It's safer trusting fear than faith... [il vaut mieux se fier à la peur qu'à la confiance]. Bien se souvenir que je ne vis pas dans ma patrie ni au milieu d'êtres semblables à moi, mais que, à cause d'un destin sévère et singulier, que seule la connaissance peut rendre supportable, je dois vivre parmi des étrangers, plus étrangers que des Chinois pour les Européens, parmi les oiseaux, parmi les bipedes, des hombres que no lo son [hommes qui n'en sont pas]. Certains comprennent fortuitement le homo homini lupus de Plaute, j'ai dû le comprendre d'instinct. On craint les animaux dangereux sans les haïr, j'en dirais autant des hommes. Je ne veux pas être [celui qui hait les hommes] mais [celui qui méprise les hommes]. Pour pouvoir mépriser ceux qui le méritent, les cinq sixièmes de l'humanité, la première condition est de ne pas les haïr; il ne faut donc pas laisser sourdre en soi la haine, car on ne méprise pas totalement ce que l'on hait. La meilleure façon de se garder de haïr les hommes est justement de les mépriser, mais d'un mépris vraiment profond, issu d'une vision lucide de l'incroyable petitesse de leurs sentiments, des limites de leur intelligence et de l'égoïsme sans bornes de leur coeur, sources d'injustice, d'envie et d'une méchanceté allant parfois jusqu'à la cruauté.
Arthur Shopenhauer, A soi-même, trad. de l'allemand par Guy Fillion, Cahors: L'anabase
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