mardi 4 décembre 2012

Tractacus logico-philosophicus

Ludwig Wittgenstein 

Fils d’un industriel viennois, Ludwig Wittgenstein était un asocial : il a refusé l’héritage de son père et vécu toute sa vie en solitaire. Il a voyagé, vécu d’emplois éphémères avant de rejoindre l’université de Cambridge à partir de 1929, grâce à Bertrand Russell.


En 1918, paraît à Vienne une petite brochure de 80 pages rédigée par un inconnu : Ludwig Wittgenstein, jeune homme ombrageux, solitaire qui, jusque-là, a vécu à l’écart du monde. Mais son livre va faire l’effet d’une bombe philosophique. Tractatus se présente comme un ouvrage curieux, divisé en une suite de formules laconiques, chacune numérotée comme un théorème : « 1 - Le monde est tout ce qui a lieu » ou « 6373 - Le monde est indépendant de ma volonté »

Le thème central du livre porte sur la correspondance entre le monde et le langage, notamment sur la capacité de constituer une langue rigoureuse qui puisse représenter exactement la réalité. L’enjeu théorique – fort débattu à l’époque – consiste à délimiter, dans le langage, ce qui relève de la véritable connaissance de ce qui n’est que spéculation métaphysique, mots imprécis, vides de sens ou trop chargés de signification comme « âme », « amour », « Dieu », « liberté ».

Le monde est d’abord conçu comme « tout ce qui a lieu ». Tout part des faits, rien que des faits : « le chien aboie » est un fait. Et l’on peut décomposer le monde en une série de faits ou « d’état du monde » élémentaires. De son côté, le langage est formé de propositions, elles aussi décomposables en formules élémentaires : « il pleut », « Marie joue avec Claire »… Ces propositions sont considérées comme des images de la réalité. Elles ne sont vraies ou fausses qu’en tant qu’elles correspondent ou non à un état du monde donné.

Les propositions du langage sont reliées entre elles par des règles d’assemblage logiques (« si », « alors », « ou bien », « ne pas ») qui peuvent refléter une organisation du monde possible. Les propositions tirent leur validité de leur cohérence logique et de leur correspondance avec le monde. En dehors de cela, tout n’est que bavardage. « Dieu est tout-puissant », « cette fleur est belle » sont des propositions qui n’ont pas de vraies significations puisqu’elles ne portent pas sur une correspondance entre une proposition et un fait tangible (la beauté est un jugement de valeur et non un état de fait). Seules donc les sciences de la nature, qui portent sur le monde physique, ont une validité. La tâche de la philosophie, s’il en reste une, n’est pas de dire la vérité mais d’élucider les propositions du langage (« 4112 - Le but de la philosophie est la clarification des pensées »). Tous les discours qui relèvent de l’éthique ou de l’esthétique n’ont aucun sens du point de vue d’un langage vraiment rigoureux. Ils ne peuvent être tenus sans tomber dans la vacuité et la confusion. Wittgenstein écrit : « 6421 - C’est pourquoi il ne peut y avoir de propositions éthiques » car « Les propositions ne peuvent rien exprimer de supérieur ». Le résultat est donc brutal : en dehors des propositions qui portent sur les faits, il n’y a rien qui puisse être dit. Conséquence : « Sur ce dont on ne peut parler, il faut se taire. » Telle est la célèbre formule sur laquelle se conclut Tractacus. À partir de là, Wittgenstein considère qu’il a mis un point final à son travail, et qu’il a peut-être clos celui de la philosophie…


À peine publié, en anglais en 1921 puis en allemand en 1922 avec une préface de Bertrand Russell, l’ouvrage de Wittgenstein bénéficie d’un grand retentissement dans la communauté intellectuelle. Il va devenir le manifeste du cercle de Vienne, un groupe de philosophes, de mathématiciens, de physiciens, qui s’attelle à fonder une nouvelle philosophie de la connaissance : le positivisme logique. Cette doctrine affirme que seuls le recours aux faits (le positivisme) et la démonstration rigoureuse (la logique) ont place dans un discours scientifique. Pour le cercle de Vienne, Tractatus est une machine de guerre contre la métaphysique, les philosophies spéculatives, les discours idéologiques et les verbiages inutiles.


Le second Wittgenstein


Wittgenstein, lui, juge qu’il a terminé son travail. Il refuse de rejoindre le cercle de Vienne. Après plusieurs années d’errance, il reprendra tout de même contact avec l’université de Cambridge où l’accueille B. Russell. C’est là que sa légende se forge. Pendant toutes ces années, il ne publiera rien se contentant de rédiger des cahiers où il note ses idées.


Après sa mort, on découvre que l’un des cahiers contient de nouvelles bombes intellectuelles. Dans ce cahier (publié sous le titre Investigations philosophiques, 1953), Wittgenstein révise sa théorie du langage. Le but du langage n’a pas forcément pour but de décrire le réel mais de communiquer. Les mots servent d’abord à agir sur autrui. Donner un ordre, raconter une histoire vraie ou fausse, faire un mot d’esprit, se saluer, remercier, prier…, ces usages du langage ne visent pas à décrire un état du monde mais à intervenir dans le monde social.

Dès lors, le sens des mots n’est pas à chercher dans un rapport entre un signe et une chose (comme dans Tractacus), mais il est fait de conventions arbitraires entre les êtres humains. « Stop ! » ne dit rien sur le monde mais indique qu’il est temps de s’arrêter. On qualifie de « pragmatique » cette vision du langage, qui ouvre une nouvelle page de la philosophie du langage.

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