à Leïla et Benjamin,
La musique a par nature ses mystères, probablement entretenus par un ensemble de facteurs sociaux qui combinent des dimensions esthétiques et politiques, que Pierre Bourdieu a d'ailleurs longuement analysés. Un nom se fait depuis quelques temps l'écho du génie et de toutes les prouesses. Il s'agit d'un jeune polonais, Rafal Blechacz, âgé seulement de 22 ans. Un slave, un nouveau romantique, attirant à lui une foule d'élites qui ne cessa jamais de croire au retour d'un certain Mozart, qu'elle jurerait aujourd'hui reconnaitre et accueillir comme il se doit. Mais en quoi - peut-on s'interroger- incarne-t-il un tel espoir et modèle de réussite? Parce qu'il est jeune, certainement. Mais aussi parce qu'il s'est imposé de façon évidente aux différents concours dont notre société est si sûre -le prestigieux "Concours Chopin" de Varsovie en octobre 2005- et qu'il a plus récemment remporté plusieurs premier prix -dont celui de la meilleure interprétation d'une sonate de Chopin. Il cristallise en somme les traits du succès et on l'imagine dès lors surmonter successivement les épreuves (échauffement, représentations, concours) qui jalonnent le parcours de tout élève étudiant la musique classique et qui réclament une réelle discipline. En un sens il n'est pas le "jeune" que l'on connaît et échappe à cette catégorie. Cela interpelle mais nous amène aussitôt à rappeler qu'il est question de "musique savante". Notons que la principale difficulté consiste sans doute à supporter la manifestation d'une chose qui n'est pas la musique (l'expression musicale) et qui de ce fait soutient une certaine violence. Ce système d'enseignement n'a pas tant pour but de solliciter la création que l'interprétation.
Il est aussi intéressant de relever les qualités attribuées au jeune Blechacz dans la presse spécialisée. Ce qui nous permet également de découvrir les caractéristiques de l'interprète et les attentes qui peuvent être formulées à l'égard de tout musicien. "Rafal Blechacz est déjà considéré comme un grand interprète, en raison de sa propre personnalité, sensible [et] discrète", identifiable à son "jeu tout en nuances"... On observe ici la part d'adaptation, de soumission à l'oeuvre, d'humilité apréciée dans le registre de l'interprétation et qui soutiennent certains codes moraux et sociaux. Ces éléments admettent toutefois une part de création par la nouveauté de son approche susceptible de transcender l'oeuvre ou la partition: "C'est un musicien authentique, qui éclaire une œuvre aussi connue que les «Préludes op. 28» de Chopin d'une lumière personnelle en faisant ressortir de précieux détails trop souvent négligés, qui mettent en mouvement la richesse de la polyphonie intérieure de l’oeuvre".
Le talent que l'on reconnait au jeune interprète est autrement plus simple que celui faisant la part belle aux ténébreux arcanes du génie. Ce constat nous amène finalement à rappeler l'importance d'une notion aussi élémentaire que la lecture, comme structure de conduite opératoire. Georges Perec écrivait ainsi, s'agissant de l'espace et de son orientation, ce qui manifeste l'expression d'un certain génie : "le problème n'est pas d'inventer l'espace, encore moins de le ré-inventer (trop de gens bien intentionnés sont là aujourd'hui pour penser notre environnement...), mais de l'interroger, ou, plus simplement encore, de le lire; car ce que nous appelons quotidienneté n'est pas évidence, mais opacité: une forme de cécité, une manière d'anesthésie".
http://video.google.com/videoplay?docid=-2292204413497151629&q=rafal+chopin
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