Télérama, le 11.08.2012.
« Ils ont tous un secret et ils ont tous décidé de le révéler au grand jour. »
Sur TF1, le 25 mai 2012, La Voix, grave et mystérieuse, surgit du néant
pour aguicher le téléspectateur. Vingt nouveaux candidats vont échanger
leur « secret » contre une cagnotte de départ de 10 000 euros, avec
l'espoir de décrocher le butin final et de grappiller au passage
quelques instants de célébrité.
Visage dans l'ombre, voix maquillée, une silhouette ébauche à demi-mot sa tragique histoire : « Mon secret a bouleversé ma vie. Tout allait bien et, en l'espace de quelques secondes, j'ai cru que c'était la fin. » Avec son lot de vécus insolites ou émouvants, la sixième saison de Secret story peut être lancée.
« J'ai décidé de changer de sexe », « Ado et déjà parent », « Je me
suis échappé d'une secte », « Je vis avec les poumons d'un autre »...
Depuis 2007, l'émission de TF1 a brassé un nombre incalculable
d'histoires intimes, véridiques, retravaillées ou même fabriquées pour
les besoins du jeu. Benoît Dubois, gagnant du Secret story 4, a révélé qu'au-delà de son personnage extravagant de commère il « n'avait pas d'histoire à proposer » et que son secret a été « trouvé sur place » (1) .
Dans ces témoignages travestis en secrets, on retrouve ces tranches
de vie surexploitées à la télévision depuis les années 1980, des
premiers talk-shows inaugurés par Psy-show jusqu'aux docus-réalité qui inondent aujourd'hui les chaînes de la TNT.
« S'il est vendeur, c'est que le secret
a un fort potentiel d'excitation »
Pierre Lévy-Soussan, psychiatre
a un fort potentiel d'excitation »
Pierre Lévy-Soussan, psychiatre
Sortie des cartons d'Endemol six ans après Loft story pour renouveler le genre de la télé-réalité d'enfermement, Secret story
est la seule et dernière émission de ce type à durer, malgré
l'essoufflement de ses audiences (2) . La différence avec ses éphémères
prédécesseurs ? Un habillage affriolant, cousu d'« énigmes » et de «
mystères ». Et, surtout, la promesse décuplée de « rumeurs », de «
révélations » et de « trahisons » dont le téléspectateur se trouve être
le premier complice.
« S'il est vendeur, c'est que le secret a un fort potentiel d'excitation, souligne le psychiatre Pierre Lévy-Soussan (3) . Non seulement il a quelque chose de l'ordre de la transgression, mais il donne aussi un pouvoir à celui qui le détient. »
Le téléspectateur, à qui l'on révèle dès le lancement du jeu une partie
des secrets, en sait plus que les candidats qu'il regarde se fourvoyer
avec délectation.
Le 6 juillet 2012, après des semaines d'audience en berne, les producteurs ont organisé un prime time spécial, durant lequel « un être tout-puissant a pris possession de la Maison des secrets ». Un personnage mystère qui décide du déroulement de la soirée, pose les questions qui font mal, omniscient et sadique. « Ce soir, on vous offre tous les pouvoirs », sourit le présentateur Benjamin Castaldi. Cet être tout-puissant n'est autre que le public.
Derrière la notion purement marketing, pourtant, nul secret. Certains
candidats ont déjà témoigné sur des plateaux télé, dans des blogs ou
des livres : c'est d'ailleurs ainsi qu'un grand nombre d'entre eux sont
repérés par la production. Pour les internautes, la traque aux secrets
débute des semaines avant le lancement du show, et tout est éventé sur
la Toile bien avant le premier prime time. Un dévoilement précoce qui
fait aussi partie de la stratégie de TF1.
« Le postulat de départ de l'émission fausse la notion même sur
laquelle elle s'appuie, car, à partir du moment où l'on sait que chacun
des participants a un secret, la notion de secret disparaît. Le
spectacle du secret sacrifie forcément le secret », commente René Alladaye (4) , maître de conférence en littérature américaine à l'université de Toulouse-Le Mirail. « Le secret, c'est ce à quoi on a soi-même du mal à accéder », appuie Lévy-Soussan.
« Autour de cette notion vendeuse
de secret, on crée une fausse
intimité, entièrement scénarisée
et montée comme un feuilleton. »
René Alladaye, maître de conférence
de secret, on crée une fausse
intimité, entièrement scénarisée
et montée comme un feuilleton. »
René Alladaye, maître de conférence
Dans Secret story, le secret n'est que le nouvel habillage d'un genre qui tend à s'épuiser. « C'est un peu ce qu'Alfred Hitchcock appelait le "MacGuffin", analyse Alladaye. Un
prétexte, un ressort pour faire fonctionner une émission. Autour de
cette notion vendeuse, on crée une fausse intimité, entièrement
scénarisée et montée comme un feuilleton. »
Trios amoureux, double vie, blessures familiales, identité
sexuelle... Vues et revues depuis près de trente ans dans le grand
déballage télévisé, les histoires sont cette fois déguisées en secrets à
traquer. Lévy-Soussan y voit l'évolution inquiétante d'un « business de l'intime », d'une perpétuelle « ode à la transparence ». Le concept tapageur de Secret story incarne cette idée que le secret doit aujourd'hui « être révélé, divulgué ou déterré pour satisfaire la société ».
Loin des C'est mon choix ou Ça se discute, émissions prétendument thérapeutiques installées par Jean-Luc Delarue dans le PAF, Secret story « met en dramatisation le secret à des fins de pur divertissement », souligne Lévy-Soussan. Après avoir fait de la figuration lors du prime inaugural de Secret story 1, la psychanalyste Yvonne Poncet-Bonissol a déserté le plateau où elle se limitait à vanter, l'air béat, « une merveilleuse palette d'émotions » à venir.
« Merveilleuse », vraiment ? Pour reconquérir l'Audimat, l'émission
est, de semaine en semaine, plus cruelle avec ses candidats. Une fois
évacuée l'imposture des secrets, ils sont à la merci des désirs de la
prod, vrais cobayes dont on triture toujours un peu plus les sentiments
en créant tensions et malaises. « Arriverez-vous à vous mettre d'accord ? Quelles terribles décisions devrez-vous prendre ? », exulte La Voix. Au confessionnal, une candidate fait mine d'hésiter à critiquer les autres candidats. « Je vous en prie, on adore ça ! », l'exhorte Benjamin Castaldi.
Dans cette télé-réalité, plus aucune prétention à l'empathie et aux
solutions. Les secrets sont pure chair à audience, tandis que les
candidats sont réduits à des problèmes qu'ils « assument » et «
revendiquent », sans aucune protection par rapport à leur éventuelle
souffrance. Pour Lévy-Soussan cette exploitation de blessures intimes « maltraite la parole et l'échange ». « Secret story
se place un cran au-dessus des autres programmes en ce qui concerne la
réduction des personnes : elles ne sont plus qu'une fonction, une
phrase, une définition », commente le psychiatre. Et cette instrumentalisation « terriblement avilissante pour l'individu, se désole Lévy-Soussan, c'est la définition même de la perversité ».
Trois dates clés
1983 Un couple de pompistes parle de ses problèmes sexuels sur Antenne 2 dans Psy-show, lancé par la réalisatrice Pascale Breugnot et le psychanalyste Serge Leclaire. Le début du dévoilement intime du citoyen ordinaire à la télé.
1994 Jean-Luc Delarue crée Ça se discute, talk-show diffusé sur France 2, point de départ d'une longue série d'émissions à prétention thérapeutique.
2001 Les micro-reportages de Confessions intimes débarquent sur TF1. En parallèle, Loft Story, la toute première télé-réalité d'enfermement, directement inspirée du Big Brother néerlandais arrive sur M6 et plonge le téléspectateur en direct, 24h/24, dans l'intimité de douze célibataires coupés du monde.
1983 Un couple de pompistes parle de ses problèmes sexuels sur Antenne 2 dans Psy-show, lancé par la réalisatrice Pascale Breugnot et le psychanalyste Serge Leclaire. Le début du dévoilement intime du citoyen ordinaire à la télé.
1994 Jean-Luc Delarue crée Ça se discute, talk-show diffusé sur France 2, point de départ d'une longue série d'émissions à prétention thérapeutique.
2001 Les micro-reportages de Confessions intimes débarquent sur TF1. En parallèle, Loft Story, la toute première télé-réalité d'enfermement, directement inspirée du Big Brother néerlandais arrive sur M6 et plonge le téléspectateur en direct, 24h/24, dans l'intimité de douze célibataires coupés du monde.
(1) Le Parisien, 25 mai 2012.
(2) Cinq millions de téléspectateurs en moyenne pour les prime times en 2007, et seulement 1,8 million le 22 juin 2012.
(3) Eloge du secret, Fayard, 2010.
(4) Petite philosophie du secret, Milan, 2006.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire