mardi 4 décembre 2012

Pour une responsabilité écologique

Hans Jonas, 1979, Le principe de responsabilité.

Spécialiste des courants gnostiques, peu connu du grand public, Hans Jonas a 76 ans et déjà une longue carrière derrière lui quand il fait paraître Le Principe Responsabilité en 1979. L’ouvrage connaît un immense succès en Allemagne et devient en quelques années le livre de chevet de nombreux écologistes. 


Pour Jonas, les éthiques traditionnelles sont caduques. Il n’entend donc rien moins que proposer « une éthique pour la civilisation technologique ». Le titre Le Principe responsabilité fait référence au principe espérance du marxiste Ernst Bloch qui réhabilitait l’utopie. Au-delà de Bloch, c’est plus généralement au marxisme que s’attaque Jonas. Et notamment son rapport « naïf » à la technique, survalorisée sans véritable conscience des dangers qu’elle recèle. 

Le constat dont part Jonas fait l’objet d’un consensus de plus en plus large : le développement des sciences et des techniques met en péril la nature et l’homme lui-même. Dans une folle fuite en avant, il semble devenu immaîtrisable. Or, l’éthique traditionnelle ne peut répondre à ce problème. Elle souffre selon lui de plusieurs insuffisances. Tout d’abord, elle est trop anthropocentrique, c’est-à-dire qu’elle est centrée sur les rapports qu’ont les hommes entre eux alors qu’il faut désormais songer aussi à nos rapports à l’environnement. Du reste, ce n’est pas seulement lui qui est menacé mais aussi la nature humaine elle-même – notamment par les manipulations génétiques – et les conditions d’une existence digne de ce nom. 


Le rapport au temps de l’éthique traditionnelle est trop étroit : elle envisage le présent ou le futur proche là où il est devenu indispensable de penser notre responsabilité par rapport à l’avenir et même à un avenir lointain. Les effets néfastes de la technique ont un impact à long voire à très long terme (les déchets nucléaires par exemple). En ce sens, c’est proprement une « éthique du futur » que propose Jonas.


Jonas n’a pas la naïveté de penser que ce problème éthique peut être simplement résolu à un niveau individuel. S’il ne propose pas à proprement parler de théorie politique, il émet sans détour des doutes sur la capacité des gouvernements libéraux représentatifs à mettre en œuvre cette éthique de la responsabilité. L’horizon temporel de ceux qui exercent un mandat politique est bien trop limité. Ils ne peuvent en outre se risquer à aller contre la volonté du peuple, même pour son bien. Le processus démocratique est à ce titre difficilement compatible avec son éthique du futur. Jonas croit davantage en « une tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses ». Une vision politique qui rencontrera, sans surprise, de nombreuses critiques ! Ce ne sont pas les seules. Beaucoup jugent rétrograde et pessimiste la vision de la technique qu’a Jonas, perçu comme un nouveau prophète de malheur. À quoi celui-ci par avance rétorque dans son ouvrage : « La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle se réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de l’injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite. »
 
Catherine Halpern

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