samedi 28 juillet 2012

Les Pinçon-Charlot : « La guerre des classes s’accompagne d’une guerre psychologique »

Politis, 16 Septembre 2011.

Le couple Pinçon-Charlot, deux sociologues de la grande bourgeoisie, réédite une version augmentée de « Le président des riches ». L’ouvrage examine point par point les contours de « l’oligarchie » qui gouverne la France. Entretien.


Gonflé à bloc par le « grand bonheur » de se sentir « en phase avec la société », Monique Pinçon-Charlot, Michel Pinçon et leur « Enquête sur l’oligarchie dans la France de Nicolas Sarkozy » ont retrouvé ce 15 septembre les têtes de gondoles. Un an après sa parution, « Le président des riches » a été réédité en poche, augmenté d’une analyse des récentes affaires (Lagarde-Tapie, Woerth-Bettencourt, Mediator) et d’une promenade sociologique au Grand Prix de Diane à Chantilly, fief de l’emblématique Éric Woerth. « Un orage est prêt à éclater » estime le duo, au terme d’un an de rencontre et de débat avec leurs lecteurs dans toute la France.

Politis.fr : Comment analysez-vous le succès de votre ouvrage ?

Monique Pinçon-Charlot : Il y a une sorte de brouillard idéologique. Les mots que nous mettons sur ce que vivent les gens adoucissent considérablement leurs souffrances, car nous regardons les choses avec des lunettes très spécifiques. Pour nous les riches mènent une « guerre des classes », qui vise à réduire au minimum les coûts du travail. Ils utilisent la dette et le déficit comme armes pour détruire les services publics, maintenir des salaires bas... Nous avons rencontré une très lourde inquiétude.

Politis.fr : Dans la « guerre des classes » qui se joue selon vous aujourd’hui, la « conscience de classe » n’existe que du côté des dominants...

Michel Pinçon : Oui, la bourgeoisie fonctionne en réseau avec des interconnexions très fortes entre les familles. Il existe un militantisme insoupçonné mais très efficace, sur les problèmes urbains par exemple.
La conscience de classe se traduit aussi dans les urnes. Les beaux quartiers ont voté en masse pour Nicolas Sarkozy, tandis que les votes sont dispersés dans les quartiers populaires. Il n’existe pas la même unité idéologique, la même conscience politique, que dans la bourgeoisie.

Politis.fr : Guéant qui multiplie les sorties aux accents xénophobes, la « Droite populaire » qui organise un « apéro saucisson vin rouge »... Les discours extrémistes s’adressent-ils aux riches ?

Michel Pinçon : Les discours xénophobes existent dans la bourgeoisie, mais l’élite cohabite surtout avec des ambassadeurs, des hommes d’affaires. Les étrangers que les riches côtoient ne sont pas dans la même situation sociologique que dans les quartiers populaires.

Monique Pinçon-Charlot : Le vote Front National à Neuilly est d’ailleurs extrêmement bas. Le discours de Sarkozy s’adresse surtout aux milieux populaires. C’est la stratégie du « diviser pour mieux régner ». La droite crée des boucs émissaires pour détourner l’attention des vrais problèmes.

Politis.fr : Comment jugez-vous le positionnement idéologique et politique de la gauche ?

Monique Pinçon-Charlot : Ce qui est terrible, c’est que le principal parti de gauche, le Parti socialiste, a fait énormément pour sauver le système et installer le capitalisme spéculatif et financier, dans sa phase néolibérale. Le Parti socialiste a trahi les valeurs de gauche.

Michel Pinçon : Nous sommes dans un régime censitaire : à l’Assemblée, 1 % seulement des élus sont d’anciens ouvriers ou employés alors que ce groupe représente 54 % de la population active. Au même moment, l’abstention est proche de 80 % dans certaines cités. En somme, tout se passe comme si pour être élu comme pour voter, il fallait appartenir aux milieux favorisés.

Politis.fr : Vous parlez d’une suprématie idéologique des libéraux depuis 30 ans. Les catégories populaires ont-elles finalement intégré ce schéma de pensée ?

Monique Pinçon-Charlot : Évidemment, mais cela s’est fait malgré elles. La guerre des classes s’accompagne d’une guerre psychologique.

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