http://passeurdesciences.blog.lemonde.fr/2012/08/06/art-abstrait-a-t-il-un-sens/
Plusieurs lecteurs de ma chronique Improbablologie, ayant du mal à supporter l'arrêt estival du supplément "Science & Techno" du Monde
dans lequel elle est publiée, m'ont fait part de leur détresse et de
leur sensation de manque. En attendant que la chronique reprenne, il y
aura donc un zeste de science improbable chez le Passeur...
Cette anecdote a inspiré le psychologue britannique
George Mather qui a consacré au sujet de l'orientation des peintures
abstraites une sympathique étude, publiée l'an passé par la revue i-Perception.
Ce chercheur s'est posé la question de savoir si la valeur esthétique
d'une œuvre abstraite – c'est-à-dire ne présentant que très peu ou pas
du tout d'indices se rapportant à la réalité – était diminuée aux yeux
du public quand elle était présentée dans une orientation incorrecte.
Pour le déterminer, George Mather a mis sur pied une expérience très
simple qui a consisté à montrer à une vingtaine d'étudiants sans
formation artistique particulière quarante toiles abstraites suivant
quatre orientations différentes (la bonne + rotations de 90, 180 et 270
degrés) et à leur demander de choisir celle qui avait, pour eux, le plus
de signification ou celle qu'ils trouvaient la plus plaisante
esthétiquement parlant. Les quatre images étaient présentées
simultanément sur un écran d'ordinateur et les participants disposaient
de tout le temps qu'ils voulaient pour les examiner et se décider pour
une des quatre propositions. Dans un second temps, un autre panel de
cobayes était confronté au même matériel, mais avec pour seule tâche de
dire si l'on y détectait des indices d'orientation spatiale.
Il y a aussi eu des surprises dans... l'autre sens :
pour certains tableaux, personne ou presque n'a été capable de deviner
l'orientation choisie par l'artiste alors que le hasard aurait voulu
qu'un cobaye sur quatre la désigne. Puisque l'époque est aux jeux d'été,
le Passeur vous propose de jouer à "L'art abstrait a un sens.
Saurez-vous le retrouver ?". Vous trouverez ci-dessous et sur deux
autres pages trois des toiles qui, sous leurs quatre orientations
différentes, ont donné le plus de fil à retordre aux étudiants testés
dans l'étude de George Mather. Ferez-vous mieux qu'eux ? Cela commence
par un tableau de Piet Mondrian. Amusez-vous bien (vous pouvez cliquer
sur les images pour les afficher en plus grand) !
Pour cette Composition de
Mondrian, l'orientation correcte est celle de l'image C, avec les
motifs rouges en haut à gauche de la toile. Un seul des étudiants
interrogés a choisi cette option.
Deuxième essai avec une œuvre du peintre Willem de Kooning...
A, B, C ou D ?
Pour ce Pirate
de Willem de Kooning, l'énigme est d'autant plus déroutante que,
contrairement au tableau de Mondrian, la toile ne contient pas de figure
géométrique. On a au contraire l'impression que certains motifs
représentent quelque chose et cela change suivant l'orientation. Au
final, aucune des 18 personnes testées n'a choisi le bon sens, celui de
l'image B. Peut-être les autres orientations les touchaient-elles
davantage ?
Pour terminer, voici une œuvre de Kasimir Malevitch qui n'est pas son célèbre Carré blanc sur fond blanc mais n'est apparemment pas moins difficile à orienter de manière correcte...
Face à cette Composition suprématiste : avion volant
de Malevitch, aucun des cobayes n'est parvenu à trouver la bonne
orientation (image A). Mon petit doigt me dit (mais peut-être avez-vous
d'autres hypothèses...) qu'il faut chercher la cause de cet échec dans
l'empilement des trois figures sombres, qu'il est contre-intuitif de
placer avec le plus petit élément en bas. En général, dans les
constructions, c'est la base qui est la plus large.
NOUVELLE MISE A JOUR du 7 août : Daniel
Lesbaches, spécialiste de l'art contemporain, que je remercie au
passage, m'a envoyé la photographie ci-dessous d'une exposition des
œuvres de Malevitch, montée à Moscou en 1919. On distingue clairement
que le tableau est accroché dans... la position C.
Peut-être s'agit-il d'une erreur car, quatre années plus tôt, l'Avion volant se trouvait, dans une autre exposition
(voir ci-dessous), dans l'orientation qui est celle qu'a retenue le
MoMA, à New York, où l'œuvre est aujourd'hui conservée. Ceux qui veulent
s'amuser noteront d'ailleurs qu'entre les deux photos, plusieurs
tableaux ont la tête en bas... Soit l'art abstrait a plusieurs sens,
soit il est vraiment difficile, même pour des professionnels, de le
mettre d'aplomb...
C'était le premier jeu proposé par le Passeur, à propos
d'une étude que je range volontiers dans la science improbable car,
rappelons-le, le principe de cette dernière est de faire d'abord
sourire, puis réfléchir... Apprendre en s'amusant est une bonne recette.
Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter)
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