Ces endroits ont ceci de déléctable lorsqu'ils confèrent à chacun la possibilité d'être soi-même, un autre possible. Celui que l'on croit ou que l'on veut voir: ici, un émissaire, là, un homme d'affaire qui attendrait entre deux avions, une femme vêtue d'une longue robe traditionnelle, noire et blanche zebrée, qui débarquerait d'un pays lointain. Aucune imposture n'est à priori envisagée à partir de cet horizon en partage, à l'étale de ces engins en cascade, puissants et bruyants prenant leur envol sur l'esplanade.
Au fond sur la cour, derrière les vitres, plane de longues autoroutes. Sur le tarmac noir et bleu mêlé de lignes jaunes et blanches traînent sur le sol des traces de kérozène et d'essence qu'un vent d'est rabat, peut-être l'alizée. Quel âge ont ces avions? Vers quel essor plongent-ils? Boeing, Airbus, que sais-je encore? Ces noms emportent avec eux vers l'azur des trainées de poudre, fleurons des hautes technologies, prouesses remplies d'orgueil, chairs à canon. Leurs épaules larges d'albatros soulèvent vers le front le poids lourd de leur carcasse et le succès de l'homme à s'élever contre lui-même.
Aucun étonnement à l'écoute d'une langue étrangère. Un nom soudain soulève un rêve à quelques lettres: l'évocation d'une ville, d'une destination splendide. Il se peut que ce soit l'hiver ou l'été non loin d'ici, à quelques heures de vol. L'écran d'affichage annonce les destinations d'Istanbul, Cordoue, Delphes, Ispahan... Rien que des mots où les temples et les palais cheminent vers l'acropole, et de là naissant: de belles phrases, des voiles, à défaut de ces ailes métalliques, emprunts de sables et de ciels divers dont le vent chargé d'histoire frémirait chaudement.
Seul bémol au tableau de ces lieux décharnés, ancrés dans l'occident, presque inhabités, c'est évidemment le cadre sécuritaire qui hante l'aéroport. Depuis l'entrée gardée par une escorte militaire jusqu'aux douaniers aux chemises blanches, aux mains neutres, gantées de talc et de plastique. Ces grands rethors connus pour leur philantropie et leur goût de l'ailleurs, derniers cerbères avant l'ultime porte et la délivrance.
Mon café a ceci d'exotique et je ne peux m'empêcher de penser à ces gens, témoins ordinaires de ce va-et-vient incessant, personnel de l'aéroport: au café, au contrôle, à l'enregistrement, ceux qui côtoient chaque jour de nouveaux voyageurs. Ne sont-ils pas frustrés devant ce peuple inventé et toujours différent ? A peine assistent-ils à quelques larmes, aux derniers souvenirs, aux déchirements du départ et la précipitation des derniers instants ou des retrouvailles. Leur clientèle est d'ailleurs, sans cesse renouvelée, sans fidélité, aux sourires de convenance et de circonstance, joies des départs, tristesses... Leur mémoire est de rejet, sans repères, distant à l'évidence. Il n'y a qu'à considérer la qualité du mobilier qui habite ces murs. Ces fauteuils intacts, fades, immobiles, plantés dans le présent de ces lieux, comme suspendus devant les baies vitrées, devant le spectacle qui se déroule en bas sous nos yeux puis l'horizon. La moquette bleue-grise, les escalators, le métal et le verre des édifices asceptisés semblables à nos banques ou nos assurances et centre commerciaux. Un garçon de café prend en photo un groupe attablé dans la salle du restaurant. Ces gens sont-ils seulement présents ou simplement envahis, dépassés par le rêve, l'illusion du voyage qui se loge là derrière eux sur la scène qui les cueillera peut-être un jour?
Il me semble que ce sont des fantômes, qu'ils ont été volés depuis longtemps par les lieux.
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