lundi 4 mai 2009

Où mène la folie ?

à Tristan,

Nul ne saurait croire spontanément ce que je vais raconter ici, sauf un témoin, mais lui-même pourrait être pris pour un fou. Et pourtant cette histoire est véritable.


Nous étions montés en Champagne pour assister à un colloque qui se tenait à l'Université de Reims. Nous avions pris ma voiture, c'était à la fin de l'année, en octobre ou peut-être en novembre. Nous avions d'abord fait escale à Paris pour y faire quelques recherches avant de reprendre la route vers notre destination finale. C'était très agréable, étrange aussi de découvrir ces paysages, à mesure que nous avancions, à travers ces routes planes qui semblaient attraper l'horizon. Des champs, des routes, s'offraient au regard, à perte de vue, des kilomètres à la ronde. Impossible alors de ne pas songer aux guerres qui l'ont habité devant l'immobilité qui s'éprend d'une telle clareté, au passage de ces grands cimetières de pierres et croix blanches et l'immensité de l'automne. Il se dégageait de tout cela un calme saisissant que, ni mon camarade, ni moi-même, ne connaissions. C'était un nouveau pays qui m'évoquait seulement le grand front de la mer, par son horizon.
Mais l'extraordinaire de cette histoire, qui m'amène à rapporter cette anecdote, se situe plus précisément sur le chemin du retour, parmi ces mornes plaines aux routes saillantes et grises, alors que nous redescendions vers Marseille. Nous nous étions arrêtés par hasard, près d'un carrefour, sur le bord de la route. Si mes souvenirs sont exacts, c'était une départementale qui dessert la ville de Dijon. Il s'agissait d'une route plutôt fréquentée, non l'une de ces routes que nous aurions inventée et où nous nous serions perdus. Nous étions sur le bon chemin et suivions, d'après notre carte, l'itinéraire indiqué. Rien ne laissait paraître quoi que ce soit d'aussi troublant. J'insiste car cela semble encore si improbable et délirant. Je ne sais pas lequel d'entre nous a découvert en premier le nom de l'endroit où nous nous trouvions. Nous nous étions simplement arrêtés pour boire, pisser ou simplement passer le relais... Une de ces choses banales au cours d'un si long voyage. Le panneau de signalisation, situé de l'autre côté de la route, auquel nous faisions face, indiquait la direction de "La Folie". Il s'agissait de l'un de ces panneaux blancs, que chacun connait, sur lequel il était précisément écrit: La Folie 0,8 km. Nous avons évidemment rit devant cette découverte, puis nous sommes rapprochés pour vérifier ce qui était écrit. Il s'agissait bien des deux mots mentionnés. J'ai pensé prendre une photo de l'endroit pour immortaliser cette situation incongrue que le hasard nous offrait, mais l'image restait floue sur l'écran numérique. L'appareil n'avait plus beaucoup de batterie et ne disposait plus d'énergie suffisante pour faire l'appoint sur cette improbable vision. Je dois dire que ce déconvenu eut le mérite de nous agacer un moment, comme si nous perdions pied et la raison se dérobait. Nous avons dû évoqué l'idée de décrocher le panneau de son socle afin de le ramener en guise de souvenir et en garder la trace. Et puis nous avons abandonné cette idée en décidant de quitter la départementale pour se rendre jusqu'au village. Pour nous amuser, comme piqués par le mystère de cette destination étrange qui s'était présentée à nous. Nous prîmes donc la direction de ce lieu, alors que la nuit tombait, pour voir ce qui nous attendait. Mais aucun village n'apparut au bout de huit cents mètres, même pas un hameau, dans ce paysage délié et extraordinairement ouvert. Nous aperçûmes tout juste une ferme, une cour, pleine d'animaux, et puis la route se termina par une boucle, un long virage bordé d'arbres, qui nous contraignit à faire demi-tour. Nous eûmes alors le sentiment que cette route n'était qu'une illusion, que quelque chose nous avait échappé. Puis nous en vînmes à penser que tout ceci ne décrivait qu'un ingénieux dispositif soumis à l'interprétation de chacun. Nous avions volontiers emprunté le chemin de la folie sans en trouver l'issue et cela nous donna l'impression que nous n'en étions jamais sortis.
Mon ami et moi nous sommes perdus de vue peu de temps après ce bref séjour en Champagne. Je ne sais véritablement ce qu'il est devenu et s'il se souvient de tout cela en ces termes. Il restera pourtant l'unique témoin de cette histoire appréhendée aux abords de La Folie, seul garant de ma raison, éternel ami et frère.

1 commentaire:

asheumeneu a dit…

La mémoire est probablement la plus étrange, la plus aléatoire faculté de l'homme tant elle se modèle à loisir.
L'éternel frère sourit pourtant à revivre ce voyage vers "La Folie", tant la clarté de ces quelques instants reste si radieuse. Sous cette lumière morne des grandes plaines où l'oeil se perd dans le lointain, ce carrefour cardinal semblait attendre notre venue, notre passage. Cette Folie surgit sans s'annoncer, et pourtant elle se tenait là, sûre d'elle. Combien d'autres en ont supporter l'expérience en ces termes, je ne sais...En tout cas nous avions atteint La Folie, barbe et cheveux au vent. C'est la raison qui nous a conduit vers La Folie, notre raison pragmatique et rationnelle, souvent obstinée.
Que le souffle de la folie t'emporte toujours par-delà la raison, vieux frère...