Libération, le 20 juin 2012
Récit La défaite face aux Suédois, mardi, a entraîné une altercation dans le vestiaire tricolore. Laurent Blanc a tenté de déminer avant le quart, samedi.
Mardi soir, dans un couloir du Stade
olympique de Kiev, trois bons quarts d’heure après la soupe (0-2)
tricolore face à la sélection suédoise et la qualification paradoxale
pour le quart de samedi devant l’Espagne : l’attaquant Olivier Giroud,
les neuf dernières minutes du match au compteur, vient musarder devant
la presse. «J’espère au moins que ça nous servira de leçon.
L’Espagne, ça sera une autre paire de manches. Il y avait de la colère
dans le vestiaire, mais il faut essayer de dire les choses plus
calmement, et de manière plus réfléchie.»
L’attitude du très probable futur Gunner interpelle. A l’échelle du
vestiaire tricolore, Giroud et ses 8 sélections ne pèsent rien : une
aimable curiosité, aussi exotique que son club de Montpellier aux yeux
de l’élite mondialisée - Londres, Milan, Munich, Madrid, Manchester -
qui fait l’ordinaire du groupe tricolore. A cet instant, l’attaquant se
sent pourtant autorisé à porter un jugement de valeur sur ce que
racontent des équipiers autrement gradés : un peu étranger, un peu
surpris aussi par cette brusque plongée chez les grands fauves.
Furie. L’après-match mouvementé des Français n’a en
effet pas exactement concerné des supplétifs : Karim Benzema, Franck
Ribéry et Samir Nasri sont dans le coup. Au retour du terrain, le
premier arrive dans le vestiaire comme une furie, fustige le manque
d’investissement, explique qu’il est dégoûté par ce qu’il a sous les
yeux depuis la veille. Ribéry vient au soutien. Au moins un des
participants mis en cause se rebiffe, le ton monte.
Ce que l’on sait : Nasri faisait partie des joueurs visés par Benzema
et Ribéry. Quelques minutes plus tard, devant les journalistes,
l’attaquant madrilène rhabillait son compagnon de la promo 1987 pour
longtemps. «On n’a pas été bon, personne : pas de vitesse, pas
d’espace. Je ne sais pas pourquoi, mais on est tombé dans un jeu qui
n’est pas le nôtre. On a beaucoup trop gardé la balle.» Samir, si tu m’entends… Puis : «On
peut battre l’Espagne, mais il faudra avoir tous le même objectif :
gagner. Il faudra aussi avoir la rage, partir pour gagner une guerre.» Et
re-Samir, victime d’un coup en première période contre les Suédois et
qui parut longtemps s’en plaindre tout en continuant à jouer malgré des
appuis bizarres.
Que Benzema en ait eu conscience ou non, les implications de ses
critiques touchent le staff et le sélectionneur, Laurent Blanc : le
blanc-seing du coach à Nasri - équivalent à un blanc-seing au talent,
selon le coach - est du même coup remis en cause. La barque de Blanc
s’est d’ailleurs chargée depuis quarante-huit heures : la titularisation
de Philippe Mexès devant la Suède (et sa suspension afférente contre
l’Espagne : le coach aurait pu choisir de le préserver, la qualification
pour les quarts étant probable) et celle d’un Hatem Ben Arfa largué ne
rentrent assurément pas dans «les choix toujours gagnants du coach» dont parlait samedi le défenseur Gaël Clichy.
«Démons». Blanc n’a eu d’autre alternative, hier, que de monter au tas sur l’histoire du clash de la veille à Kiev. «Ça
a toujours existé, c’est souvent ça quand on perd. Oui, c’était chaud.
Les joueurs concernés ont eu besoin d’une bonne douche froide pour
revenir à température. Ce coup-ci, on n’avait pas les cryovestes [vestes
réfrigérantes, ndlr].» Une cartouche pour Benzema et Ribéry : «Une réaction, de l’action, de l’électricité… On en aura aussi besoin contre l’Espagne, mais à bon escient.» Une pour Nasri : «Il
me faut des joueurs qui jouent simplement, à l’espagnole. Eux, ils font
ça les yeux fermés. Ça s’appelle l’intelligence de jeu, et c’est une
qualité de plus en plus rare chez un footballeur. Ce serait plus
efficace d’avoir ce genre de joueurs plutôt que ceux qui font des
exploits individuels.»
Juste après Blanc, le milieu Florent Malouda, dont l’aptitude à faire
passer des messages en finesse est notoire, s’est dévoué pour ripoliner
un peu la statue chancelante du joueur de Manchester City. «Nasri ?
Sa façon de jouer au foot n’a pas changé du jour au lendemain, et comme
tout le monde était content après l’Angleterre… Disons qu’il y a un
équilibre à trouver entre les performances personnelles et l’objectif
collectif, que cet équilibre est fragile et que lors de matchs comme
celui de la Suède, ça bascule vite, tu es immédiatement en danger.
Après, en parler, c’est bien. Les corriger, c’est mieux.»
Puis : «La veille de la Suède, le coach a arrêté l’entraînement
en plein milieu pour nous expliquer qu’on était nonchalants. On passait
par Kiev, il y avait un petit match à disputer en passant… Ce n’est pas
ça, la compétition. On n’est pas resté invaincu durant 23 matchs par
hasard, on a redonné espoir aux gens. A Kiev, j’ai eu l’impression de
retrouver des démons. Je vous parle d’une attitude, de ce que dégage un
mec, de ce qu’il apporte à l’équipe. Avec le même état d’esprit que la
Suède mardi, on aurait peut-être perdu. Mais personne n’aurait eu le
sentiment de lâcher le match.» Mardi, à la veille du deuxième
anniversaire de la grève du bus, les Bleus ont fait leur révolution. Ou
ils ont seulement essayé. On verra samedi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire