mardi 4 décembre 2012

De la conscience

Daniel C.Dennet

Il est l’un des philosophes le plus reconnus aux États-Unis. Ses livres de philosophie de l’esprit sont nourris de sciences cognitives et de théorie de l’évolution. Né en 1942 à Boston, il enseigne au Center for Cognitive Studies de l’université de Tufts (Massachusetts). Son œuvre comprend plusieurs livres majeurs : La Stratégie de l’interprète, La Conscience expliquée, Darwin est-il dangereux ?, et Une théorie évolutionniste de la liberté.
  
La Conscience expliquée,
“Je suis un philosophe, 
pas un scientifique, 
et les philosophes sont davantage doués pour poser des questions que pour fournir des réponses.”

L’expérience qui consiste à conduire une automobile tout en menant une conversation avec son passager est un exemple de la capacité de la conscience à se scinder en deux « postes de commande » qui dirigent chacun parallèlement une activité. Pour Daniel C. Dennett, l’un des grands noms de la philosophie de l’esprit actuelle, auteur du volumineux La Conscience expliquée, cette simple expérience apporte un démenti à la théorie cartésienne de la conscience. Rappelons que pour René Descartes, la conscience est comme un pilote unique et universel qui gouvernerait l’ensemble des processus mentaux. Il existerait ainsi dans le cerveau un lieu central de traitement des informations (la glande pinéale) où toutes les informations venues de nos organes seraient centralisées et interprétées.
 

« L’idée qu’il existerait un centre spécial dans le cerveau est la plus mauvaise et la plus tenace de toutes les idées qui empoisonnent nos modes de pensée au sujet de la conscience. » Le livre de Dennett non seulement s’oppose à la thèse cartésienne de la conscience unique, mais propose une théorie empirique de l’esprit. Selon lui, ce que nous appelons « conscience » est une illusion. Le mot désigne tantôt un principe d’identité (être un moi unique et autonome), tantôt un sentiment d’exister (perception d’émotions, de plaisirs, de souffrance, d’« intentionnalité », disent les philosophes), tantôt encore la pensée réfléchie (métacognition, auto-observation et contrôle de soi). Pour Dennett, tous ces processus sont partiellement disjoints et chacun peut être éprouvé à des degrés divers. Dans la plupart des faits et gestes de la vie quotidienne, nous agissons de façon plus ou moins consciente, plus ou moins vigilante, plus ou moins réfléchie. Seulement dans quelques rares moments, ces processus se combinent pour former un sentiment de conscience pleine et achevée. C’est par illusion rétrospective que nous appliquons à tous nos actes mentaux l’idée qu’ils agissent de concert, gouvernés par une conscience unique.

Une conscience « pleine de trous » 

Dennett oppose à la vision cartésienne une théorie des « versions multiples » de la conscience. «  Selon le modèle des “versions multiples”, toutes les perceptions – en fait toutes les espèces de pensées et d’activité mentales – sont traitées dans le cerveau par des processus parallèles et multiples d’interprétation et d’élaboration des entrées sensorielles. »

À celle d’une conscience unique et omniprésente, Dennett préfère l’image d’un « flux » disparate d’éléments de conscience, un « chaos d’images variées, de décisions, d’intuitions, de souvenirs, etc. » qui sont traités parallèlement et se connectent parfois seulement. « La question que l’on peut poser est : où donc toutes ces choses se rejoignent-elles ? La réponse est : nulle part. »

Le moi conscient ne serait donc qu’un tissage, un regroupement momentané de fonctions reliées parfois par un récit unique. La plupart du temps, il existe des « quasi-moi », des bribes de conscience. C’est pourquoi, selon Dennett, il n’est pas choquant d’attribuer aux ordinateurs ou aux animaux des éléments de conscience. Après tout, l’ordinateur qui supervise de multiples fonctions, exécute des métaprogrammes, vérifie les données, effectue des choix… se comporte comme une personne qui effectue un calcul mental. La plupart des opérations mentales (comme marcher ou choisir ses mots du langage courant) n’exigent pas de nous un retour sur soi qui serait synonyme d’actes conscients. De la même façon, les animaux ressentent bien la distinction entre leur corps et le monde extérieur (entre le soi et le non-soi, disent les psychologues), manifestent des comportements d’autodéfense (et donc de protection de soi). Inutile donc de postuler une pensée réflexive pour lui accorder un embryon de conscience.

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