Par Véronique Falez, Le Monde, 02.09.2012.
Les passants de Jérusalem croisent chaque semaine durant le shabbat les pères de famille hassidim coiffés d'un schtreimel, ce large chapeau en fourrure de forme cylindrique. Mais leur style
vestimentaire hérité de leurs ancêtres, l'usage du yiddish et leur mode
de vie centré sur l'étude et la famille font de leur communauté un
monde à part.
"Il s'agit de la première exposition au monde sur les hassidim, personne n'avait jamais osé, note Ester Muchawsky-Schnapper, la commissaire de l'exposition. J'avais peur de heurter
leurs sentiments, qu'ils n'acceptent pas ce travail objectif
d'ethnographe, et qu'un rabbin dise "c'est inacceptable, il ne faut pas aller voir cette exposition"."
Tout au contraire, les hassidim s'y pressent. Il y a encore quelques
semaines, ils ne savaient pas où se trouvait le Musée d'Israël, mais
l'exposition affiche d'excellents taux de fréquentation, avec une
moyenne de 1 500 visiteurs par jour, dont, régulièrement, 20 %
d'ultraorthodoxes.
La curiosité des uns n'est pas celle des autres. Les laïcs courtement
vêtus passent rapidement la première salle de l'exposition, où
s'attardent à l'inverse les hassidim, bouleversés par les premières
éditions de recueils enfermés dans les vitrines : des livres
qui gardent les empreintes des premiers rabbins qui ont fait
l'expansion du hassidisme. La pièce maîtresse pour les visiteurs
hassidim est une étroite couronne en or, sertie de pierres précieuses,
ciselée par un joaillier de Vienne au XIXe siècle, et dont l'illustre Rebbe de Shtefanesht ornait ses rouleaux de la Torah.
"A peine cette pièce était-elle arrivée de Londres, du Musée Victoria & Albert, que trois "cours" ont appelé pour demander à toucher la couronne", s'amuse Ester Muchawsky-Schnapper. Le monde hassidique est en effet organisé en "cours", constituées autour d'un rebbe , le terme yiddish pour nommer celui qui a toute autorité sur sa communauté. "Il
est bien plus qu'un rabbin, il est le père de toute la cour. Par
exemple, si un hassid a un problème de santé, il va d'abord consulter son rebbe, explique la conservatrice du Musée. Comme
on le voit dans les films de l'exposition, les fidèles donnent au rebbe
un papier avec leurs souhaits existentiels, car ses prières sont plus
proches de Dieu. Certains rebbe ont fait des miracles, et dans ce cas on
conserve leurs habits comme les reliques d'un saint. Elles sont si
précieuses qu'aucune famille n'a accepté de les prêter au Musée le temps
de l'exposition."
Les laïcs, "ceux de Tel-Aviv", comme les appellent
sévèrement certains religieux, observent longuement les costumes, les
caftans, les manteaux en soie et velours, la forme des chapeaux. De
loin, ils semblent tous identiques, pourtant ils disent tout de
l'identité du hassid qui le porte. Deux films retiennent
particulièrement l'attention des visiteurs novices. Celui d'un mariage
hassidique où l'on voit la timide mariée, le visage couvert d'un voile blanc, danser avec le rebbe,
reliés l'un à l'autre par une longue ceinture de soie blanche. Et celui
d'une fête de Pourim, au cours de laquelle les hommes de la communauté
ont le devoir de boire à en perdre tout discernement.
"Ce monde est tellement fermé, c'est inédit de le découvrir",
s'exclame Sarah, qui habite Jérusalem et se dit religieuse. Beaucoup de
collègues arabes de la conservatrice du Musée se sont précipités à
l'exposition, curieux de voir
comment vivent ces hommes aux costumes d'antan et au regard fuyant, et
que l'on découvre dans leur intimité joyeux et chaleureux. Kadia, âgée
d'une cinquantaine d'années, retrouve sur les photos certaines coutumes
pratiquées par ses grands-parents religieux. "C'est merveilleux de permettre l'accès aux bons côtés de cette communauté, et d'utiliser l'art pour dresser un pont entre religieux et non-religieux", affirme-t-elle.
L'exposition constitue un petit miracle en Israël. Des hassidim
heureux de se dévoiler et d'être célébrés au musée. Des laïcs passionnés
par ces étranges voisins. Mais hors du musée, la magie est vite rompue.
La tension est forte depuis que l'Etat cherche le moyen de partager
le fardeau du service militaire avec les orthodoxes, jusqu'à présent
exemptés. Plus anecdotique, cette querelle qui agite actuellement deux
villes voisines au nord-ouest de Jérusalem, Modi'in et Modi'in Ilit. La
première rassemble des habitants laïcs et religieux. La seconde est une
colonie ultraorthodoxe de Cisjordanie. Le maire de Modi'in Ilit s'est
engagé à interdire son futur site archéologique aux visiteurs non-haredim. Par mesure de rétorsion, le maire de Modi'in menace d'interdire son parc aux ultraorthodoxes. Ce pourrait être une fable, mais c'est un cas d'école.
vchocron@gmail.com
"A World Apart Next Door - Glimpses into the Life of Hasidic Jews".
Jusqu'au 1er décembre, Musée d'Israël, Jérusalem
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