samedi 18 mai 2013

Lutter contre le management totalitaire

Par JEAN-CHRISTOPHE FÉRAUD
Libération, le 11 novembre 2012
 

Aller au boulot la boule au ventre, se sentir harcelé, dépossédé de son travail, en faire une dépression, parfois jusqu’au suicide… «Quelque chose de destructeur semble à l’œuvre dans le monde du travail», écrivent Vincent de Gaulejac et Antoine Mercier dans leur Manifeste pour sortir du mal-être au travail.
 
Sociologue «clinicien» et journaliste à France Culture, ils signent là un livre «engagé», forcément politique. Ils nomment la bête immonde à l’origine de ce qu’on a appelé «la crise des suicides» à France Télécom et ailleurs : «l’idéologie managériale». Pour eux, son irruption remonte à la fin des années 80 avec «l’arrivée de principes de management qui se sont généralisés à la faveur de l’emprise néolibérale sur le système politico-économique».
 
Importé des Etats-Unis, enseigné dans les écoles de commerce, vanté par le Medef puis diffusé par les cabinets d’audit, ce système fondé sur une «culture» de la compétition a prospéré dans les années 2000. Jusqu’à «servir de modèle» à la réforme des entreprises publiques et de l’Etat. Il fonctionne «comme le système communiste», ironisent les auteurs, faisant taire la contestation et masquant «ses déplorables résultats» grâce au «pouvoir imaginaire» de «l’idéal entrepreneurial».
 
Mais pourquoi n’a-t-on pas déjà dit «stop» quand la plupart des cadres n’y adhèrent plus au projet ? «La captation de l’idéal du moi» et «l’individualisation» ont détruit toute résistance, répondent Gaujelac et Mercier. Et «c’est en France que les sentiments de stress et d’épuisement sont les plus élevés». Bilan : un suicide par jour, des vies détruites sur l’autel de la compétitivité. Ce «phénomène social total» du stress professionnel a aussi un coût impressionnant : entre 2,6% et 3,8% du PIB.
 
Pour en sortir, les auteurs prônent l’action, forcément collective, contre «les organisations pathogènes». Ils appellent à se réapproprier le pouvoir de dire «non». La pensée managériale impose qu’il faut être plus performant pour survivre ? «Il faut refuser ce projet délirant, la course folle au toujours plus», cette «lutte des places» qui détruit les solidarités. In fine «l’émancipation» passera, selon eux, par un «rééquilibrage des rapports entre le travail et le capital». Salutaire.
 
«Manifeste pour sortir du mal-être au travail», Vincent de Gaulejac et Antoine Mercier (ed. Desclée de Brouwer), 15 €.

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