Spécialiste
des courants gnostiques, peu connu du grand public, Hans Jonas a 76 ans
et déjà une longue carrière derrière lui quand il fait paraître Le Principe Responsabilité en
1979. L’ouvrage connaît un immense succès en Allemagne et devient en
quelques années le livre de chevet de nombreux écologistes.
Pour Jonas, les éthiques traditionnelles sont caduques. Il n’entend donc rien moins que proposer « une éthique pour la civilisation technologique ». Le titre Le Principe responsabilité
fait référence au principe espérance du marxiste Ernst Bloch qui
réhabilitait l’utopie. Au-delà de Bloch, c’est plus généralement au
marxisme que s’attaque Jonas. Et notamment son rapport « naïf » à la technique, survalorisée sans véritable conscience des dangers qu’elle recèle.
Le constat dont part Jonas fait l’objet d’un consensus de plus en
plus large : le développement des sciences et des techniques met en
péril la nature et l’homme lui-même. Dans une folle fuite en avant, il
semble devenu immaîtrisable. Or, l’éthique traditionnelle ne peut
répondre à ce problème. Elle souffre selon lui de plusieurs
insuffisances. Tout d’abord, elle est trop anthropocentrique,
c’est-à-dire qu’elle est centrée sur les rapports qu’ont les hommes
entre eux alors qu’il faut désormais songer aussi à nos rapports à
l’environnement. Du reste, ce n’est pas seulement lui qui est menacé
mais aussi la nature humaine elle-même – notamment par les manipulations
génétiques – et les conditions d’une existence digne de ce nom.
Le rapport au temps de l’éthique traditionnelle est trop étroit :
elle envisage le présent ou le futur proche là où il est devenu
indispensable de penser notre responsabilité par rapport à l’avenir et
même à un avenir lointain. Les effets néfastes de la technique ont un
impact à long voire à très long terme (les déchets nucléaires par
exemple). En ce sens, c’est proprement une « éthique du futur » que
propose Jonas.
Jonas n’a pas la naïveté de penser que ce problème éthique peut être
simplement résolu à un niveau individuel. S’il ne propose pas à
proprement parler de théorie politique, il émet sans détour des doutes
sur la capacité des gouvernements libéraux représentatifs à mettre en
œuvre cette éthique de la responsabilité. L’horizon temporel de ceux qui
exercent un mandat politique est bien trop limité. Ils ne peuvent en
outre se risquer à aller contre la volonté du peuple, même pour son
bien. Le processus démocratique est à ce titre difficilement compatible
avec son éthique du futur. Jonas croit davantage en « une tyrannie bienveillante, bien informée et animée par la juste compréhension des choses ».
Une vision politique qui rencontrera, sans surprise, de nombreuses
critiques ! Ce ne sont pas les seules. Beaucoup jugent rétrograde et
pessimiste la vision de la technique qu’a Jonas, perçu comme un nouveau
prophète de malheur. À quoi celui-ci par avance rétorque dans son
ouvrage : « La prophétie de malheur est faite pour éviter qu’elle se
réalise ; et se gausser ultérieurement d’éventuels sonneurs d’alarme en
leur rappelant que le pire ne s’est pas réalisé serait le comble de
l’injustice : il se peut que leur impair soit leur mérite. »
Catherine Halpern
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