Bertrand et Carole formaient ce couple extraordinaire, singulièrement élégant et distingué. Ils étaient grands, marchaient toujours ainsi, la tête haute, le dos parfaitement cambré, comme inspirés par cette chose lointaine et curieuse couchée derrière l'horizon. Bertrand était très sociable et paraissait toujours satisfait, souriant comme si rien ne pouvait l'affecter ici-bas. Tous deux préparaient une thèse d'histoire de l'art, voyagaient ensemble à travers l'Italie, dont ils étaient épris. De ces voyages enthousiastes, ils nous rapportaient leurs souvenirs amoureux de Florence, Rome ou Venise. J'aimais ces deux-là et les admirais, comme nous tous je crois, mais j'avoue qu'il m'arrivait aussi parfois de détester cette apparente perfection, ces révérences évidentes à l'égard de la beauté. L'insolente fierté de Rome et de son histoire opposée à la rumeur populaire de Naples ou Marseille, où nous habitions. Carole était d'une étonnante sensibilité et souffrait de grandes crises de mélancolie. On la surprenait souvent à l'écart du groupe en train de lire, étendue rêveusement au soleil. Elle était grande et brune, rayonnant d'une tristesse inconsolable qui lui donnait cet air grave et solitaire. Elle était belle, bien que très maigre, ne mangeant presque pas, fumait beaucoup. Je lui trouvais parfois une étonnante ressemblance avec les figures de mode et les actrices des années cinquante, notamment lorsqu'il lui arrivait de couvrir ses cheveux d'un voile blanc. Il me semblait que le jeune couple venait d'une autre époque. Bertrand et Carole défendaient une certaine conception de l'art, qui selon eux s'arrêtait approximativement avec l'époque moderne et ses inspirations, des idées bien arrêtées sur différents sujets, certaines valeurs sociales et morales, certains comportements, certaines pratiques qui évoquaient indéniablement l'héritage d'une vieille éducation bourgeoise. La singularité du couple tenait à cet étonnant contraste qui le rendait si différent des autres. C'est aussi pour ces raisons que nous fûmes plus tard surpris d'apprendre leur séparation. Ils étaient retournés s'installer à T. après ces deux années passées dans la région. La santé de Carole ne faisait que décliner, ce qui la rendait plus fragile et plus distante de Bertrand. Alors qu'elle perdait pied et sombrait, celui-ci continuait à s'accrocher à ses études. Nous apprîmes plus tard qu'il avait décroché une bourse prestigieuse qui l'amenait à retourner vivre à Florence pendant près d'un an. Ce départ avait définitivement entériner leur séparation. Carole entreprit de rejoindre sa meilleure amie, installée dans le Sud-Ouest de la France, et déménagea du côté de A. Bertrand a depuis soutenu sa thèse et nous obtenons quelquefois de ses nouvelles, mais notre pensée va plus souvent du côté de notre amie dont on ne sait plus rien.
lundi 9 mars 2009
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1 commentaire:
curieux abécédaire.
D.
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