Logique de la découverte scientifique, 1934.
Karl R. Popper
Cette idée d’une démarcation entre science et pseudoscience était étroitement associée à une critique de l’induction (1).
À la suite de David Hume, Popper faisait en effet remarquer qu’un
nombre, aussi grand soit-il, d’observations positives ne permet pas de
conclure à la vérité d’une proposition universelle, comme une loi
physique. En revanche, des observations négatives nous autorisent à
décréter qu’une proposition est fausse. Ainsi, la proposition « tous les cygnes sont blancs »
n’est pas vérifiable, mais simplement réfutable : il suffit de trouver
un cygne noir. Qui plus est, Popper rejetait l’idée que les théories
scientifiques proviennent directement de l’observation puisque selon lui
l’imagination joue un rôle non négligeable dans leur élaboration.
L’important pour assurer la scientificité des théories est uniquement
qu’elles soient réfutables. Ce qui signifie bien sûr qu’elles sont
condamnées à rester définitivement conjecturales.
Ce disant, Popper s’en prenait directement aux néopositivistes du
cercle de Vienne qui voulaient bâtir une véritable « conception
scientifique du monde », prétendument vérifiable. Au-delà de cette
controverse, sa thèse critiquait toute une conception de la science
basée sur l’idée qu’il est possible de confirmer définitivement des
théories.
Traduit en anglais en 1959 et en français en 1973, La Logique de la découverte scientifique
est devenu rapidement une référence en philosophie des sciences. Il
rencontra même un écho très favorable auprès d’une partie de la
communauté scientifique. En revanche, certains historiens des sciences
jugèrent que le critère de démarcation de Popper était trop sévère, car
leurs études montraient qu’en réalité, les scientifiques sont loin de
toujours chercher à réfuter les théories existantes.
Thomas Lepeltier (Sciences Humaines)
Karl Popper (1902-1994)
La Structure des révolutions scientifiques, 1962.
Thomas S. Kuhn
La Structure des révolutions scientifiques a eu une
influence considérable chez les scientifiques mais aussi chez bon
nombre de spécialistes de sciences humaines : historiens, économistes,
sociologues… Publié en 1962 et tiré depuis à un million d’exemplaires,
ce livre au succès indéniable a fait sa petite révolution sur la manière
de penser la science, et s’est attiré nombre de critiques. Thomas Kuhn,
professeur au MIT, y renouvelle en effet complètement la dynamique même
du progrès scientifique.
Selon la doctrine positiviste dominante, le progrès des sciences
naissait de l’accumulation des connaissances. On concevait qu’en
ajoutant des résultats aux théories, on devrait se rapprocher toujours
plus du vrai au fur et à mesure des siècles. Selon Kuhn, cela ne se
passe pas ainsi. Le progrès scientifique procède par une succession de
périodes calmes et de ruptures. Pendant les périodes stables, la
discipline se développe, organisée autour d’un paradigme (2)
dominant, sorte de cadre théorique auquel adhère la communauté des
professionnels du moment. Par exemple, la mécanique newtonienne a
fonctionné ainsi du XVIIe siècle au début du XXe siècle sans être remise
en cause. On y accumule des connaissances, mais aussi des problèmes à
résoudre.
Lorsque ces anomalies se multiplient, une crise survient, qui peut
déboucher sur une révolution scientifique. Un nouveau paradigme,
contredisant l’ancien, produira de nouveaux cadres de pensée. La théorie
de la relativité d’Albert Einstein par exemple a permis de rendre
compte de faits inexpliqués, telle l’impossibilité de dépasser la
vitesse de la lumière dans le vide. Et c’est ainsi que la physique des
particules s’est émancipée de la physique newtonienne. Par ce schéma,
Kuhn souligne également l’inscription sociale de l’activité
scientifique. Si une certaine théorie domine provisoirement, c’est qu’un
réseau de chercheurs la défend et la propage. Au IIIe siècle av. J.‑C.,
Aristarque de Samos défendait déjà l’hypothèse héliocentrique, mais
aucune oreille ne l’écoutait. Le système géocentrique de Ptolémée
satisfaisait aux exigences de la science normale (3) de l’époque.
Loin donc de suivre le cours d’un long fleuve tranquille, le progrès
des sciences est discontinu : il procède par bonds, conflits, et
rivalités… Kuhn souligne par là même le caractère relatif de la
connaissance et met en question l’objectivité des scientifiques. Cette
conception en hérissera plus d’un…
Sophie Desbois (Sciences Humaines)
Thomas Kuhn (1922-1996)
Docteur en physique en 1949, Thomas Kuhn enseigne tout d’abord
l’histoire des sciences à Harvard, qu’il quitte en 1956 pour Berkeley.
Il publie en 1962 La Structure des révolutions scientifiques,
ouvrage dans lequel il soutient, contre Karl Popper, que les théories
scientifiques ne sont pas invalidées dès qu’elles sont réfutées, mais
plutôt dès qu’elles sont remplacées par une autre théorie. En 1964, il
est nommé professeur à l’université de Princeton, puis s’installe à
Boston en 1979 où il enseignera au MIT jusqu’en 1991.
1.Démarche consistant à conjecturer des
lois ou des théories à partir d’une série de faits convergents.
La
déduction est le mouvement inverse : on part de la théorie pour prédire
des faits probables.
2.Chez Thomas Kuhn, ensemble cohérent
d’idées, de lois et de résultats empiriques appuyant ou corroborant une
théorie scientifique.
3.État de la science accepté par la communauté en un moment de l’histoire .
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