mardi 30 octobre 2007

Théâtre des interstices

Je dois une de mes plus grandes expériences de théâtre à une amie qui avait entrepris de mettre en scène une pièce Sud-Américaine de Miguel Asturias à la faculté. Nous étions alors étudiants et il avait suffi de passer une annonce dans les grands couloirs sombres de l'université pour constituer rapidement une troupe complète et inexpérimentée. Ma participation et contribution au projet vint plus tard, alors que les répétitions avaient sérieusement commencé et que mon amie V. démontrait de solides compétences de mise en scène et de direction. V. me proposa de participer et de jouer un morceau de guitare qui devait convenir à la présence imposante de gitans qui dansaient et chantaient sur la place publique d'un village. J'avais alors embauché deux autres amis, accessoirement guitaristes, toutefois suceptibles de participer aux quelques représentations qui seraient données. Notre rôle tenait à peu de choses puisque nous ne faisions qu'une brève apparition sur la scène. On entrait généralement par la salle et s'installait dans un coin au rythme d'une rumba que nous interprétions bruyament. Ce n'était absolument pas contraignant et ça ne demandait aucun investissement et jeu particulier, d'autant que l'instrument couvrait ou du moins étoffait la consistance de notre rôle. On eut bien ajouté quelques cris pour grossir le trait des stéréotypes, en plus des postiches qu'on nous avait collés sous le nez. Devant tant de ridicule, je m'étais laissé pousser la barbe et teint les cheveux en noir. Ce qui souleva un moment l'incompréhension au sein de la troupe et finit par créer un élan de professionnalisme ou de mégalomanie chez la plupart des acteurs. Notre brève participation nous permit aussi de suivre l'ensemble des répétitions qui se tenaient dans un amphithéâtre de l'université, l'évolution de la pièce ainsi que la performance des acteurs.
Celle-ci fut prête en quelques mois et nous amena bientôt à jouer à différents endroits. C'est ainsi que je compris l'importance des premières représentations qui nous permettent bien souvent d'établir des repères et de considérer l'amplitude du rôle et du jeu de chacun. On se surprend à connaître le rôle de l'autre et la pièce de façon très différente et distanciée d'une première et seule lecture. Le fond de l'histoire avait disparu, laissant place à l'intuition et le corps des mots, comme si nous palpions la matière du texte, respirions à chaque ponctuation, à travers la mesure ou le rythme des pas de l'auteur. J'étais fasciné par ce petit monde et je me souviens d'ailleurs que les lectures que je dévorais en parallèle, amplifiaient ma fascination pour ce double (faux-semblant). J'avais lu de nombreux livres de Hermann Hesse, qui donnaient un écho extraordinaire à cette expérience et lisais à l'époque "Les Années d'apprentissage de Wilhelm Meister". Je partageais ainsi le parcours du jeune romantique allemand qui découvrit le sens de sa vie (et son illusion) à travers le théâtre et l'itinérance d'une troupe de comédiens ambulants. Je voyais désormais l'art théâtral comme une manière intéressante de représenter les différents rituels de l'existence mais surtout d'aborder la complexité de l'identité humaine. J'estimais volontiers que l'individu était constitué d'un ensemble de facettes déterminant sa personnalité. Mon regard se portait aussi sur l'ambiguïté du jeu et les failles qui subsistent dans la transposition de la réalité et réciproquement.
Cette question m’apparut évidente au cours d'une des premières représentations, après avoir remplacé au pied levé l'absence d'un figurant. Dans l'empressement, V. m'avait demandé de prendre sa place, sans pour autant me donner d'informations sur le rôle qui me revenait. Celle-ci m'expliqua simplement que je n'aurais qu'à suivre ses pas. Il s'agissait d'une scène de groupe, une chorégraphie, qui correspondait à l'un des tableaux (oniriques) dépeint par Asturias et qui représente une danse chamanique. C'est ainsi que je fis mon entrée sur la scène, dans une ronde, entouré de six à huit autres semblables qui exécutaient parfaitement une danse ensorcelante. Alors que je suivais leurs pas, j'étais aussi frappé par l'énergie dégagée et la concentration des acteurs qui semblaient entrer dans un état second. Nous étions masqués et portions chacun un sarment à la main. Je suivais tant bien que mal mes compagnons en essayant de respecter les conditions du jeu. On pouvait quelquefois communiquer, lorsque le goupe convergeait au milieu de la scène, ce qui permettait de s'informer sur les indications données et anticiper les mouvements à suivre. Nous formions parfois deux rangs, face à face, comme deux clans rivaux duquel naissait une confrontation qui s'exprimait par une tension palpable dans le jeu, à travers des cris et des gestes fermes faisant écho aux percussions des tambours. Je frappais le sol, comme les autres, également envouté par la violence des rythmes et le mimétisme provoquant des acteurs.
Et puis il arriva ce dénuement imprévisible, d'une manière que je ne peux véritablement expliquer. Je me souviens que V. avait annoncé la fin de la scène ou que nous nous en approchions. Quoi qu'il en soit, c'est en suivant celle qui m'avait dirigé jusqu'alors que je me suis soudainement retrouvé dans les coulisses du théâtre. Personne ne m'avait pourtant précédé ou suivi. J'étais seul! Incroyablement seul, comme si j'avais chuté par une trappe insolite en basculant dans un univers improbable! Je n'ai pas immédiatement compris ce qui était arrivé. Je venais à peine de retirer mon masque et cherchais autour de moi la présence de mes camardes lorsque je découvris avec stupeur qu'ils étaient encore sur la scène et qu'ils exécutaient toujours la même danse. J'étais dans la coulisse du théâtre, au sein d'un espace qui ne m'était pourtant pas inconnu, ni même hostile et ressentis pourtant une impression étrange et fulgurante. Je fus alors pris de panique en songeant que j'avais échappé au déroulement de la pièce, de manière imprévue, et m'aperçus que je ne figurais pas non plus dans l'envers du spectacle, parmi les autres spectacteurs. Bien que je fusse entre ses murs, j'étais sorti du théâtre et du présent de l'action qui se jouait sur la scène. Cette impression me donna aussitôt le sentiment de ne plus exister ou au contraire, de révéler mon existence à travers l'exploration de ce gouffre, dans l'impensé du théâtre. Je fus saisi par la réalité de celui-ci en me révélant uniquement à travers elle, à travers les seuls degrés d'expression du passage à la représentation. J'étais à la porte du théâtre et ressentais violemment le trac, les néons braqués sur mes tempes. J'étais pris de vertiges et mesurais pleinement la puissance de cette distance hypnotique, de là à la scène. Il suffit d'un pas pour sentir la chaleur et l'envoutement, l'ivresse et la gravité des êtres à vivre. Je sortis comme un fou des coulisses, en chevauchant maladroitement les éléments du décor, en criant et levant les bras puis rejoignis le groupe qui m'accueillit dans l'euphorie de sa danse. Je m'étais imposé comme le chef de la tribu en disparaissant et réapparaissant comme par enchantement. J'avais porté l'attention sur moi en transgressant les règles de convenances, relancé le rythme de la danse, bouleversé ses effets et l'implication des acteurs... Ils me suivirent tous et pourtant je n'étais plus moi-même. Je revenais de nulle part: j'étais pris par le jeu, mais ne jouais plus...

jeudi 25 octobre 2007

Toumast (TV show in Paris)

Idir - Pourquoi cette pluie


Tant de pluie tout à coup sur nos fronts
Sur nos champs, nos maisons
Un déluge ici, l'orage en cette saison
Quelle en est la raison ?

Est-ce pour noyer nos parjures ?
Ou laver nos blessures ?
Est-ce pour des moissons, des terreaux plus fertiles ?
Est-ce pour les détruire ?

Pourquoi cette pluie, pourquoi ?
Est-ce un message, est-ce un cri du ciel ?
J'ai froid, mon pays, j'ai froid
As-tu perdu les rayons de ton soleil ?

Pourquoi cette pluie, pourquoi ?
Est-ce un bienfait, est-ce pour nous punir ?
J'ai froid, mon pays, j'ai froid
Faut-il le fêter ou bien le maudire ?

J'ai cherché dans le livre qui sait
Au creux de ses versets
J'y ai lu "cherche les réponses à ta question,
Cherche le trait d'union"

Une mendiante sur mon chemin
"Que fais-tu dans la rue ?"
"Mes fils et mon mari sont partis un matin,
Aucun n'est revenu"

Pourquoi cette pluie, pourquoi
Cette eau, ces nuages qui nous étonnent ?
Elle dit "cette pluie, tu vois
Ce sont des pleurs pour les yeux des hommes"

"C'est pour vous donner des larmes
Depuis trop longtemps elles ont séché
Les hommes n'oublient pas les armes
Quand ils ne savent plus pleurer"

Coule pluie, coule sur nos fronts.

(Goldmann-Idir, 2002)

Art Dramatique


dimanche 21 octobre 2007

Les étrangers

Regarde-la ta voile elle a les seins gonflés
La marée de tantôt te l'a déshabillée
Les bateaux comme les filles ça fait bien des chichis
Mais ce genre de bateau ça drague pas dans Paris

T'as les yeux de la mer et la gueule d'un bateau
Les marins c'est marrant même à terre c'est dans l'eau
Ta maman a piqué sur ta tête de vieux chien
Deux brillants que tu mets quand t'embarques ton destin

C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens la mer on s'en foutait
On était trois copains avec une tragédie
Et puis ce chien perdu tout prêt à se suicider

Quand la mer se ramène avec des étrangers
Homme ou chien c'est pareil on les regarde naviguer
Et dans les rues de Lorient ou de Brest pour les sauver
Y a toujours un marin qui rallume son voilier

Regarde-la ta quille à la mer en allée
La marée de tantôt te l'a tout enjupée
Les bateaux comme les filles ça fait bien du chiqué
Mais quand on se fout à l'eau faut savoir naviguer

T'as le cœur comme ces rocs vêtus de Chantilly
Quand la tempête y a fait un shampooing dans la nuit
Ta maman t'a croché deux ancres aux doigts de chair
Et les lignes de ta main ça se lit au fond de la mer

C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens dans ces rues de l'emmerde
On était trois copains au bout de mille nuits
Et le jour qui se pointait afin que rien ne se perde

Quand la mer se ramène avec des étrangers
En Bretagne y a toujours la crêperie d'à côté
Et un marin qui te file une bonne crêpe en ciment
Tellement il y a fourré des tonnes de sentiments

Regarde-la ta barre comme de la Pop musique
Ça fait un vrai bordel chez les maquereaux très chics
La mer a ses anglais avec le drapeau noir
On dirait Soixante-huit qui s'en revient du trottoir

Ma maman m'a cousu une gueule de chimpanzé
Si t'as la gueule d'un bar je m'appelle Pépée Ferré
C'est pas comme en avril en avril de mon cul
Dans ce bar endossé au destin de la rue

Et c'est pas comme demain en l'An de l'An Dix mille
Lochu tu t'en souviens c'était beau dans ce temps-là
La mer dans les Soleils avec ou bien sans quille
Un bateau dans les dents des étoiles dans la voix

Et quand on se ramenait avec nos Galaxies
Ça faisait un silence à vous mourir d'envie
Et les soirs d'illusion avec la nuit qui va
Dans Brest ou dans Lorient on pleure et on s'en va

L'An Dix mille... Lochu ? Tu t'rappelles ?
L'An Dix mille... Tu te rappelles ? Lochu ?
L'An Dix mille, l'An Dix mille, l'An Dix mille...

(Léo Ferré, 1975)

Les étrangers


Regarde-la ta voile elle a les seins gonflés
La marée de tantôt te l'a déshabillée
Les bateaux comme les filles ça fait bien des chichis
Mais ce genre de bateau ça drague pas dans Paris

T'as les yeux de la mer et la gueule d'un bateau
Les marins c'est marrant même à terre c'est dans l'eau
Ta maman a piqué sur ta tête de vieux chien
Deux brillants que tu mets quand t'embarques ton destin

C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens la mer on s'en foutait
On était trois copains avec une tragédie
Et puis ce chien perdu tout prêt à s'suicider

Quand la mer se ramène avec des étrangers
Homme ou chien c'est pareil on les r'garde naviguer
Et dans les rues d'Lorient ou d'Brest pour les sauver
Y a toujours un marin qui rallume son voilier

Regarde-la ta quille à la mer en allée
La marée de tantôt te l'a tout enjupée
Les bateaux comme les filles ça fait bien du chiqué
Mais quand on s'fout à l'eau faut savoir naviguer

T'as le cœur comme ces rocs vêtus de Chantilly
Quand la tempête y a fait un shampooing dans la nuit
Ta maman t'a croché deux ancres aux doigts de chair
Et les lignes de ta main ça s'lit au fond d'la mer

C'est pas comme en avril en avril soixante-huit
Lochu tu t'en souviens dans ces rues de l'emmerde
On était trois copains au bout de mille nuits
Et le jour qui s'pointait afin que rien ne s'perde

Quand la mer se ramène avec des étrangers
En Bretagne y a toujours la crêperie d'à côté
Et un marin qui t'file une bonne crêpe en ciment
Tellement il y a fourré des tonnes de sentiments

Regarde-la ta barre comme de la Pop musique
Ça fait un vrai bordel chez les maquereaux très chics
La mer a ses anglais avec le drapeau noir
On dirait Soixante-huit qui s'en r'vient du trottoir

Ma maman m'a cousu une gueule de chimpanzé
Si t'as la gueule d'un bar j'm'appelle Pépée Ferré
C'est pas comme en avril en avril de mon cul
Dans ce bar endossé au destin de la rue

Et c'est pas comme demain en l'An de l'An Dix mille
Lochu tu t'en souviens c'était beau dans c'temps-là
La mer dans les Soleils avec ou bien sans quille
Un bateau dans les dents des étoiles dans la voix

Et quand on se ram'nait avec nos Galaxies
Ça faisait un silence à vous mourir d'envie
Et les soirs d'illusion avec la nuit qui va
Dans Brest ou dans Lorient on pleure et on s'en va

L'An Dix mille... Lochu ? Tu t'rappelles ?
L'An Dix mille... Tu t'rappelles ? Lochu ?
L'An Dix mille, l'An Dix mille, l'An Dix mille...

(Léo Ferré, 1975)

samedi 20 octobre 2007

La Mémoire et la Mer

La marée, je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur,
de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j'en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts de sable de la terre

Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude

Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tans
Qu'on dirait l'Espagne livide
Dieux de granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D'où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles

Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sous mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C'est fini, la mer, c'est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d'infini...
Quand la mer bergère m'appelle

(Léo Ferré, 1970)

La Mémoire et la Mer

La marée, je l'ai dans le cœur
Qui me remonte comme un signe
Je meurs de ma petite sœur,
de mon enfance et de mon cygne
Un bateau, ça dépend comment
On l'arrime au port de justesse
Il pleure de mon firmament
Des années lumières et j'en laisse
Je suis le fantôme jersey
Celui qui vient les soirs de frime
Te lancer la brume en baiser
Et te ramasser dans ses rimes
Comme le trémail de juillet
Où luisait le loup solitaire
Celui que je voyais briller
Aux doigts de sable de la terre

Rappelle-toi ce chien de mer
Que nous libérions sur parole
Et qui gueule dans le désert
Des goémons de nécropole
Je suis sûr que la vie est là
Avec ses poumons de flanelle
Quand il pleure de ces temps là
Le froid tout gris qui nous appelle
Je me souviens des soirs là-bas
Et des sprints gagnés sur l'écume
Cette bave des chevaux ras
Au raz des rocs qui se consument
Ô l'ange des plaisirs perdus
Ô rumeurs d'une autre habitude
Mes désirs dès lors ne sont plus
Qu'un chagrin de ma solitude

Et le diable des soirs conquis
Avec ses pâleurs de rescousse
Et le squale des paradis
Dans le milieu mouillé de mousse
Reviens fille verte des fjords
Reviens violon des violonades
Dans le port fanfarent les cors
Pour le retour des camarades
Ô parfum rare des salants
Dans le poivre feu des gerçures
Quand j'allais, géométrisant,
Mon âme au creux de ta blessure
Dans le désordre de ton cul
Poissé dans des draps d'aube fine
Je voyais un vitrail de plus,
Et toi fille verte, mon spleen

Les coquillages figurant
Sous les sunlights cassés liquides
Jouent de la castagnette tans
Qu'on dirait l'Espagne livide
Dieux de granits, ayez pitié
De leur vocation de parure
Quand le couteau vient s'immiscer
Dans leur castagnette figure
Et je voyais ce qu'on pressent
Quand on pressent l'entrevoyure
Entre les persiennes du sang
Et que les globules figurent
Une mathématique bleue,
Sur cette mer jamais étale
D'où me remonte peu à peu
Cette mémoire des étoiles

Cette rumeur qui vient de là
Sous l'arc copain où je m'aveugle
Ces mains qui me font du fla-fla
Ces mains ruminantes qui meuglent
Cette rumeur me suit longtemps
Comme un mendiant sous l'anathème
Comme l'ombre qui perd son temps
À dessiner mon théorème
Et sous mon maquillage roux
S'en vient battre comme une porte
Cette rumeur qui va debout
Dans la rue, aux musiques mortes
C'est fini, la mer, c'est fini
Sur la plage, le sable bêle
Comme des moutons d'infini...
Quand la mer bergère m'appelle

(Léo Ferré, 1970)

Le bateau ivre





















Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sûres,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

(Arthur Rimbaud, 1871)

Pour Conclure...


POUR CONCLURE... car il faut oser conclure. Ce voyage, imaginaire d'abord, est devenu un fait, avec son départ et l'hypothèse mouvante. Il a marché. Il s'est déroulé ; comme un fait, il est arrivé. Il y a là quelque chose de parfait , d'achevé, indépendant de tout, indépendant comme l'aiguille sur le cadran, tournant exactement son heure sans s'inquiéter des actes dont l'homme la remplit. Le voyage a donc marché de son pas implacable. Il faut reconnaître que là, le réel s'est laissé bien entourer. J’ai eu raison contre les doutes, les tâtonnements, les ignorances. Parti de ce point, je suis arrivé à celui-là, et de retour, dans cette immobilité acquise, je puis maintenant expertiser ce que j'ai vu et chercher un sens à l'aventure. J'ai au moins appris sur la route à donner quelque importance à l'auberge acquise. La conclusion n'est plus un jeu imaginaire, mais l'image du succès.

Jouis de l'effort, comme tel, mais fouette-le jusqu'au moment où il passe l'obstacle et t'apporte au domicile choisi. Ce voyage aura donc nécessairement un retour, un objet, une parole définitive. —

Le premier point à résoudre se pose de lui-même ainsi et se résout : ce voyage a été heureux, puisqu'il fut, qu'il partit et qu'il parvint. Mais moi-même, ai-je été heureux en ce voyage ? Quelle est ma part de bonheur due au voyage ? Même, suis-je heureux ?

Que cette question puisse même se formuler, et l'on dira qu'il faut d'emblée répondre non... Le bonheur impérieux, le seul dont la conquête est digne, la volupté de l'heure et de l'objet, ne laissent ni le répit ni le goût de se poser telle interrogation. L'heure du retour n'est donc pas voluptueuse au point de se suffire et de se combler. Est-elle, encore une fois, heureuse ? Pour répondre, je dois me fixer et avouer mon attitude en face du bonheur.

Elle n'est pas franche. Je ne sais boire et jouir sans goûter, Je ne sais pas voir sans regarder un peu trop, ni entendre sans écouter, ni sentir sans me reculer pour mieux sentir. Et depuis longtemps j'ai coutume de qualifier l'événement non pas en raison de sa vertu, de sa couleur actuelle et spontanée, mais en rapport de ce que je l'imaginais ou non. Toute acquisition neuve est heureuse ; tout enrichissement prévu a rarement le don de dépasser ce que j'avais décidé qu'il serait. Or, ceci, qui me dispense de juger ce voyage d'un mot, ou qui rendrait suspect un jugement unique sur ce voyage, est précisément le mode d'expertise le seul utilisable ici puisque la même interrogation, en somme, la même question fut le départ et la raison de ce voyage, et que la même recherche — posée dès les premières lignes sous une expression équivalente — fait indiscontinûment la vraie trame de ceci, mêlée à toutes les étapes, et toujours à tous les mots dont parfois le chancelant s'explique.

Pour répondre, je ne saurai donc mieux faire que, sans revenir en arrière, me reporter à chaque instant de ce livre, et voir, pour chaque ligne si la dose de beauté, de valeur, que me rendit le réel, surpassa ou non la promesse imaginaire, ce qui est mêlé à tous les mots. J'aurais ainsi une ligne sinueuse, brisée, cassée, arabesque cisaillée d'à-coups, parfois noble comme une parabole, parfois enfuie vers les irrationnels, mais qui, en comparant ponctuellement l'écart entre l'attendu, le désiré et le trouvé, le rendu, — pourra me fixer avec une ironique et impassible précision. — De même qu'un voyage se compose de pas, de même la somme du bonheur incluse ici est possible à connaître si je la fragmente à l’extrême.

Impossible, en revanche, à exprimer d'un seul mot, oui ou non, grande ou petite. Je renonce gaiement à savoir si je fus heureux ou non, même si de cette opposition constante entre les deux je suis heureux... Car déjà, de cette opposition constante entre les deux mondes s'est tirée une autre leçon. Un autre gain ; une acquisition impérissable : un acquêt de plaisir du Divers que nulle table des valeurs dites humaines ne pourrait amoindrir.

C'est qu'en effet, partout où le contact ou le choc s'est produit, avant toute expertise des valeurs en présence, s'est manifestée la valeur du divers. Avant de songer aux résultats, j'ai senti le choc ainsi qu'une beauté immédiate, inattaquable à ceux qui la connaissent. Dans ces centaines de rencontres quotidiennes entre l'Imaginaire et le Réel, j’ai été moins retentissant à l'un d'entre eux, qu'attentif à leur opposition. — J'avais à me prononcer entre le marteau et la cloche. J'avoue, maintenant, avoir surtout recueilli le son. Parmi le désabusé, le déconcerté, ou au contraire l'émerveillé de chacun de ces mots ou de ces chapitres, je notais, en dégustant silencieusement la musique, ironique et intime, que faisaient les deux mondes délibérément opposés. Je puis l'avouer maintenant : je n'ai pas été dupe ; ni du voyage, ni de moi. – Sans doute, ce livre gardera son titre équivoque, ou plutôt son parti pris d' Équipée , malgré l'aveu d'avoir surpris ou obtenu le Réel dans une valeur parfois équipotentielle. Qu'il n'ait pas été absorbé ; qu'il ait tenu bon ; qu'il n'ait pas été victorieux non plus..., ce qui pourrait faire croire que l'on avoue avoir compromis ou fourvoyé l'Imaginaire dans les sentiers du Réel. C'est qu'il n'est pas possible de le nier. Cependant, au-delà de tout au-delà du bonheur ou du satisfait, au-delà de la justice et de l'ordre... demeure la certitude que voici : la justification d'une loi posée de l'exotisme — de ce qui est autre — comme d'une esthétique du divers.

Mais il faut s'entendre : le Divers dont il s'agit ici est fondamental. L'exotisme n'est pas celui que le mot a déjà tant de fois prostitué. L'exotisme est tout ce qui est Autre. Jouir de lui est apprendre à déguster le Divers. Enfin, ayant, comme il faut, apprécié le choc, je me demande, et ceci est la dernière question péremptoire, si, du choc n'a pas jailli quelque étincelle… Peut-être celle-ci.

Je me garde d'une confusion sur les mots. Le Réel n'a rien voulu dire ici que ce qui s'oppose au jeu pur de la pensée ; ce qu'on touche, ce qu'on voit et flaire, ce qu'on mesure, ce qu'on sent. Le débat a lieu entre ces deux exclusives données...

Mais, entre elles, plus vastes qu'elles, plus larges qu'elles, existe sans doute une chose. Celle-là, non touchée par l'expérience, celle-là, indicible, échappant à toute emprise, et unissant ces contradictoires dont tout ceci n'est qu'épisodes de combats. Je ne puis songer à le définir. Sitôt défini, un scrupule, je sais bien, me prendrait : si l’Être était autre que je viens de le dire... ; et de nouveau, la loi d'un exotisme universel et victorieux m'arrêterait... — Je crois donc que ceci d'entrevu, comme une vision rapide à la lueur du choc, n'est pas dicible par des mots ; mais sous un symbole par exemple figuré de la sorte. — Puisque le débat s'est mené et prolongé jusqu'en Chine, c'est à la Chine que j'emprunterai le sceau formel et l’arrêt du débat ; — c'est la plus chinoise des dynasties, la grande ère des Han, qui le fournira sous ces traits :

Deux bêtes opposées, museau à museau, mais se disputant une pièce de monnaie d'un règne illisible. La bête de gauche est un dragon frémissant, non pas contourné en spires chinoises décadentes, mais vibrant dans ses ailes courtes et toutes ses écailles jusqu'aux griffes : c'est l'Imaginaire dans son style discret. La bête de droite est un long tigre souple et cambré, musclé et tendu, bien membré dans sa sexualité puissante : le Réel, toujours sûr de lui.

Ceci est exact autant qu'un symbole peut l'être. Un symbole emprunté comme il convient à la Chine antique, — pays où se déroulaient l'expérience et le débat. Quoi de plus juste ? — Ce symbole n'a peut-être rien de commun avec ce qu'il prétendait signifier. C'est le sort de bien des symboles... Maintenant, chacun peut choisir et retomber dans sa bête familière, soit le monstre, soit le quadrupède sexué. L'homme est absent de ceci, et toute la sentimentalité humaine. Le dieu ? négligé, depuis longtemps. Reste l'objet que les deux bêtes se disputent. —

C'est un cercle... qu'encastre un carré. Quadrature ? Un anneau, un serpent symbolique, un symbole géométrique, le Retour éternel ? L'équivalence de tout, l’Impossible, l'Absolu ? Tout est permis... Je crois plutôt à la figuration d'une simple monnaie, la sapèque chinoise, ronde, percée d'un trou carré... Mais ceci est l'interprétation historique grossière... L'objet que ces deux bêtes se disputent, — l'être en un mot — reste fièrement inconnu.

(Victor Segalen, L'équipée, 1929)

L'ami trop fidèle

L'AMI TROP FIDÈLE est celui–là qui au retour, au départ, est encore debout sur la même place, avec le même visage et des yeux que je cherchais de loin, et craignant de ne pas reconnaître, — et que j'ai reconnu sans ambages tout aussitôt. — Il m'a crié : "Tiens, tu n'as pas changé..." ; et comme je le regardais avec l’œil lourd du voyage mécanique et rouge du poussier de charbon, il a cru à de l'étonnement ou de la crainte, et a ajouté rassurant : "Je n'ai pas changé non plus !"

C'est bien là ce que je craignais ! Je m'explique maintenant cette prémonition douloureuse, cette angoisse constante du retour mené jusqu'à sa fin, et dont je redoutais toujours l'explosion... Que faudra–t–il dire à l'arrivée ? Faudra-t-il cacher mon étonnement ou mon dépit ! — Le visage vu de loin est pour quelques secondes à peine entrevu comme un objet d'expertise, de claire vue, de lucidité..., le moment du retrouver est ambigu et aigu. Ce visage, autrefois familier, est ici aperçu avec toute la nervosité neuve et tendue par tant de choses acceptées... Pendant l'éclat du premier coup d’œil, avant que les paupières n'aient cligné, je vois franchement ce que je ne savais plus depuis longtemps regarder sans habitude, sans amitié. Cette fois, l'imaginaire se faisait douteux... et me menait bel et bien vers le réel de ce moment prévu. La déception. L'escompté.

Ainsi, il n'a pas changé, lui... Ainsi, onze ou douze mois, trois cents et quelques jours, des heures, et plus que tout cela, deux ou trois moments impérissables ont passé peut-être sur lui, sans le toucher davantage ? sans le marquer ? sans descendre assez au fond de sa vie pour que sa dépouille vivante n'accuse point le déformé ou la révélation ! — Ainsi, mes lettres qui lui venaient de si loin, pleines d'espace et de terrain conquis, et mes recherches, et les desseins avortés, les désirs aussi dont il prenait sa part, en me répondant mot pour mot, — ceci n'a donc pas persisté, et a passé sur lui sans l'émouvoir ? Qu'a-t-il fait ? Je sais, d'autre part, que le sort ne l'a pas épargné. Il a vu tomber de haut ce qu'il croyait tenir et posséder. Il a vu s'évaporer des réalités provisoires et personnelles. Tout ceci qui s'est abattu sur lui est donc vain ?

Il n'a pas changé ? Il ment. Cet œil gras, ce menton et cette voix. Maigre et défait du voyage, je suis étonné par son poids. C'est moi qui devant lui demeure timide. Je réponds en écho bien appris :

— Oui, tu es toujours le même.

Il m’accepte alors, et m'emmène, satisfait.

(Victor Segalen, L'équipée, 1929)

Tout est prêt, mais ai-je bien le droit de partir?

TOUT EST PRÊT, MAIS AI-JE BIEN LE DROIT de partir ? Constructeur jusqu'ici dans l'imaginaire, conjureur de ces matériaux ; impondérables et gonflants, les mots, — ai–je bien le droit de bâtir dans le monde dense et sensible, où tout effort et toute création, ne relevant plus seulement d'une harmonie intime doivent trouver leur justification dans le résultat, dans le fait, — ou leur démenti sans appel...

Pris d'un doute plus fort que tous les autres, pris tout d'un coup du vertige et de l'angoisse du réel, je rappelle et j'interroge un à un les éléments précis sur quoi s'établit l'avenir. Ce sont des relations de voyage, (des mots encore), des cartes géographiques — purs symboles, et provisoires, car des districts entiers sont inconnus là où je vais. Il y a donc les chenilles sépia des montagnes, des traits rouges pleins, qui sont des sentiers méprisables puisqu'ils ont été déjà suivis, et des traits rouges pointillés qui marquent à l'aventure les routes ouvertes, inexistantes peut-être. Des traits bleus qui dessinent les fleuves ; des traits verts représentant les limites des provinces ou des États. Quelle sera la possibilité de franchir l'un ou de sauter l'autre ? Le fleuve a peut-être un pont ici ; et la frontière politique un prétexte à n'être pas enjambée. Enfin, il y a le problème de pure longueur dans l'espace que tout ce chemin représente. Et voici la roulette d'acier du curvimètre qui se tortille et virevolte entre mes doigts, progressant terriblement vite sur son axe enspiralé. Elle fait sa route avant moi, et puis, reportée sur la barre rigide de l'échelle, elle donne, sans commentaires, des mesures précises, précises au centième, — mais fausses. car, pour un détour du trait sur la carte, la route en a peut-être fait deux sur la plaine, et dix et vingt sur la montagne. Et quel rapport logique accepter entre l'espace, la sueur et la chaleur, la fatigue et l'entrain, la hâte à poursuivre ou le désir du retour en arrière ? Rien n'a été mesuré sur ce point, — rien qui unisse le jeu du curvimètre dans mes doigts, et la grande agitation musculaire qui suivra.

Enfin, toute question et toute incertitude sont portées à l'extrême lorsque, délaissant les parties dessinées de cette carte, — honnête et sincère puisqu'elle avoue ses ignorances, — on s'aventure dans ses zones laissées en blanc. Là, ni fleuves, ni routes, ni plaines, ni montagnes. C'est là pourtant où l'expérience du réel traversera son domaine de choix. — Pour dompter et dessiner d'avance ce que l'on trouvera dans ce blanc, vais-je déjà retomber dans l'imaginaire à peine fui ? Pour le combler, faut-il inventer d'autorité ce qu'il contient, et puis en rabattre ensuite ? Je sais. Il y a d'autres attitudes. De ce que l'on connaît exister alentour on peut déduire ce qui se doit être ici. Mais dès lors, à la merci de la moindre erreur déductive. Le coup d'envol imaginaire se suffit jusqu'au bout à lui-même : la mastication logique a péché contre l'esprit, si elle a tort.

Il ne faudra point avoir tort. Derrière ces mots, derrière ces signes figurés, étalés conventionnellement sur le plan fictif d'un papier, il me faudra deviner ce qui se trouve très réellement en volumes, en pierre et en terre, en montagnes et eaux dans une contrée précisée du monde géographique. Et l'abondance et le disparate de ces notions, et l'absence de commune mesure humaine est un grand sujet de trouble : il y a des cotes d'étiage dans le fleuve, des dates historiques dans la fonte des neiges à mille lieues du point où je vais ; des habitudes connues dans le régime des vents ; il faut échapper aux trop excessifs coups de froid dans les montagnes et se garder encore plus des régions pluvieuses en plaine... voir si des gens d'escorte du pays même valent mieux que des étrangers au pays ; —les étrangers, plus fidèles, seront un fardeau de plus à traîner. — voir si l'escorte doit changer en totalité à chaque frontière de province, ou s'il faut conserver un noyau unique que l'on mènera de Pékin à Bénarès... Et qui me portera ? Des chevaux, des chameaux, des ânes, des hommes, des mules, ou mes pieds ? Chacun peut-être, tour à tour, mais dans quel ordre ? Il y a aussi cette importante et importune question d'argent. Faut-il me faire précéder sur la route de relais de lingots sonnants ? Par quels ravitailleurs, gros marchands chinois ou missionnaires apostoliques ? Faut-il emporter des objets d'échange pour les habitants problématiques des régions inconnues ? — Vient enfin l'approvisionnement en armes. Ne pas en avoir est folie. Montrer qu'on est bien muni est provoquer l'envie du pillage... Même au prix de ces comparaisons minutieuses, j'entrevois à peine ce qui viendra. Et cependant il faut faire plus : prévoir. Il faut tout prévoir. Ce n'est pas un livre que j'écris.

De nouveau, je suis face à face avec l'interrogation première : quelle est, prise sur le fait, la concordance entre la notion et son objet. Où est le lien, où est le lieu de certitude — ou d'angoisse — du réel ?

Dès maintenant, je puis tenir que le réel imaginé est terrible, et le plus gros des épouvantails à faire peur. Rien ne dépasse l'effroi d'un rêve de cette nuit, veille du départ. Il me faut donc m'éveiller tout d'un coup :

Je suis en route.

(Victor Segalen, L'équipée, 1929)

Ce n'est point un hasard


CE N'EST POINT AU HASARD que doit se dessiner le voyage. À toute expérience humaine il faut un bon tremplin terrestre. Un logique itinéraire est exigé, afin de partir, non pas à l'aventure, mais vers de belles aventures. Je devrai surtout me garder de l'incessante rumination du problème posé : le bon marcheur va son train sans interroger à chaque pas sa semelle.

Pour que l'expertise déploie toute sa valeur et qu'au retour aucun doute ne soit laissé dans l'ombre, pour que ce voyage étrangle toute nostalgie et tout scrupule, il le faudra compréhensif, morcelé sous sa marche simple. La route fuyant tout subterfuge mécanique, et relevant des seuls muscles animaux, devra tour à tour s'étaler droit jusqu'à franchir l'horizon à dix lieues de vue sur la plaine, ou se rompre et strier la montagne de festons et de lacs. Elle s'embourbera dans des marais, passera des rivières à gué, ou bien se desséchera dans les roches. Il ne faut point choisir un climat unique. Il sera bon d'avoir tantôt froid, et si froid dans un vent terrestre, que tout souvenir du chaud et de la brise de mer soit perdu, et tantôt il fera lourdement tiède dans des vallées suantes, si bien que le goût du froid sec soit oublié. Les cours d'eau n'auront pas un seul régime, mais grossiront depuis le torrent ivre et bruyant, toujours ébouriffé de sa chute jusqu'au vaste fleuve qui prolonge sa course très au large dans la mer où il lave sa couleur et dépose ses troubles avec calme. Les provinces traversées seront parfois désertes, et taillées dans un terrain décomposé que dix mille années d'âge n'expliquent pas, et parfois d'autres seront si bien peuplées que la riche terre plus rouge que l'ocre et plus grasse que l'argile s'épuisera plusieurs fois dans l'année à nourrir sa vermine sale, mais pensante, ses laboureurs et ses fonctionnaires. Il sera digne de pousser quelques étapes dans un sol gros de souvenirs antiques, dans une Égypte moins fouillée, moins excavée, moins retournée ; dans une Assyrie plus élégante et moins musclée, dans une Perse moins levantine. D'autres régions seront neuves, sauvages, simples et touffues comme une mêlée de nègres sans histoire, comme un congrès de tribus qui, n'ayant pas encore de noms européens, ne savent même pas celui qu'elles se donnent. Enfin, cette contrée, touchant au pôle par sa tête, suçant par ses racines les fruits doux et ambrés des tropiques, s'étendra d'un grand océan à un grand plateau montagneux. Or, le seul pays étalé sous le ciel, et qui satisfasse à la fois ces propositions paradoxales, balancées, harmonieuses dans leurs extrêmes, est indiscutablement : la Chine.

C'est donc à travers la Chine, — grosse impératrice d'Asie, pays du réel réalisé depuis quatre mille ans, — que ce voyage se fera. Mais n'être dupe ni du voyage, ni du pays, ni du quotidien pittoresque, ni de soi ! La mise en route et les gestes et les cris au départ, et l'avancée, les porteurs, les chevaux, les mules et les chars, les jonques pansues sur les fleuves, toute la séquelle déployée, auront moins pour but de me porter vers le but que de faire incessamment éclater ce débat, doute fervent et pénétrant qui, pour la seconde fois, se propose : l'Imaginaire déchoit-il ou se renforce quand on le confronte au Réel ?

(Victor Segalen, L'équipée, 1929)

Ulysse


Ulysse est sans doute le plus célèbre héros grec de l'Antiquité. Ulysse naquit dans l'île d'Ithaque. Son père Laërte en était le roi. On raconte également qu’Ulysse serait le fruit d’une liaison entre Sisyphe, en visite dans l'île, et Anticlée, alors fiancée à Laërte. Par sa mère, Ulysse descendait d'Autolycos, fils d’Hermès et était donc de lignée divine.

Dans son enfance et sa jeunesse, Ulysse fit de nombreux voyages et se rendit en particulier chez son aïeul Autolycos, qui l'invita à participer à une chasse au sanglier sur le mont Parnasse. Blessé par la défense d'une des bêtes, Ulysse en gardera une cicatrice au genou. Cette anecdote prendra plus tard une importance considérable, puisqu'elle permettra à son épouse Pénélope de le reconnaître après son Odyssée. Reçu ensuite à la cour d'Iphitos, il acquit le précieux arc d'Eurytos, qui lançait des flèches imparables. Ayant atteint l'âge adulte, il remplaça son père trop âgé sur le trône d'Ithaque et chercha une épouse. Il jeta, comme beaucoup d'autres héros de la Grèce, son dévolu sur Hélène, la fille du roi Tyndare, dont la beauté et la grâce avaient fait le tour du pays. Il fit jurer à tous les prétendants de venger tout outrage qui pourrait un jour être fait au futur époux ou à Hélène, pensant ainsi s'attirer la faveur de Tyndare et éviter tout conflit avec ses rivaux. La belle Hélène a cependant choisi Ménélas, alors roi de Sparte, et Ulysse dut se consoler dans les bras de la sage Pénélope, fille du roi Icarios. De cette union naquit un fils unique, Télémaque.

Peu après cet événement survint l’enlèvement d'Hélène par Pâris, fils de Priam, roi de Troie. Ménélas réunit aussitôt les anciens prétendants de sa femme et leur rappela leur serment en leur conjurant d'y rester fidèle. Ces derniers acceptèrent de tenir leur promesse et levèrent une armée, afin d'envoyer une expédition punitive contre la ville de Troie. Ulysse, qui voulait trouver une solution pacifique, simula une folie pour échapper à son enrôlement dans l'armée constitué par les Grecs. En gage de sa folie : il laboura le sable de la mer et sema du sel. Palamède, qui était venu le trouver pour le convaincre de partir avec lui, voulut prouver qu’il n’était pas fou et plaça le petit Télémaque devant la charrue de son père. Ulysse réagit aussitôt en détournant la progression des bêtes qui poussaient la charrue et en soulevant le soc de l’outil. Palamède montra par cet acte périlleux qu'Ulysse avait conservé tous ses esprits. Il dut alors quitter sa chère patrie et fut envoyé avec Ménélas en ambassade à Troie pour réclamer la libération d’Hélène. Mais sa mission demeura sans issue. Il réussit en revanche à décider Achille, réfugié dans le gynécée du roi Lycomède à Scyros, de rejoindre les Grecs, car un oracle avait prédit que le concours de ce héros était indispensable pour assurer la victoire. Ulysse gagna Troie, à la tête d'une flotte de douze vaisseaux, et se montra d'un courage et d'une vaillance remarquables. Il avait notamment vaincu de nombreux héros troyens. Il sut pourtant garder son sang-froid et se révéla surtout au cours de la guerre comme un habile et prudent diplomate, cherchant à tout prix à maintenir l'union entre les Grecs à force de persuasion, de discours et de ruses. C'est ainsi qu'on le vit se glisser, avec son inséparable compagnon Diomède, dans la ville et y ravir le Palladion, statue protectrice de la cité. Il réussit encore à s'emparer des cavales de Rhésos avant qu'elles n'aient bu l'eau de Xanthe (Scamandre), qui leur aurait donné des forces surnaturelles, capables de donner la victoire aux Troyens. Il parvint aussi à pénétrer dans le palais du roi de Troie, grâce à la complicité d'Hécube, et inciter Hélène à trahir les Troyens. Malgré les années, Ulysse n'avait pas pardonner Palamède, qui l'avait forcé à quitter son royaume avec sa femme et son fils. Par esprit de vengeance il l’accusa injustement de trahison, affirmant que le héros correspondait secrètement avec les Troyens et recevait en échange de l'argent. On découvrit des lettres et des pièces de monnaie qui avaient été contrefaites par Ulysse et placées dans la tente de Palamède pour le perdre. Ce dernier périt lapidé par les Grecs, alors fous de colère. Ulysse participa par la suite à de nombreux autres épisodes de la guerre de Troie, à la mort d'Achille, il s'adjugea les armes du héros après les avoir disputées à Ajax. Il contribua à l’incursion des Grecs dans la ville de Troie, grâce à l’usage d’un stratagème ingénieux et célèbre : le flanc creux d’un cheval gigantesque. Une fois la ville prise et saccagée, Ulysse reçut Hécube, la veuve de Priam, et contribua, selon une légende, à sa mise à mort lorsqu’elle fut lapidée pour avoir tué le roi Polymestor. Il lui aurait jeté la première pierre.

Après l'Illiade, Homère nous raconte dans l'Odyssée, le retour long et mouvementé d'Ulysse vers sa patrie : les aventures et les périls que le héros eut à affronter. Il quitta Troie et fut rejeté par une tempête sur les côtes du pays des cruels Cicones, en Thrace, sans cesse ballotté par des vents contraires et des flots capricieux. Il réussit enfin à accoster en Libye, chez les Lotophages qui se nourrissaient de lotus (la plante qui fait tout oublier). Ulysse eut tout le mal à arracher ses compagnons à cette terre de perdition et reprit enfin la mer vers la Sicile, pays des cyclopes. L'un de ces monstres à l'œil unique, Polyphème, dévora la moitié de ses compagnons, mais le héros réussit à lui crever son oeil et à s'échapper à grand-peine avec le reste des marins. Poséidon, qui était le père de Polyphème, décida de venger son fils et suscita dès lors de monstrueuses tempêtes pour mener les navires d'Ulysse à leur perte. Ulysse parvint à amarrer au Nord de la Sicile et fut favorablement recueilli par le roi Éole qui lui remit une outre refermant tous les vents dont il avait la charge. Les compagnons d'Ulysse pensaient qu'elle renfermait des trésors ou du vin et décidèrent de l'ouvrir, ce qui déclencha la plus grande tempêtes jamais vue. Le navire des infortunés navigateurs échoua non loin de l'île des Lestrygons, peuple cannibale auquel Ulysse put échapper non sans que le roi, Antiphatès, n'ait dévoré l'un de ses compagnons. Le héros jeta enfin l'ancre dans l'île d'Aea, où le reçut Ciré, qui métamorphosa tous les marins en pourceaux ; mais bientôt la magicienne leur rendit leur forme première. Ulysse resta quelques mois en compagnie de l'enchanteresse, qui lui donna un fils, Télégonos. Le héros débarqua ensuite dans le pays des Cimmériens, en ces régions où coule l'Océan qui marque les limites de la Terre, et pénétra dans l'Hadès, afin de consulter le devin Tirésias sur la route la plus adaptée pour regagner Ithaque. Le devin affirma qu'il reviendrait chez lui, seul et démuni de tout et qu'il devrait tuer tous les prétendants de Pénélope. Après avoir croisé les fantômes des grands héros morts et l'ombre de sa mère Anticlée, Ulysse sortit des Enfers et reprit la mer. Il réussit à échapper aux Sirènes en bouchant les oreilles de ses compagnons avec de la cire et en se faisant attacher au grand mât car il voulait entendre leur musique magique. Son vaisseau put s'écarter des roches Splymgades, Charybde et Scylla et parvint à aborder les côtes de l'île de Thrinacie. Les navigateurs affamés y commirent l'imprudence de dévorer des boeufs consacrés à Hélios. Zeus foudroya tous les impies et détruisit les navires dans une tempête. Seul Ulysse fut épargné et réussit à s’échouer sur un radeau de planches dans une des Cyclades, l'île d'Ogygie, où la Nymphe Calypso le retint prisonnier pendant huit ans jusqu'au jour où elle dut rendre la liberté à Ulysse sur ordre des Dieux. Celui-ci repartit sur les flots, essuyant encore bien des tempêtes, jusqu’à se retrouver, nu et évanoui, sur le rivage de l'île des Phéaciens. Nausicaa, la fille d'Alcinoos, roi de l'île, le découvrit. Une fois rétabli, il put enfin, et pour la dernière fois, gagner la haute mer sur un vaisseau que lui avait prêté son hôte. Il jeta enfin l'ancre sur les côtes de l'île d'Ithaque, après vingt ans d'absence. Déguisé en mendiant, il se rendit chez Eumée, son porcher, et se fit reconnaître. Il retrouva son fils Télémaque et regagna son palais occupé par ses prétendants, qui affirmaient qu'il était mort et encourageaient Pénélope à choisir l'un d'eux comme époux. Ulysse eut une querelle avec Iros, un mendiant dévoué aux prétendants, et l'abattit. Il alla trouver Pénélope et, sans se faire reconnaître, accueillit avec joie la proposition qu'elle fit de prendre pour époux celui qui serait capable de tendre l'arc d'Ulysse. Aucun des hommes n'y parvint. Seul Ulysse put se servir de l’arc et commença, aidé par son fils Télémaque, à massacrer les prétendants et les servantes qui l'avaient trahi. Il se fit alors reconnaître de Pénélope. Grâce à Athéna, les parents des prétendants massacrés, qui avaient pris les armes et voulaient se venger, s'apaisèrent, et le royaume d'Ithaque retrouva enfin le calme. Selon d'autres versions, Ulysse aurait été tué quelques temps après par Télégonos, qui ignorait qu'Ulysse était son père. Celui-ci l’aurait percé d'un javelot fait d'une aiguille de raie. Ainsi s'accomplissait la prophétie selon laquelle le héros devait périr de la main de son fils et par la mer.

Je Veux Nager

Tu penses que les femmes m'adorent
Tu penses que mon nez est pas trop grand
Tu penses que je suis intelligent
Tu penses que je pense

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

J'suis pas James Bond
Tu penses que je peux être une star
Tu penses que je suis assez beau
Tu penses que j'ai une tête de veau

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

Tu penses que je suis pas trop petit
Tu penses que je peux être heureux
Tu penses que je vais mourir
Tu penses que je dis des conneries

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

Moi j'aime Dieu
Moi je fais ce que je veux
J'adore Hollywood
J'aime l'été à St Tropez

Et moi je veux nager
Encore une fois avec toi
Et moi je veux nager
Ma femme n'est pas là

I wanna swim with you
In the moonlight
Je veux nager, nager avec toi
In the moonlight...

(Arno, 2002)

Les Filles du Bord de Mer

Je me souviens du bord de mer avec ses filles au teint si clair
Elles avaient l'âme hospitalière c'était pas fait pour me déplaire
Naïves autant qu'elles étaient belles on pouvait lire dans leurs prunelles
Qu'elles voulaient pratiquer le sport pour garder une belle ligne de corps
Et encore, et encore, z'auraient pu danser la java

Z'étaient chouettes les filles du bord de mer
Z'étaient chouettes pour qui savait y faire

Y'en avait une qui s'appelait Eve c'était vraiment la fille d'mes rêves
Elle n'avait qu'un seul défaut elle se baignait plus qu'il ne faut
Plutôt qu'd'aller chez le masseur elle invitait le premier baigneur
A tâter du côté de son cœur, en douceur, en douceur
En douceur et profondeur

Z'étaient chouettes les filles du bord de mer
Z'étaient chouettes pour qui savait y faire

Lui pardonnant cette manie j'lui proposes de partager ma vie
Mais dès que revint l'été je commençe à m'inquiéter
Car sur les bords d'la Mer du Nord elle se remit à faire du sport
Je tolérais ce violon d'Ingres sinon elle devenait malingre

Puis un beau jour j'en ai eu marre c'était pis que la mer à boire
J'lai refilée à un gigolo et j'ai nagé vers d'autres eaux
En douceur, en douceur

Z'étaient chouettes les filles du bord de mer
Z'étaient bêtes pour qui savait leur plaire

La la la la la la La la la la la la ..............

(Salvatore Adamo, 1964)

Volver

Yo adivino el parpadeo
de las luces que a lo lejos
van marcando mi retorno...
Son las mismas que alumbraron
con sus pálidos reflejos
hondas horas de dolor..

Y aunque no quise el regreso,
siempre se vuelve al primer amor..
La vieja calle donde el eco dijo
tuya es su vida, tuyo es su querer,
bajo el burlón mirar de las estrellas
que con indiferencia hoy me ven volver...

Volver... con la frente marchita,
las nieves del tiempo blanquearon mi sien...
Sentir... que es un soplo la vida,
que veinte años no es nada,
que febril la mirada, errante en las sombras,
te busca y te nombra.
Vivir... con el alma aferrada
a un dulce recuerdo
que lloro otra vez...

Tengo miedo del encuentro
con el pasado que vuelve
a enfrentarse con mi vida...
Tengo miedo de las noches
que pobladas de recuerdos
encadenan mi soñar...

Pero el viajero que huye
tarde o temprano detiene su andar...
Y aunque el olvido, que todo destruye,
haya matado mi vieja ilusión,
guardo escondida una esperanza humilde
que es toda la fortuna de mi corazón.

(Carlos Gardel)

vendredi 19 octobre 2007

La Mauvaise Réputation

Au village, sans prétention,
J'ai mauvaise réputation.
Qu'je m'démène ou qu'je reste coi
Je pass' pour un je-ne-sais-quoi!
Je ne fait pourtant de tort à personne
En suivant mon chemin de petit bonhomme.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde médit de moi,
Sauf les muets, ça va de soi.

Le jour du Quatorze Juillet
Je reste dans mon lit douillet.
La musique qui marche au pas,
Cela ne me regarde pas.
Je ne fais pourtant de tort à personne,
En n'écoutant pas le clairon qui sonne.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde me montre du doigt
Sauf les manchots, ça va de soi.

Quand j'croise un voleur malchanceux,
Poursuivi par un cul-terreux;
J'lance la patte et pourquoi le taire,
Le cul-terreux s'retrouv' par terre
Je ne fait pourtant de tort à personne,
En laissant courir les voleurs de pommes.
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout le monde se rue sur moi,
Sauf les culs-de-jatte, ça va de soi.

Pas besoin d'être Jérémie,
Pour d'viner l'sort qui m'est promis,
S'ils trouv'nt une corde à leur goût,
Ils me la passeront au cou,
Je ne fait pourtant de tort à personne,
En suivant les ch'mins qui n'mènent pas à Rome,
Mais les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Non les brav's gens n'aiment pas que
L'on suive une autre route qu'eux,
Tout l'mond' viendra me voir pendu,
Sauf les aveugles, bien entendu.

(Georges Brassens, 1953)

jeudi 18 octobre 2007

De l'absurdité d'une rencontre

« Tu seras immigré en terre étrangère »

Parmi les événements qui ont marqué ma semaine, je compte cette brève rencontre faite dans l’enceinte de la Bibliothèque Universitaire. Les raisons qui m’avaient amenées là tenaient à peu de choses et de noblesse puisque je venais simplement y faire des photocopies. Ce n’est pas pour autant une opération simple. Il faut considérer que la faculté, comme toute institution ou administration, comporte ses contradictions et ses ambiguïtés. C’est d’ailleurs ainsi que je me suis trouvé bêtement en quête d’une carte de photocopie, devant une de ces machines sourde à mes appels (un vrai distributeur de billets!) sans disposer de monnaie! Ce qui constitue un handicap certain. Je suis bien heureusement tombé sur une bonne âme: un étudiant américain, qui venait lui aussi acheter une carte de photocopie. Il semblait très content de pouvoir me venir en aide. Nous avons commencé à discuter dans cet endroit insolite, inadéquat, que seuls créént les espaces publics. Il m’a demandé ce que je faisais. Je lui ai répondu que je cherchais désormais à quitter ces lieux hantés. Il m’a interrogé à nouveau en précisant sa question. Il parlait de mes études, de mon travail, de mon voyage ou mon errance sur ces eaux douteuses. « Ah ? » ai-je dû répondre en soupirant. « A moi Moïse ! Ulysse ! » « Héros de circonstances ! » Pourvu que les eaux se fendent sous mes pas… Je voyais suivre la question suivante et la devançais : « Qui suis-je ? » Les étudiants sont connus pour la profondeur de leur question et leur persévérance. Je ne partirai vraisemblablement pas. J’allais alors décliner mes papiers et me résoudre au pire, quand il m’expliqua les raisons de son interrogation.

Il commença par évoquer mon physique et mon âge. Sans doute considérait-il alors les rides qui couraient au coin de mes yeux, les cernes qui logeaient mon regard creux et fatigué, ma barbe de trois jours et mes quelques cheveux blancs. Il loua ensuite, par une subtile galipette, mon expérience et ma grande sagesse. Je devais avoir plus de 50 ans, comme Moïse, et allais bientôt traverser le désert. Il commençait à faire chaud dans cette pièce alimentée par les néons et les ronronnements des photocopieurs. Le garçon m’expliqua qu’il était étudiant en psychologie, qu’il était à la recherche d’un stage et qu’il sollicitait ainsi toutes les personnes apparemment plus âgées que les autres ou simplement plus lucides. Dans ce dernier cas il s’agit simplement d’une intuition. C’est une nouvelle catégorisation sociale qui apparaît depuis les dernières élections présidentielles… Quelques jours plus tôt, une personne m’avait lancé que j’avais l’air déprimé. Je fis rapidement le lien en songeant que je perdais le sens de mon image et que c’était sans doute le syndrome de la trentaine. On ne cicatrise plus de la même façon, de manière aussi rapide qu’autrefois. Je pris sur moi, après une telle entrée en matière et lui parlai des travaux que j’avais réalisé par le passé. Je commençai à lui parler de mes études et analyses menées en milieu carcéral, de l’extension d’un service de santé au niveau de l’hôpital Nord de Marseille, des conditions de détention, des problèmes rencontrés en France et de la particularité du système pénitentiaire à l’échelle de l’Europe. J’abordai les grandes questions posées du point de vue de la santé et de la psychiatrie, l’incarcération des toxicomanes et les traitements prescrits pour pallier le manque. Je me replongeais alors dans le passé, m’emportais sans réserves, sans fonds, à nouveau confronté aux difficultés rencontrées à cette époque. Il faisait décidément chaud. Je plaidais pour ma cause en montrant l’importance d’une intervention psychologique au sein de cette institution qui fut pendant longtemps coupée du « monde extérieur » et écartée des conditions de soins élémentaires. J’abordais enfin la question du délit et exposais les différentes réflexions engagées sur le sujet. Ces différents arguments semblaient toutefois perturber mon nouvel ami, qui avait semblé un moment intéressé. « En fait, demanda-t-il, presque blême, la prison c’est l’enfer, non ? » Je voyais bien que cela l’intéressait, mais d’une façon que je connais bien : avec curiosité et suffisamment de détachement. La prison est un lieu qui génère de nombreux fantasmes et inspire ce genre de sentiment. Le jeune homme, qui me dépassait de plusieurs têtes, et semblait ainsi écouter mes propos avec attention, comme penché sur mon cas, finit définitivement par me décevoir en laissant entendre que les détenus n’étaient pas des hommes comme les autres. Il est effectivement confortable de songer que l’on peut se préserver d’une notion aussi abstraite que « le mal », se persuader que l’on est du « bon côté » tant que l’on n’a pas compris ou admis que tout cela ne fait qu’un. Le garçon parut presque scandalisé lorsque je lui parlai des rencontres occasionnées en prison et la qualité des relations parfois entretenues avec des détenus qui avaient commis des actes effroyables. J’en conclus qu’il ne pourrait travailler en prison et supporter la réalité de son fonctionnement. Nous en étions à peu près à ces considérations lorsque son téléphone sonna. Les choses allèrent tellement vite que je perdis à nouveau pied. Il décrocha. J’ai pensé qu’il allait raccrocher aussitôt et que nous reprendrions notre conversation, mais au lieu de cela il me tendit la main et conclut ainsi notre discussion. Je la serrai, évidemment surpris et désemparé par son attitude et la rapidité des faits. Je ne le connaissais pas et j’ai alors réalisé que rien ne me rattachais à lui. Il s’en alla en parlant au téléphone, dans une langue que je ne saisis pas. Je ressentais à nouveau l’impression éprouvée quelques minutes plus tôt, l’absurdité palpable et le vide de ces lieux désormais hantés par l’errance des inconnus et l’épuisement des mots. J’étais à nouveau seul, livré à moi-même, plus que jamais incertain d’être en vie et de trouver du sens à tout cela. Je me suis simplement rapporté à un passage de l’Odyssée, au cours duquel Ulysse se sortit habilement d’une aventure périlleuse en se faisant appeler : « Personne ». « Je m’appelle Personne », aurais-je dit à mon tour à ce jeune homme, mais il ne perçut pas non plus la portée de ma parole.
Y.

lundi 15 octobre 2007

La Quête

Jacques Brel, 1968
tiré de l'Homme de la Mancha

Rêver un impossible rêve
Porter le chagrin des départs
Brûler, d'une possible fièvre
Partir, où personne ne part
Aimer jusqu'à la déchirure
Aimer, même trop, même mal
Tenter, sans force et sans armure
D'atteindre l'inaccessible étoile
Telle est ma quête
Suivre l'étoile
Peu m'importent mes chances
Peu m'importe le temps
Ou ma désespérance
Et puis lutter toujours
Sans questions ni repos
Se damner
Pour l'or d'un mot d'amour
Je ne sais si je serai ce héros
Mais mon coeur serait tranquille
Et les villes s'éclabousseraient de bleu
Parce qu'un malheureux
Brûle encore, bien qu'ayant tout brûlé
Brûle encore, même trop, même mal
Pour atteindre à s'en écarteler
Pour atteindre l'inaccesible étoile

Joachim Du Bellay (1522-1560)

Joachim du Bellay naquit en 1522 au château de Turmelière, dans la paroisse de Liré, petit village sur la Loire, en face d'Ancenis. Il devint orphelin très jeune, et fut confié à la tutelle de son frère aîné, René, qui avait 15 ans de plus que lui.
René ne s'occupa guère de son jeune frère, et Joachim eut une enfance solitaire, sans tendresse. Ses premières études semblent avoir été négligées.
Adolescent, il comprit la nécessité de faire des études pour obtenir un emploi honorable : il était le second des fils à une époque où le droit d'aînesse réservait le domaine à l'aîné. Il quitta en 1545 le château familial pour Poitiers où il entreprit des études de droit. A Poitiers, il fit la connaissance de plusieurs humanistes : Jacques Peletier du Mans, Ronsard, etc...
Lorsque, à la rentrée scolaire de l547, Jean Dorat fut nommé Principal du collège de Coqueret (près du Panthéon actuel), il y fit entrer deux de ses élèves, Ronsard et Jean-Antoine de Baïf. Du Bellay les y rejoignit, s'efforça avec passion et ténacité de combler les lacunes de sa scolarité antérieure et d'acquérir une formation littéraire approfondie : il compléta sa connaissance du latin, apprit le grec et découvrit les poètes italiens.
Jacques Peletier, devenu le Principal du collège de Beauvais, rencontrait fréquemment ses amis; il inséra dans le recueil de ses Oeuvres poétiques publiées en 1547, les premiers vers de Ronsard et de du Bellay. Dans cet ouvrage, il mit en pratique les principes qui seront exposés deux ans plus tard par du Bellay dans Défense et Illustration de la langue française (l549).
L'emploi du temps rigoureux de la vie des collèges, à cette époque, explique que l'on puisse à la fois s'instruire et produire des oeuvres personnelles : lever à 4 heures, prière à 5 heures, études jusqu'à 10 heures, colloque; à 10 heures et demi, déjeuner, lecture de textes, en guise de récréation; de 1 heure à 5 heures, études; une heure de conférence, souper à 6 heures et de nouveau, études tard dans la nuit...
C'est dans ces années de labeur passionné que du Bellay, après avoir été le porte-parole de ses condisciples en écrivant Défense et Illustration, composa ses premières oeuvres : la plus importante est l'Olive, recueil de poèmes d'amour publié en 1549.
Même s'il est accompli dans l'enthousiasme, un tel labeur est difficile à supporter pour un jeune homme dont la santé a toujours été fragile. Il est probable que la tuberculose pulmonaire dont il était atteint s'aggrava en 1550 : c'est aussi à cette époque qu'il ressentit les premières atteintes de la surdité. Il avait de plus de graves problèmes d'argent : sa famille n'était pas riche et, sans fortune personnelle, chargé de défendre les intérêts de son neveu, orphelin, il se trouva engagé malgré lui dans une série de procès pour défendre le domaine familial, y dépensant son temps et son argent.
Il eut recours à l'un de ses brillants cousins : Jean du Bellay pour tenter de faire une carrière dans la diplomatie. En 1553, il partit avec lui lorsqu'une nouvelle mission auprès du pape fut confiée au prélat. Il avait, en partant pour Rome, les espoirs qui auraient été ceux de tout humaniste à cette époque : il espérait y parfaire sa culture humaniste et y mener une vie intellectuelle brillante au contact des poètes et des artistes italiens...
La réalité démentit très vite ces rêves...

Heureux qui comme Ulysse

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage
Ou comme celui-là qui conquit la Toison,
Et puis est retourné plein d'usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge!

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m'est une province et beaucoup davantage?

Plus me plaît le séjour qu'ont bâti mes aïeux,
Que des palais romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine.

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Joachim Du Bellay, Regrets, 1558

dimanche 14 octobre 2007

Odusseia - L'Odyssée



"Ô Muse, conte-moi l'aventure de l'Inventif:
Celui qui pilla Troie, qui pendant des années erra,
Voyant beaucoup de villes, découvrant beaucoup d'usages,
Souffrant beaucoup d'angoisses dans son âme sur la mer
pour défendre sa vie et le retour de ses marins"

L'odyssée, traduction de Philippe Jacottet, 1955