai tout lu, je le relis encore. Aujourd'hui, je lui consacre des cours et des séminaires. Ce n'est pas une parole sacrée pour moi, mais un enseignement toujours frais, pertinent, un guide opérant pour la pratique psychanalytique. En tout cas, mon parcours est celui d'un héritier. Vous, vous êtes plutôt un self-made-man, comme Lacan. J'ai de l'estime pour l'énergie des self-made-men.

M. O. : Pour l'instant, je ne touche pas à Lacan. Mon objet, c'est Freud. Pour réaliser sa psychobiographie, j'ai parcouru la littérature critique, dont Le Livre Noir de la psychanalyse. Je ne souscris pas à toutes les contributions de cet ouvrage, mais il présente des faits accablants. Une légende bien ficelée a été forgée autour de Freud, le personnage et le penseur. Quand on se penche sur l'histoire, de nombreuses idées reçues sur la psychanalyse s'effondrent.

J.-A. M. : Je suis scandalisé qu'un homme tel que vous puisse se référer à ce tissu d'abominations qu'est Le Livre noir… Par ailleurs, votre opposition entre l'histoire et la légende me paraît sommaire. Vous êtes une créature étrange, un nietzschéen positiviste, qui rend un culte aux soi-disant « faits », à ce que Nietzsche appelait « l'histoire antiquaire ». La psychanalyse apprend à ne pas céder à cette illusion. Les faits bruts n'existent pas, tout est légende depuis le début. Vous-même fabriquez un mythe en narrant votre découverte de Freud sur le marché d'Argentan. Michel Onfray raconté par lui-même… Bien sûr que Freud a donné lieu à une légende ! Et alors ?

M. O. : Si je parle de légende, c'est pour dénoncer le récit enjolivé, truffé de mensonges et d'oublis volontaires des biographes de Freud, Jones en tête. Que Freud ait été cocaïnomane pendant douze ans, qu'il ait rédigé son Esquisse d'une psychologie scientifique sous l'emprise de cette drogue ou qu'il se soit trompé en conférant à la cocaïne des effets thérapeutiques, ce sont des faits bruts. Je ne suis pas là pour juger moralement, je me situe par-delà bien et mal. Je réclame un droit d'inventaire, pour rétablir la vérité sur certains épisodes troublants de la vie de Freud.

J.-A. M. : Vous allez le rendre sympathique, en le décrivant comme accro à la cocaïne… Ce n'est pas un scoop, et ça n'effraie personne.

M. O. : Peut-être, mais les silences de l'historiographie officielle et les clichés sont légion, d'où mon entreprise de démystification. L'une des principales cartes postales sur la psychanalyse a été écrite par Freud lui-même, lorsqu'il se range du côté de la science. Il prétend s'inscrire dans la lignée de Copernic et de Darwin, en affirmant que son invention constitue une blessure narcissique infligée à l'humanité. Avec ces revendications, Freud est tout bonnement un homme de son temps, obsédé par le modèle scientifique du XIXe siècle. La réalité, c'est que Freud n'a rien d'un scientifique. Son oeuvre est une autobiographie spirituelle, littéraire.

J.-A. M. : Je suis d'accord. Freud est enraciné dans son siècle, il fait allégeance au scientisme ambiant, alors que c'est plus un littéraire, un écrivain raffiné. Il n'est pas le scientifique qu'il croit être. Sur ce point, rendons grâce à Lacan d'avoir opéré un déplacement fondamental : pour lui, s'il existe une discipline théorique permettant de conceptualiser l'inconscient – mot très discutable, mais devenu traditionnel –, c'est la linguistique, et non une quelconque science dure. Lacan a trouvé dans la linguistique de Jakobson, et dans son application à l'anthropologie par Lévi-Strauss, la référence scientifique à laquelle il aspirait.

M. O. : Le XIXe siècle est positiviste, le XXe, structuraliste. Donc Freud baigne dans le scientisme et Lacan dans la linguistique et l'anthropologie. Soit… À chaque époque, sa mode. Pour en revenir à Freud, ses concepts sont tirés de son histoire personnelle. Prenons le cas du fameux complexe d'Œdipe. Dans sa correspondance avec Fliess, Freud raconte qu'il s'est retrouvé avec sa mère dans des contextes où il n'a pas pu ne pas la voir nue. À partir de ses fantasmes, il extrapole et conclut que tout enfant désire le parent du sexe opposé. Le complexe d'Œdipe est érigé en loi universelle alors qu'il émane du désir infantile d'accouplement du seul Freud. Freud n'apporte aucune preuve, il ne fait aucune démonstration, il généralise abusivement ses besoins psychosexuels. Où est la science dans tout cela ? Nous ne sommes pas dans l'irréfutabilité du vrai, mais dans une logique performative. Partant d'une expérience individuelle, Freud la pose comme valide en tout temps et en tout lieu, sur le mode « c'est ainsi et pas autrement ». Cette façon de procéder relève du verrouillage sophistique. La psychanalyse fonctionne en vase clos. D'ailleurs, si jamais vous osez la critiquer, qu'est-ce qu'on vous rétorque ? Que vous êtes dans un refoulement névrotique qui explique votre résistance…

J.-A. M. : Lacan le dit lui-même : la psychanalyse a toujours raison, c'est là sa principale faiblesse.

M. O. : On ne peut pas justifier toutes les contradictions avec une pirouette. Freud, qui prétend dire le vrai, n'arrête pas de dire une chose et son contraire. Son corpus n'est pas un continuum doctrinal, mais un capharnaüm.

Onfray53J.-A. M. : Là, je vous arrête. Il est exact que le corpus de Freud est assez kitsch. Mais depuis quand un penseur est-il censé présenter un « continuum doctrinal » ? Souvent, les philosophes se signalent par l'étendue et la diversité de leurs intérêts, de leurs concepts. Aristote a un avis sur tout, des parties des animaux à l'art d'embobiner les gens (ce que l'on appelle la rhétorique). Leibniz : plus bordélique, tu meurs !

M. O. : Il n'y a pas de contradictions internes chez Leibniz ou chez Hegel.

J.-A. M. : Ah bon ? Et chez Michel Onfray ?

M. O. : Je m'efforce de faire en sorte qu'il n'y en ait pas.

Description de cette image, également commentée ci-aprèsJ.-A. M. : Vous avez tort, un corpus n'a pas à être unifié. À cet égard, Freud produit un effort spéculatif constant, en transformant sans cesse sa pensée, ce qui force l'admiration. Il élabore une première topique du psychisme (avec les trois régions de l'inconscient, du préconscient et de la conscience) et la modifie en créant une seconde topique (avec les trois instances du moi, du surmoi et du ça). Mais ces deux topiques ne sont pas contradictoires. Pourquoi Freud est-il passé de l'une à l'autre ? Déjà, parce que l'époque avait changé, qu'il y avait eu la Première Guerre mondiale, qu'il régnait un climat mortifère en Allemagne ; Freud souhaitait accorder une place à la pulsion de mort, aux conflits internes au psychisme humain. Mais pas seulement. Au départ, les cures analytiques avaient des résultats rapides et spectaculaires. Il suffisait de livrer à un patient la clé de l'Œdipe, c'était si révolutionnaire que cela le métamorphosait. Au fur et à mesure, la nouveauté se dissipait, les cures devenaient plus longues, plus complexes… C'est pourquoi Freud a ressenti la nécessité d'affiner son outil théorique. L'originalité de Lacan, c'est de privilégier la première topique, alors que les psychanalystes américains ne jurent que par la seconde : cette dernière les incite à penser que le but de l'analyse est de regonfler le moi, de renforcer l'ego vis-à-vis du surmoi, de la censure morale, mais aussi du ça, réservoir des pulsions incontrôlables.  

M. O. : Là, vous prêchez un convaincu. La seconde topique est un pur produit de la Première Guerre mondiale ; mon approche psychobiographique s'en voit confirmée. Chez Freud, il n'y a pas vraiment de contradiction entre les deux topiques, il a juste changé de métaphore. Les discontinuités dont je parle sont d'un autre ordre. De manière générale, dans toute son oeuvre, Freud accumule les postulats infondés, il bâtit une vision du monde qui suppose l'existence d'objets « théoriques » et d'arrières mondes (l'inconscient, le complexe d'Œdipe, les topiques…) censés donner un sens à la psychè et au monde réel. J'appelle cela une démarche religieuse. La psychanalyse est une religion séculaire d'après la religion, une religion postchrétienne… L'histoire du freudisme en constitue le versant institutionnel : la Cause psychanalytique est devenue une Église où l'on excommunie les frères en désaccord (Adler, Jung), où l'on remet des bagues aux fidèles lors de cérémonies officielles, où l'on rédige les évangiles de Freud présenté comme Dieu le Père (l'hagiographie de Jones).

J.-A. M. : Rien ne me choque dans ce que vous dites là. Je ferai juste remarquer que ce n'est pas vraiment Freud qui dit tout et son contraire, mais l'inconscient lui-même ! Par ailleurs, il est vrai que l'Association psychanalytique internationale (IPA, International Psychoanalytical Association), fondée par Freud en 1910, a viré à la bureaucratie religieuse. Lacan en a été exclu et a fondé, en 1964, l'École freudienne de Paris, en référence aux écoles grecques de l'Antiquité. J'ai moi-même créé l'Association mondiale de psychanalyse en 1992, pour combattre la mainmise de l'IPA et diffuser l'enseignement de Lacan.

M. O. : Toute religion induit une structure de domination. La thérapie psychanalytique elle-même implique une relation de servitude que le libertaire que je suis ne peut accepter. Assis derrière le divan, le psychanalyste est ce maître, ce logothérapeute qui prétend guider et soigner par le verbe l'âme de ses patients. Sur la pratique psychanalytique, j'ai découvert des textes édifiants de Freud, notamment sur le thème de l'attention flottante : l'idée selon laquelle l'analyste pourrait dormir et le patient continuer à parler… Dans ses lettres à Fliess, Freud confie qu'il lui est arrivé de s'endormir lors de la cure d'un patient ! Il écrit que ce ne sont pas les oreilles du psychanalyste qui écoutent, mais les inconscients qui communiquent.

J.-A. M. : Vous allez réussir à m'énerver ! « L'attention flottante », c'est une mauvaise traduction. Le sens exact du terme allemand employé par Freud est attention égale. Ce concept signifie que l'analyste porte la même attention à tout ce que dit le patient, qui a tendance à accorder une plus grande valeur à certains mots ou à certains actes de langage. Donc le psychanalyste écoute tout et s'intéresse aux éléments apparemment mineurs du discours, lapsus, interruptions. Apprenez à maîtriser votre vocabulaire freudien ! Et puis, jusqu'à preuve du contraire, la cure suppose une part de consentement de la part du sujet, la soumission n'est pas si totale.

M. O. : Oui, l'analyste fournit le billet de train, mais c'est au patient d'effectuer le voyage. Ça ne marche que si vous voulez que ça marche… Le procédé est vieux comme le monde : le psychanalyste est un sorcier, un shaman qui s'appuie sur les croyances établies quant à son pouvoir. Le cabinet fleure bon l'encens. La cure psychanalytique illustre une branche de la pensée magique – sachant que j'ai un grand respect pour celle-ci –, matrice des pensées rationnelles. Là encore, je souhaite déboulonner une idée reçue : la thérapie freudienne n'est nullement une technique scientifique qui guérit automatiquement les psychopathologies. Elle fonctionne sur le principe de l'effet placebo.

J.-A. M. : Sur la thérapie comme procédé magique, la question se pose, je vous le concède. Lacan a tenté de différencier la psychanalyse et la magie, sans vraiment y parvenir, de son propre aveu. Mais cela ne règle aucunement son compte à la psychanalyse. Il reste à savoir comment cela opère, la magie. Pour moi, elle procède par suggestion, par la médiation des mots, du langage. Rien de plus puissant que le signifiant sur le psychique et le somatique. L'analyse – la cure par la parole – utilise précisément cette magie, mais pour la retourner contre elle-même. Elle purge le patient des sortilèges du langage, qui se trament dès qu'on lui parle ou qu'on parle de lui. Elle l'immunise contre l'intimidation intellectuelle exercée par les gourous et les orateurs à la mode.

M. O. : En tant que discipline et pratique, la psychanalyse bénéficie d'une aura émancipatrice : elle libère, soigne. Sur le plan des idées, on estime qu'elle prolonge la philosophie des Lumières, qu'elle représente un nouveau progrès dans l'essor de la rationalité critique. La légende est belle, optimiste, mais Freud est en réalité un antiphilosophe, un antimoderne. Sa morale est fondée sur un profond pessimisme, qui apparaît dans des oeuvres désespérées, tragiques et en même temps lucides comme L'Avenir d'une illusion ou Le Malaise dans la civilisation – où la culture est décryptée comme un processus de répression des instincts élémentaires. Sur le plan des moeurs, l'éros freudien ne contribue pas à la libération sexuelle, mais au conformisme bourgeois et au refoulement de la chair. La masturbation fait l'objet d'une condamnation morale, car, dit-on, elle se rapporte à une sexualité sans autrui, narcissique. En 1910, Freud utilise encore des sondes qu'il fait entrer dans la verge des onanistes pour les guérir de ce prétendu mal… Sa théorie en matière de sexualité énonce que l'être humain se développe jusqu'à trouver dans le sexe opposé l'objet de fixation adéquat à sa libido. Les homosexuels, quant à eux, ne parviendraient pas au terme de cette évolution ; ils seraient inaccomplis… Même s'il a signé une pétition en faveur de la décriminalisation des homosexuels, même s'il exprime publiquement qu'ils ne sont pas des anormaux, il y a une homophobie ontologique chez Freud. La femme est également pour lui un garçon inachevé. Misogynie et phallocratie, un tableau très libéral !

J.-A. M. : Certainement, Freud est pessimiste : il termine sa vie au moment même où l'Autriche se donne à l'Allemagne et à un petit caporal au verbe enchanteur et meurtrier. Et oui, il est autoritaire et conservateur. Il n'aime guère la démocratie à l'américaine et le règne du marché. Il préfère la figure politique de François-Joseph, l'empereur d'Autriche, mort en 1916. Quant à sa morale, elle se dégage de sa forme de vie : une vie de travail acharné, d'ambition, assez étriquée sur le plan sexuel, qu'il ait ou non couché avec sa belle-soeur (ce que je lui souhaite)… Les psychanalystes américains pousseront très loin la veine puritaine, froide et formelle, en s'habillant toujours avec la même veste et en refusant de rencontrer leurs patients en dehors des séances. Une fois de plus, Lacan dynamite tout cela. Sa morale relève d'un cynisme supérieur. Sa pensée bouscule le schéma freudien du développement psychosexuel, trop rigide. Avec sa formule « Il n'y a pas de rapport sexuel », Lacan ne veut pas dire, bien sûr, que les relations sexuelles n'arrivent jamais ; mais le langage fait que chez l'être humain, à la différence des animaux, il n'existe pas d'appropriation nécessaire, de destination d'un sexe pour l'autre. Le garçon n'est pas voué à la fille. Chacun construit, choisit son mode de jouissance et son usage du sexe (solitaire, hétéro ou homosexuel). La morale lacanienne est une morale de l'invention de soi, de la singularité. Trouvez votre singularité, la voie de votre désir et assumez-en les conséquences. Car tout ce qu'on dit et fait se paie.

M. O. : Mon propos reste Freud. Lacan, on verra plus tard, peut-être…

J.-A. M. : Quand Michel Onfray va rencontrer le larron Lacan… Mais je voudrais conclure cette rencontre par une annonce. Je viens de créer officiellement l'université populaire de psychanalyse Jacques-Lacan, pour (re-)prendre en charge l'éducation freudienne du public français et, à terme, en l'étendant sur tous les continents, pour développer une humanité analysante. Que vous ayez remis au goût du jour cette expression d'« université populaire » est un des éléments qui m'ont amené à lancer ce projet, je vous en suis donc reconnaissant.

M. O. : Eh bien… Après m'être battu pendant dix ans pour mettre sur pied mon université populaire, après avoir été d'abord superbement ignoré par les intellectuels parisiens pour cette démarche, disons que j'accueille cette nouvelle comme un genre d'hommage.