Article paru le 29 mars 1997
La cour d'appel de Poitiers rendra son arrêt le 11 avril dans l'affaire de la mère de famille de Niort (Deux-Sèvres), relaxée en première instance pour avoir volé de la viande dans des supermarchés afin de nourrir ses enfants.
L'AFFAIRE, « somme toute banale », comme l'a indiqué hier l'avocat général devant la cour d'appel de Poitiers, où elle était rejugée à la demande du parquet, avait fait grand bruit lorsqu'elle avait été connue, à la fin de février dernier. Peut-être parce que, d'une certaine manière, elle montrait qu'à l'approche du XXIe siècle on vit dans ce pays, et plus souvent qu'on le croit, comme au temps de Zola. Rappelons les faits à grands traits (voir « l'Humanité » du 1er mars). Françoise (ou Annick, peu importe son nom, elle a au moins droit à l'anonymat), aide-cuisinière à temps partiel pour 1.700 francs par mois, mère célibataire avec deux enfants qui en avaient « marre » de manger chaque soir « des pâtes et de la purée Mousseline », s'était laissée aller, un jour de janvier, à voler un peu de poisson, de charcuterie et de viande dans trois supermarchés de Poitiers. Pour ne plus « entendre le ventre de (ses) enfants crier dans (sa) tête ». Prise sur le dernier fait par un vigile, elle avait été déferrée le 2 février devant le tribunal correctionnel de Poitiers, le parquet ayant choisi de poursuivre cette « délinquante », sans antécédent judiciaire, qui n'a jamais eu de dette de loyer, d'électricité ou d'assurance auto malgré la modicité de ses revenus (4.478 francs, toutes allocations comprises). La juge s'était montrée moins intraitable en accédant aux arguments de l'avocat de Françoise, Me Brottier. Qui avait plaidé « l'état de nécessité », sur la base d'une jurisprudence datant du XIXe siècle, quand « le bon juge » de Château-Thierry, le président Magnaud, avait relaxé une voleuse de pain qui n'avait pas d'autre moyen pour nourrir sa famille. La relaxe de Françoise n'avait pas été du goût du procureur de Poitiers, qui fit appel. Pour lui « l'état de nécessité » n'était pas prouvé, puisque les deux enfants de Françoise mangeaient à la cantine de leur école... Ce fut encore la ligne défendue hier par l'avocat général devant la cour d'appel, après que Françoise eut, une fois de plus, exprimé ses « regrets » pour son geste dicté par « l'amour de (ses) enfants ». Le représentant du ministère public a requis « la nullité du jugement » en première instance, en tentant de démontrer que « l'état de nécessité » ne pouvait pas s'appliquer dans ce dossier : « Même s'il est juste de prendre en compte la situation qui a pu conduire à commettre l'infraction (...), cette affaire aurait dû connaître une issue classique : une peine de principe pour marquer un avertissement ». On pourra juger ce réquisitoire moins sévère que celui prononcé en correctionnelle, quand deux mois de suspension de permis de conduire - avec comme conséquence le chômage -avaient été demandés contre Françoise. Est-ce étranger aux sentiments de l'opinion publique ? Dans un sondage SOFRES réalisé pour le « Nouvel Observateur » du 5 mars, selon la méthode des quotas auprès d'un échantillon représentatif de 800 adultes, 69% des personnes interrogées estimaient que le tribunal a eu raison de relaxer cette mère de famille 30% étant d'un avis contraire. Elles étaient plus partagées sur l'opportunité des poursuites 49% étant contre (60% - le taux le plus haut - parmi les sympathisants communistes), 48%> étant pour. Ou même sur l'appel du procureur. Qui était approuvé par 60% des sondés, d'accord avec l'idée qu'il ne faut pas créer de précédent et justifier à l'avenir ce type de délits, mais désavoué par 36% des personnes interrogées, pour qui le parquet a fait preuve d'une sévérité excessive.
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