Or, la critique (2)
est, pour Adorno et Horkheimer, l’essence même de la pensée libre et
créative. Ce simple fait les retient d’envisager quel serait un usage
positif de la raison (qu’ils appellent pourtant « vérité », mais
écrivent : « La vérité est ce qu’elle n’est pas »). Leur message, entièrement négatif, n’indique aucune voie de salut.
Les conclusions sombres de La Dialectique de la raison, paru
en période de reconstruction, n’ont pas trouvé beaucoup d’échos
favorables sur le moment. La langue recherchée et les nombreuses
digressions que comportait ce texte n’en ont pas facilité le succès.
Vingt ans seront nécessaires pour connaître une renaissance et se voir,
dans le bouillonnement des années 1960, crédité d’acte fondateur d’une
théorie critique de l’idéologie dominante qui aura une longue postérité.
NOTES
1.Aufklärung
Pendant allemand des Lumières européennes, soit le mouvement culturel
et philosophique qui, du XVIe au XVIIIe siècle, s’élève, au nom de la
raison, contre l’arbitraire du pouvoir monarchique et de la tradition
religieuse.
2.Théorie critique
Méthode de pensée consistant à faire apparaître les manques et les
contradictions des idées dominantes et de l’état social des choses.
Construire des alternatives peut, selon le cas, être jugé impossible ou
au contraire nécessaire.
La seconde vie de la « théorie critique »
Le philosophe Georg Lukacs, marxiste rival de l’école de Francfort,
se moquait encore dans les années 1960 du pessimisme abismal de La Dialectique de la raison.
Mais l’esprit de la révolte qui grondait contre la société de
consommation remit le livre sur la sellette. En compagnie d’Herbert
Marcuse, Horkheimer et Adorno inspirèrent, pas forcément dans le style
mais dans l’esprit, bon nombre de penseurs critiques les plus marquants
de l’époque, marxistes ou non, et ceci jusqu’aux philosophes de la
postmodernité : Guy Debord, Roland Barthes, Jean Baudrillard, Michel
Foucault, et, après eux, Jacques Derrida et Giorgio Agamben. Ce qui ne
les empêchera pas d’être chahutés en 1968… Parallèlement, la tradition
de l’école de Francfort se poursuivra avec Jürgen Habermas, dans une
direction plus constructive, avant de revenir, avec son successeur Axel
Honneth, à un point de vue certes critique mais nullement aussi
pessimiste que celui d’Horkheimer et Adorno.
Max Horkheimer (1895-1973)
Philosophe et sociologue, membre fondateur, à l’université de
Francfort, de l’Institut pour la recherche sociale en 1930, en compagnie
de Walter Benjamin et Herbert Marcuse. Exilé en 1938, il rouvre
l’Institut en 1949, et y poursuivra sa carrière. Son apport principal,
ancré sur un fond marxiste, est celui de la critique du rôle de la
raison dans le monde moderne. On lui doit Éclipse de la raison, 1949, et
Théorie critique, 1970.
Theodor Adorno (1903-1969)
Compositeur, musicologue et philosophe, Theodor Adorno rejoint le
groupe de l’Institut en 1932, puis s’exile en 1934 aux états-Unis.
Investi dans le développement de la théorie critique, Adorno couvre en
particulier son volet esthétique. De retour à Francfort en 1949, il
succédera à Max Horkheimer en 1958. Il lègue plusieurs œuvres, dont
Minima moralia. Réflexions sur la vie mutilée, 1951, et La Dialectique
négative, 1966.
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