L'Humanité, 10.08.2012.
Libertés menacées, projet de Constitution bridant les droits
des femmes, promesses sociales bafouées... le parti Ennahdha au pouvoir
suscite crainte et colère. L'éditorial de Dany Stive, Entre jasmin et
lacrymo.
À l’entêtant parfum de jasmin, symbole du soulèvement
du peuple
tunisien, se mêlent aujourd’hui dans ce pays des effluves autrement
nauséabonds : les gaz lacrymogènes de la police, et autres balles en
caoutchouc, ont encore été employés hier à Sidi Bouzid,
berceau de la
révolution de 2011, pour disperser une manifestation d’opposants au
gouvernement. Les relents fétides qui ont pour but d’asphyxier la
révolution ne sont pas l’apanage de la rue. Dans l’enceinte de
l’Assemblée nationale constituante (ANC), où s’écrit le futur texte
fondateur de la nouvelle Tunisie, les représentants
du parti islamiste
Ennahdha n’ont de cesse d’étouffer
le débat sous des considérations
religieuses et leur volonté de restreindre les libertés fondamentales.
Les démocrates tunisiens sont sur leur garde. L’indépendance de la
justice, dans l’état actuel de la Constitution voulue par Ennahdha, ne
serait guère plus assurée que sous le règne de Ben Ali, qui disposait
des juges comme bon lui semblait. Le projet de l’ANC donnerait « au
premier ministre le pouvoir discrétionnaire
d’accepter ou de rejeter
les décisions (…) concernant les nominations, les promotions et les
mutations de juges », dénonce l’ONG Human Rights Watch. Sur le terrain,
hier, devant le bâtiment abritant l’ANC, un ensemble de partis invitait
la population à exprimer
« leur condamnation, protestation et refus que
la révolution ne se transforme en un butin de guerre, consacrant
le
principe de spoliation et d’hégémonie ».
Malgré la répression, les manifestations ne cessent dans le pays.
Sidi Bouzid et Tunis hier, Sfax avant-hier. Le peuple tunisien, un an et
demi après son soulèvement, ne voit toujours pas sa situation
s’améliorer. Le gouvernement ignore l’expression « dialogue social ».
Entre la politique économique de Ben Ali et celle d’Ennahdha, aucune
différence. L’ultralibéralisme
reste la règle. Le ramadan a vu les prix
des denrées alimentaires s’envoler. La spéculation bat son plein.
Le
taux de chômage frise les 20 %. Et, une fois encore, les femmes en sont
les premières victimes, les islamistes encourageant l’embauche des
hommes.
D’autres dangers guettent les Tunisiennes.
La commission des droits
et libertés de l’ANC, grâce aux voix du parti islamiste, a adopté un
article stipulant que « l’État assure la protection des droits de
la
femme, de ses acquis, sous le principe de complémentarité avec l’homme
au sein de la famille et en tant qu’associée de l’homme dans le
développement de la patrie ». Enterrée l’égalité des sexes, oubliée la
citoyenneté des Tunisiennes, étranglée la dignité des femmes. Face aux
vives réactions de la société civile, les islamistes avaient dû, il y a
quelques mois, faire machine arrière quand ils avaient tenté d’imposer
la charia au pays. Ils ne s’avouent pas vaincus. Les associations de
femmes n’ont pas l’intention de les laisser faire non plus. Elles ont
reçu, depuis Londres, l’appui d’Habiba Ghribi, première athlète
tunisienne à monter sur un podium olympique. Auréolée de sa médaille
d’argent, la sportive a dédié sa victoire à « tout le peuple tunisien,
aux femmes tunisiennes, à la nouvelle Tunisie ». Hölderlin l’a dit :
« Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve. »
Le peuple tunisien, un an et demi après son soulèvement, ne voit toujours pas sa situation s’améliorer.
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