On imagine déjà la scène. Extérieur jour: la
caméra, aérienne, s’élève au-dessus de la touffeur qui écrase
Marrakkech, paresse quelques instants dans le lit asséché de l’oued
Tensift, s’approche de la Palmeraie, valse de tronc en tronc, esquive
quelques moustachus armés engoncés dans une 504 épuisée qui veille
devant le portail sécurisé, volette dans le jardin luxuriant, s’approche
du palais Jnane Kébir et se faufile à travers le moucharabieh pour se
fixer sur un couple.
Alanguis chacun sur une méridienne recouverte d’une peau de zèbre,
ils parlent. Les clapotis de la piscine qui s’ouvre à leurs pieds et
s’évase jusque dans le jardin accompagnent leurs paroles. Redressant
sans cesse de l’index sa paire de Ray Ban, l’homme glisse: «On est bien, là, hein, Carlita.» Elle: «Oui, oui, mon homme, on est bien, calme-toi.» Lui: «Chuis calme, moi, Carlita». Et il s’évente avec un Figaro Magazine: «T’as
vu Fillon, hein, ma Carlita? Plus de leader naturel depuis le départ de
Nicolas Sarkozy, qu’il dit, hein, mais il est où, hein, le leader
naturel?» Elle: «Il est là, mon homme, calme-toi». Lui: «Et Copé, t’as vu comme on dirait qu’il a mangé un truc pas frais, il arrive pas à l’avaler, le Fillon, hein, ma Carlita.» Elle: «Oui, mon homme, tu veux regarder la télé, il y a 'La Conquête' qui passe en ce moment sur Canal+».
Oui, pile au moment où l’UMP part en torche sitôt la mention, visiblement outrageante, d’une absence de «leader naturel»
(heureusement que Fillon n’a pas traité Copé de «face de pet», il y
aurait eu des morts), pile au moment où Nicolas Sarkozy coule des jours
tranquilles à Marrakkech dans un palais gentiment prêté par Mohammed VI
(hé, M6, ne nous oublie pas, nous aussi, on a un petit coup de mou en ce
moment), Canal+ diffuse La Conquête réalisé par Xavier
Durringer et écrit surtout par Patrick Rotman, l’une des rares
incursions du documentariste dans la fiction. «Bien qu’inspiré de faits réels, avertit faux-cul un banc-titre, ce film est une œuvre de fiction.» Quelle fiction? Ou plutôt quels faits réels? Ces bons mots trop parfaits qui font le pain hebdomadaire du Canard enchaîné
et constituent l’essentiel des dialogues du film? Ces situations
tellement outrées, cette suite de sketchs grotesques qui ne doit amuser
que la maison de retraite des chroniqueurs de l’Heure de vérité?
Et quelle œuvre… Et quels acteurs… Oui, la performance de Denis
Podalydès. Mais il le joue tellement bien, tellement parfaitement qu’il
sonne faux: Sarkozy joue mal, dans la vraie vie. Il y a aussi, dans La Conquête,
ces étranges carambolages entre réel et fiction: pourquoi, quand des
acteurs jouent le rôle de vrais personnages, utiliser une image d’Alain
Duhamel, le vrai, face au Sarkozy d’opérette?
Et pourquoi la fiction quand Rotman est un bon documentariste et que
l’incroyable réalité de la conquête de l’Elysée par Sarkozy est un
mauvais film? Ces questions-là, peut-être Nicolas Sarkozy se les
pose-t-il en regardant sa Conquête depuis son palais marocain.
Peut-être. Patrick Rotman, lui, c’est certain. On a appris cette semaine
qu’il allait désormais s’atteler à François Hollande. La nouvelle
production, qui va être tournée à l’Elysée pendant plusieurs mois, a
déjà un nom: Le Pouvoir.«Il s’agit, a indiqué Rotman à l’AFP, de montrer le fonctionnement au sommet de l’Etat, comment se prennent les décisions, comment travaille le président...».
Mais attention, ce sera un documentaire. Patrick Rotman fait de Nicolas
Sarkozy une fiction et filme le réel de François Hollande: politique de
l’auteur.
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