vendredi 25 janvier 2013

La Philosophie comme 
manière de vivre

Pierre Hadot
“Ne plus se projeter dans l’avenir, mais considérer en elle-même et pour elle-même l’action que l’on fait.”

Qu’est-ce que philosopher ? Construire, pièce par pièce, une théorie, une doctrine par lesquelles le monde, ou du moins l’une de ses parties, va se trouver éclairé ? Non, pour Pierre Hadot, connaisseur érudit du stoïcisme ancien et du néoplatonisme, philosopher est « protreptique » : c’est une invitation pour le lecteur à se tourner lui-même vers la vie philosophique. Et si Hadot le dit ainsi, c’est que ses maîtres anciens ne faisaient pas autrement. Pour Plotin, Épictète, Marc-Aurèle, qu’il a commencé par traduire et commenter, la philosophie était un exercice spirituel en vue de l’établissement d’un genre de vie. Contrairement à ce qu’une longue tradition affirme, leurs textes n’avaient pas vocation à former un système, mais à former des disciples à la pratique d’une existence. 


Leurs contemporains ne s’y trompaient pas, explique Hadot. Ils caractérisaient les platoniciens comme « hautains », les épicuriens comme « des gens qui ne mangeaient rien », les stoïciens comme « austères ». Quant aux cyniques, ils n’enseignaient rien, mais vivaient, comme Diogène, de façon provocante. Chaque école philosophique était une manière de vivre et de se positionner dans la cité et dans le monde. Les péripatéticiens (Aristote) avaient une discipline d’étude des sciences naturelles, des mathématiques, de la géométrie, de l’économie. Les néoplatoniciens de l’Antiquité tardive se retiraient dans une vie de l’esprit qui les rapprochait de la mystique chrétienne. Quant aux sceptiques, ils refusaient de juger et se complaisaient dans l’obéissance aux lois. Si tous, dans le même temps, s’efforçaient d’élaborer des vues plus larges, c’était en fonction de la vie qu’ils entendaient mener. Ainsi Platon, en affirmant qu’il « fallait apprendre à mourir », pensait avant tout au détachement de l’âme et du corps, c’est-à-dire à l’exercice d’une vie intellectuelle au quotidien. Tous ces exemples, souligne Hadot, ont un écho dans l’histoire postérieure de la pensée : Érasme, Montaigne, Emmanuel Kant, Friedrich Nietzsche, et, plus près de nous, Ludwig Wittgenstein et Martin Heidegger incarnent, eux aussi, des formes d’existences philosophiques. Même s’il revendiquait le rôle d’historien de la discipline, Hadot a tiré de sa propre expérience une puissante leçon en confiant que penser à la mort l’a toujours aidé à mieux vivre, « comme si l’on vivait son dernier jour ».

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