mardi 4 décembre 2012

L’Écriture et la Différence, 1967. Jacques Derrida

“Une trace ineffaçable n’est pas une trace.” 

Dans l’histoire de la philosophie, Jacques Derrida s’inscrit d’une façon bien singulière. Menant un long et minutieux travail de relecture des textes philosophiques, il ne cherche en vérité qu’à déchiffrer, dans les marges et entre les lignes des discours, un tout autre texte que celui qui se donne à lire. Ce travail porte un nom : la « déconstruction ». Notion utilisée par Martin Heidegger, la déconstruction a eu un grand succès aux États-Unis. Mais c’est à Derrida qu’il incombe d’en avoir théorisé la pratique, lui conférant une renommée internationale. Loin d’être une méthode que l’on pourrait appliquer selon des règles, la déconstruction est le principe de ruine logé au cœur de tout discours et de toute construction. Ce n’est pas une destruction. Déconstruire un texte, c’est interroger ses présupposés pour ouvrir une nouvelle lecture, une nouvelle interprétation. Ainsi, Derrida parvient à faire dire aux textes ce qu’ils ne semblaient pas dire jusque-là. Dans L’Écriture et la Différence, Derrida fait apparaître que la tradition philosophique n’a cessé de subordonner à la présence de la parole vive l’écriture, comprise comme un supplément technique et artificiel sans substance. En effet, la pensée occidentale, de Platon à Rousseau, pense atteindre le sens ultime des choses à travers le logos (la raison, la loi, le discours) qui s’exprime de façon naturelle à travers la parole. L’objectif étant alors de libérer l’écriture de sa présupposée secondarité à la parole qui occulte, selon Derrida, le rôle médiateur et structurant de l’écriture sur la pensée. C’est alors une illusion de croire que l’esprit peut accéder immédiatement au sens sans la médiation du langage. Jamais nous ne pouvons accéder immédiatement ni à ce que nous sommes ni à ce que voulons dire. Toute intention doit passer d’abord par un processus de significations qui suppose deux conditions : un déploiement dans le temps, qu’il appelle « différance » (1), et l’inscription dans des « traces », c’est-à-dire des éléments matériels qui se combinent dans un système de signes. C’est là le cœur de la théorie derridienne du langage. Prendre conscience que ce je pense implique une durée durant laquelle je me transforme. Je ne suis alors déjà plus le même au terme de mon énoncé. Il en est de même pour ce que je veux dire. Ce que j’énonce dépasse toujours ce que je croyais vouloir dire.

NOTES
1. Ce participe présent substantivé du verbe « différer » est le terme que choisit Jacques Derrida pour signifier le délai qu’implique la médiation du langage. Elle correspond aussi à l’écart de la différenciation, « différer de », « ne pas être identique », par lequel un sujet diffère de lui-même dans l’espacement de l’écriture.

Jacques Derrida (1930-2004)
Né en Algérie, il rentre, après la guerre, au lycée Louis-le-Grand, où il rencontre Pierre Bourdieu, Michel Deguy, Michel Serres. Il est ensuite invité à enseigner à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm par Jean Hyppolite et Louis Althusser. En 1967, il publie De la grammatologie, La Voix et le Phénomène et L’Écriture et la Différence. Jacques Derrida commence alors à donner des cours et des conférences dans le monde entier.

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