Le
couple Pinçon-Charlot, deux sociologues de la grande bourgeoisie,
réédite une version augmentée de « Le président des riches ». L’ouvrage
examine point par point les contours de « l’oligarchie » qui gouverne la
France. Entretien.
Gonflé à bloc par le « grand bonheur » de se sentir « en phase avec la société »,
Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon et leur « Enquête sur
l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy » ont retrouvé ce 15
septembre les têtes de gondoles. Un an après sa parution, « Le président
des riches » a été réédité en poche, augmenté d’une analyse des
récentes affaires (Lagarde-Tapie, Woerth-Bettencourt, Mediator) et d’une
promenade sociologique au Grand Prix de Diane à Chantilly, fief de
l’emblématique Éric Woerth. « Un orage est prêt à éclater » estime le duo, au terme d’un an de rencontre et de débat avec leurs lecteurs dans toute la France.
Politis.fr : Comment analysez-vous le succès de votre ouvrage ?
Monique Pinçon-Charlot : Il y a une sorte de
brouillard idéologique. Les mots que nous mettons sur ce que vivent les
gens adoucissent considérablement leurs souffrances, car nous regardons
les choses avec des lunettes très spécifiques. Pour nous les riches
mènent une « guerre des classes », qui vise à réduire au minimum les
coûts du travail. Ils utilisent la dette et le déficit comme armes pour
détruire les services publics, maintenir des salaires bas... Nous avons rencontré une très lourde inquiétude.
Politis.fr : Dans la « guerre des classes » qui se joue selon
vous aujourd’hui, la « conscience de classe » n’existe que du côté des
dominants...
Michel Pinçon : Oui, la bourgeoisie fonctionne en
réseau avec des interconnexions très fortes entre les familles. Il
existe un militantisme insoupçonné mais très efficace, sur les problèmes
urbains par exemple.
La conscience de classe se traduit aussi dans les urnes. Les beaux
quartiers ont voté en masse pour Nicolas Sarkozy, tandis que les votes
sont dispersés dans les quartiers populaires. Il n’existe pas la même
unité idéologique, la même conscience politique, que dans la
bourgeoisie.
Politis.fr : Guéant qui multiplie les sorties aux accents
xénophobes, la « Droite populaire » qui organise un « apéro saucisson
vin rouge »... Les discours extrémistes s’adressent-ils aux riches ?
Michel Pinçon : Les discours xénophobes existent
dans la bourgeoisie, mais l’élite cohabite surtout avec des
ambassadeurs, des hommes d’affaires. Les étrangers que les riches
côtoient ne sont pas dans la même situation sociologique que dans les
quartiers populaires.
Monique Pinçon-Charlot : Le vote Front National à
Neuilly est d’ailleurs extrêmement bas. Le discours de Sarkozy s’adresse
surtout aux milieux populaires. C’est la stratégie du « diviser pour
mieux régner ». La droite crée des boucs émissaires pour détourner l’attention des vrais problèmes.
Politis.fr : Comment jugez-vous le positionnement idéologique et politique de la gauche ?
Monique Pinçon-Charlot : Ce qui est terrible, c’est
que le principal parti de gauche, le Parti socialiste, a fait énormément
pour sauver le système et installer le capitalisme spéculatif et
financier, dans sa phase néolibérale. Le Parti socialiste a trahi les valeurs de gauche.
Michel Pinçon : Nous sommes dans un régime
censitaire : à l’Assemblée, 1 % seulement des élus sont d’anciens
ouvriers ou employés alors que ce groupe représente 54 % de la
population active. Au même moment, l’abstention est proche de 80 % dans
certaines cités. En somme, tout se passe comme si pour être élu comme
pour voter, il fallait appartenir aux milieux favorisés.
Politis.fr : Vous parlez d’une suprématie idéologique des
libéraux depuis 30 ans. Les catégories populaires ont-elles finalement
intégré ce schéma de pensée ?
Monique Pinçon-Charlot : Évidemment, mais cela s’est fait malgré elles. La guerre des classes s’accompagne d’une guerre psychologique.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire