L’angoisse de la liberté
« Le sens de l’être de cet étant, que nous nommons Dasein, va se révéler être la temporalité », écrit Heidegger. Traduction : l’existence humaine – ou le Dasein –
est marquée par la temporalité. Le temps n’est pas dans l’âme de
l’homme ou dans le monde : c’est l’homme qui est dans le temps.
Heidegger renverse la perspective classique ; il récuse les clivages
sujet/objet, homme/monde. La condition humaine du Dasein est d’être « plongé dans le monde » (« Sein-in-der- Welt
»). Projeté dans le monde et dans le temps, l’être humain est d’abord un
être ouvert et inachevé. Le sens de sa vie n’est pas fixé par avance.
D’où une préoccupation (Besorgen), une inquiétude fondamentale,
constitutive de son être. L’inachèvement, qui est notre part de la
liberté, provoque aussi une profonde inquiétude. La situation du Dasein
lui impose de prendre en charge son existence, de « s’engager » dans la
vie. L’inquiétude, ou le « souci » comme le nomme Heidegger, est
engendrée par la temporalité de l’homme. La première dimension de la
temporalité, c’est l’avenir. Cet avenir n’est pas envisagé comme la
simple anticipation d’événements futurs. Il faut le voir comme une
« projection » de l’homme hors de soi, vers un au-delà ouvert et qu’il
doit construire.
Le présent lui-même n’est pas simplement le fait de vivre l’instant,
c’est le fait de se situer dans le monde et d’éprouver ses
potentialités, ses capacités d’agir, de mettre en œuvre son « ouverture
au monde ». La temporalité, succession du passé, du présent et de
l’avenir, n’est donc pas, pour Heidegger, la succession de moments,
d’instants qui défilent hors de nous. Le temps est pour l’homme un champ
de possibles, le déploiement de sa condition. Il y a là une vision
créative du temps. Le temps est une ouverture au monde.
Regarder la mort en face
Mais la temporalité de l’homme, c’est aussi sa tragédie : la mort est son destin. Comment vivre lorsque l’on se sait mortel et biodégradable ? Redoutable problème existentiel… Pour Heidegger, la plupart des hommes se cachent à eux-mêmes cette vérité. Ils ont inventé tout un système de défenses contre cette évidence. L’idée de l’au-delà a le grand avantage de proposer une option d’immortalité : c’est un peu notre joker métaphysique… Se laisser absorber par la quotidienneté de l’existence est une autre façon de détourner les yeux face à l’échéance suprême. Mais l’homme « authentique », selon Heidegger, est celui qui ose regarder sa propre mort en face, qui ose même l’anticiper. C’est à ce prix qu’il perd sa tranquillité d’esprit mais qu’il connaît le vrai prix de la vie et peut la vivre pleinement.
Martin Heidegger (1889-1976)
Élève d’Edmund Husserl qui le considérait comme son fils
spirituel, Martin Heidegger s’est empressé de se démarquer de son
maître. Avec être et Temps, il fait une entrée fracassante dans
la philosophie et s’affirme comme un auteur majeur. De sa vie, on
retient surtout son engagement nazi, sa relation avec son étudiante
Hannah Arendt et sa vie de semi-ermite dans la cabane où il aimait se
retirer.
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