Il a fallu que Pierre Moscovici et Jean-Marc Ayrault et François Hollande lui-même montent au créneau. "La promesse d'une taxe à 75 % sera strictement respectée", affirme, vendredi 7 septembre, le ministre de l'économie à l'AFP, tandis que le chef du gouvernement promettait que "l'engagement sera tenu". "J'ai pris des engagements et ils seront tenus", a conclu le chef de l'Etat vendredi soir.
Un recadrage qui intervient alors que plusieurs
articles de presse affirmaient, depuis quelques jours, que Bercy
cherchait à édulcorer cette mesure phare de la campagne de M. Hollande,
pour en exclure certains publics (artistes, sportifs) et éviter des exils fiscaux.
Si elle lui a permis de relancer sa campagne et de mettre M. Sarkozy en porte-à-faux en le renvoyant à la figure de "président des riches", la proposition de M. Hollande de mettre en place une tranche d'imposition à 75 % pour les très hauts revenus est pourtant tout sauf simple à mettre en œuvre. Explication de texte.
Qu'avait proposé François Hollande ?
Fin février, François Hollande annonçait, à la surprise générale, son
idée : créer une tranche d'imposition à 75 % pour les revenus situés
au-dessus d'un million d'euros par an.
Contrairement à ce qu'on peut entendre
à l'époque, la mesure porterait non pas sur la totalité des revenus des
contribuables aisés, mais uniquement sur la part de leurs gains située
au-dessus d'un million d'euros.
Cette mesure viendrait en plus de la création d'une tranche à 45 %
pour les revenus situés au-delà de 150 000 euros. Elle ne rapporterait
que peu d'argent à l'Etat : de 7 000 à 30 000 foyers fiscaux seraient
concernés, estime le Syndicat national unifié des impôts (Snuip), par ailleurs favorable à la mesure, qui juge qu'elle pourrait, au mieux, ramener 250 millions d'euros dans les caisses de l'Etat.
Rapidement, différents sons de cloche se font entendre dans l'entourage du candidat. Certains évoquent une taxe "provisoire", d'autres parlent de mettre en place des dispositifs particuliers pour les artistes ou les sportifs...
L'égalité devant l'impôt
Car cette taxe pose une série de problèmes de mise en œuvre. A commencer par le fait qu'elle pourrait être anticonstitutionnelle. En effet, depuis 2005, le Conseil constitutionnel a fait valoir, en s'appuyant sur la Déclaration des droits de l'homme de 1789, que l'impôt devait être "également réparti entre tous les citoyens en raison de leurs facultés".
Pour le Conseil, "cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives". En
clair, le Conseil constitutionnel estimait qu'il n'était pas possible
de prélever trop de revenus sur des catégories données de la population.
Or, comme le faisaient valoir
les adversaires de cette tranche d'imposition à 75 %, si elle était
instaurée, et cumulée avec l'impôt sur la fortune (ISF), la contribution
sociale généralisée (CSG) ou une fiscalité sur les revenus du capital,
certaines catégories de population pourraient être imposées à des taux
cumulés supérieurs à 80%. D'où la possibilité, un temps évoquée dans
l'entourage de M. Hollande, de rétablir le "plafonnement Rocard",
ancêtre du... bouclier fiscal, et qui limitait à 85 % maximum la
taxation des impôts sur le revenu ou la fortune.
Les cas particuliers
Dès l'annonce de ce projet de tranche à 75 %, les cas particuliers n'ont pas manqué d'empoisonner
la vie de l'équipe Hollande. De l'arrivée du joueur star Zlatan
Ibrahimovic au PSG en passant par l'Oscar remporté par l'acteur Jean
Dujardin, chaque actualité de ce type amène l'UMP ou la presse à poser la question au PS : quid de ces personnalités, artistes, sportifs ou autres, qui peuvent parfois gagner beaucoup d'argent en une seule fois ?
François Hollande et son entourage évoquent à chaque fois la
possibilité – qui existe déjà – pour ces personnes d'étaler la
perception de leurs revenus sur plusieurs années pour rester
sous la barre fatidique d'un million d'euros annuels. D'autres types de
revenus exceptionnels (vente d'une société, par exemple)
nécessiteraient aussi des aménagements.
Individu ou foyer fiscal ?
Une autre question se fait jour rapidement : le seuil du million
d'euros de revenus est-il celui d'un foyer fiscal ou d'un particulier ?
En France, on calcule les impôts par foyer, non pour un seul individu.
Avec un système permettant de moduler l'impôt payé en fonction de la situation du foyer : les parts fiscales et le fameux quotient familial.
Ce quotient aboutirait à une tranche à 75 % différenciée selon la
typologie de foyer : elle frapperait les revenus d'un célibataire
au-dessus d'un million d'euros, mais pour un couple avec un enfant, elle
ne s'appliquerait qu'au-delà de 2,5 millions d'euros, et ainsi de
suite. Là aussi, le gouvernement tâtonne, et semble hésiter entre la
création d'une nouvelle tranche ou un dispositif à part, qui permettrait
de s'affranchir des règles.
De même, Les Echos ou Le Figaro
ont évoqué la possibilité que la taxe à 75 % intègre CSG (7,5 %) et
CRDS (0,5 %) déjà prélevées sur le salaire, ce qui en diminuerait le
montant à 67 %.
Quels types de revenus sont concernés ?
Autre question : la taxe s'appliquerait-elle sur tous les revenus, ou
seulement sur ceux du travail ? Tout l'été, grands patrons et autres
personnalités influentes se seraient, selon des échos de presse, succédé
à l'Elysée pour dire tout le mal qu'ils pensaient de ce projet de taxe, et agiter la crainte d'un exil fiscal massif.
Entre autres questions, celle du type de revenus concernés : ceux du
patrimoine ou du capital seraient-ils comptabilisés ? La question est
intéressante : comme le note l'Insee, si pour 90 % de la population les revenus du travail représentent plus de 80 % des revenus totaux, "les revenus d'activité représentent moins de 20 % des revenus totaux de 32 % des plus aisés", qui sont alors des revenus du capital ou du patrimoine.
Le risque est donc de laisser échapper ces contribuables aisés mais non salariés à l'impôt. D'autant qu'il existe, pour les plus aisés, des moyens de pratiquer l'évasion fiscale, au travers de sociétés de holding, par exemple, et donc de ne pas être imposé sur l'intégralité de leurs revenus.
Une taxe pérenne ou limitée ? Et quel risque d'exil fiscal ?
Faut-il créer une taxe pérenne ou en faire
une mesure temporaire et exceptionnelle ? Là aussi, tiraillé entre une
aile gauche qui réclame des mesures fortes et les "visiteurs du soir" de
l'Elysée, le gouvernement semble hésiter. A plusieurs reprises, Jérôme
Cahuzac, le ministre du budget, a parlé d'une taxation limitée dans le temps,
qui s'arrêterait lorsque la France reviendrait à l'équilibre
budgétaire, soit – veut-on espérer au sommet de l'Etat – à la fin du
quinquennat.
Cette précision n'empêchera probablement pas quelques cadres supérieurs aux revenus importants de s'exiler à l'étranger. Combien ? Tout dépendra sans doute du visage qu'aura cette taxe au final.
Samuel Laurent
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