"Ni la psychanalyse ni la déconstruction ou le postmodernisme n'ont eu la moindre révélation à nous faire sur la musique. C'est crucial. Ces jeux de langage du déchiffrement subversif, de la suspicion, dans le sillage de Nietzsche et de Freud, sont quasi impuissants devant la musique. Ils demeurent arrogamment piégés dans la sphère langagière qu'ils prétendent relativiser ou démêler. Pourquoi devrions-nous les prendre au sérieux sur le plan philosophique, sur le plan humain? On peut tirer une inférence plus générale. Comme le fit Wittgenstein lorsqu'il observa que, plus d'une fois, le mouvement lent du Troisième Quatuor de Brahms l'avait retenu au bord du suicide. La musique autorise, invite à conclure que les sciences théoriques et pratiques, que l'investigation rationnelle ne dresseront jamais une carte exhaustive de l'expérience. Qu'il est des phénomènes "au centre" (la conscience elle-même peut être autre) qui dureront, infiniment vivants et indispensables, mais "extérieurs". C'est, très directement, la preuve du méta-physique. La musique est signifiante au plus haut degré; à strictement parler, elle aussi vide de sens. C'est là que réside sa "transgression" par-delà l'intelligence."
(G. Steiner, Errata, Récit d'une pensée, Paris, Gallimard)
(G. Steiner, Errata, Récit d'une pensée, Paris, Gallimard)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire