dimanche 14 avril 2013

Nietzsche, Sils-Maria

Asa sœur Elisabeth, il dit avoir trouvé là sa terre promise, l’endroit où il voudrait mourir. Un endroit magnifique, il est vrai, qui semble naître de la «fusion de l’Italie et la Finlande» et être «la patrie de toutes les nuances argentées de la nature», comme il l’écrira dans le Voyageur et son ombre (§338).
L’air y est vif, la lumière se reflète pure sur les cimes enneigées, les chemins se perdent dans le silence des forêts d’épineux. Friedrich Nietzsche a une santé bien fragile, et, sensible aux effets du climat, voyage beaucoup, à la recherche du havre idéal, sec et ensoleillé. Il découvre l’Engadine, en Suisse, au printemps 1879.«De tous les endroits de la Terre, je me sens le mieux ici, en Engandine.»
Composée des hameaux de Sils-Maria et de Sils-Baselgia, Sils im Engadin, ou Segl en romanche, se trouve à 1 800 mètres, sur la mince langue de terre qui sépare le lac de Sils et le lac de Silvaplana. La vallée de Flex, partant du massif de la Bernina, entre le canton des Grisons et la Lombardie, y débouche. Seules des calèches y circulent. Vers l’ouest, on rejoint Soglio, par la vallée de Bragaglia. Vers le nord-est, la route conduit à la station, très chic, de Saint-Moritz. Pris de terribles migraines, de 1881 à 1888, le philosophe loue une chambre presque tous les étés dans la maison des Durisch.
Aujourd’hui, c’est la «Maison de Nietzsche», transformée en musée (1). Sur le devant, il y a la statue d’un aigle noir. Dans les années qui précèdent, Nietzsche est à Bâle. Appuyé par le professeur Friedrich Wilhelm Ritschl, éminent latiniste, il a pu obtenir un poste à l’université, et enseigne la philologie classique. Il fait cours sur Homère, Eschyle, les Choéphores, les philosophes préplatoniciens, Socrate.

En août 1870, lors de la guerre franco-prussienne, il demande un congé et s’enrôle comme infirmier volontaire. Malade de diphtérie et de dysenterie, il est rapatrié, et, après une période de convalescence à Naumberg, revient à Bâle. Il travaille à la Naissance de la tragédie à partir de l’esprit de la musique, qui est publié en 1872.

Ce premier livre, s’il enthousiasme Wagner, reçoit un tombereau de critiques. Nietzsche ne se porte pas bien, a de terribles migraines, des crises de toux, des vomissements. Ses cours n’ont pas un immense succès - il lui arrive de n’avoir que deux étudiants - et il reçoit même les blâmes du professeur Ritschl, qui, tout en reconnaissant sa rigueur «dans la recherche scientifique et académique», lui reproche, comme il l’écrit à un ami, son «engouement wagnéro-schopenhaurien pour les mystères de la religion esthétique», une «exaltation délirante» et l’«excès d’un génie transcendant jusqu’à l’incompréhensible». Entre août 1873 et juillet 1876, il publie les «Considérations inactuelles» ("David Strauss", "De l’utilité et l’inconvénient de l’histoire pour la vie", "Schopenhauer éducateur" et "Richard Wagner à Beyreuth"), puis, en mai 1878, "Humain, trop humain" - un livre pour esprits libres. Au bord de l’eau L’année suivante, il démissionne de l’université de Bâle.

Lorsqu’il arrive à Sils-Maria, le philosophe n’a pas tout à fait achevé le manuscrit du Voyageur et son ombre, et travaille aux aphorismes d’Aurore. Les lieux le ravissent. « Il y a certainement beaucoup de choses plus grandes et plus belles dans la nature, mais ceci est étroitement et intimement parent avec moi, j’y suis lié par les liens du sang, par plus encore ! » Libéré de la «pression» qu’il subissait «partout ailleurs», noyé dans un sentiment de «tranquillité ininterrompue», il flâne au bord de l’eau, s’arrête et médite sur le petit pont qui enjambe le torrent - «son» banc est encore là - observe les transformations apocalyptiques du paysage lorsque des nuages noirs recouvrent le plateau et la vallée, emprunte les chemins muletiers qui grimpent vers la montagne, et gribouille des notes sur un petit carnet. C’est au cours de l’une de ses promenades, en regardant à l’horizon le lac de Silvaplana, «sous le souffle malicieux et heureux du vent», qu’il a la révélation de Zarathoustra et de l’Eternel retour. «J’étais assis là dans l’attente - dans l’attente de rien, par-delà le bien et le mal jouissant, tantôt de la lumière, tantôt de l’ombre, abandonné à ce jeu, au lac, au midi, au temps sans but. Alors, ami, soudain un est devenu deux - Et Zarathoustra passa auprès de moi…» La première partie de "Ainsi parlait Zarathoustra" paraît en mai 1883. Dans son refuge de Haute-Engandine, il écrit "Par-delà le bien et le mal", la "Généalogie de la morale" et "l’Antéchrist". Son dernier séjour à Sils, il le prolonge jusqu’au mois de septembre, à cause des inondations. (1)
 
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