Barthès-Sarkozy, apothéose du fun washing
Par Daniel Schneidermann, le 17/03/2012
"Je dépose les armes, vous avez gagné": sur le plateau du Petit journal,
Sarkozy vient de se regarder dans un best of des montages de Yann
Barthès, il vient de se voir dans ses dandinements et ses mimiques, ses
discours recyclés et ses blagues qui tombent à plat, il n'en peut plus
de rire, et dans un souffle il glisse à Barthès: "je dépose les armes. Vous avez gagné".
Et à cet instant, éberlués, devant cette improbable confrontation que
l'on attend inconsciemment depuis cinq ans, on se demande: mais que
voyons-nous, exactement ? Comment décrire ce à quoi nous assistons ? Que
se passe-t-il ?
Ce que nous voyons, après quelques heures de décantation, apparaît
assez simple: à l'instant même où Sarkozy offre apparemment à Barthès sa
reddition, à cet instant-là, et justement par ces mots-là, c'est lui
qui remporte la victoire sur Barthès, dans le petit match à distance que
se livrent ces deux-là depuis cinq ans. Acceptant la moquerie,
acceptant de se revoir interminablement dans ses gesticulations et ses
mimiques, acceptant de se revoir picorer les grains de sucre des
chouquettes devant les caméras, riant de lui à grandes lampées de "je vais devoir tout revoir", "comme vous êtes talentueux", et "ah non, pitié, pas encore celle-là",
bref acceptant le clown en lui, l'accueillant dans un grand élan de
réconciliation, Sarkozy se relégitime par le rire, comme bien d'autres
politiques avant lui, dès lors qu'ils acceptèrent de rire de leur
Guignol.
Ah, ce n'est pas une large victoire. C'est une victoire étroite. Car le rire reste un peu jaune, les répliques sont répétitives ("quel talent vous avez"), l'ensemble sent le passage obligé. Mais bon, il l'a fait. Il a osé. Il a fait le job. Il a gagné.
Et
Barthès, à l'instant même de son triomphe, a perdu. Perdu quoi ? Son
innocence, pourrait-on dire. On s'interrogeait, ici, ces dernières
semaines, sur la nature du dérangeant spectacle de Yann Barthès, on ne parvenait pas à le ranger dans une case. Bidonneur mais subversif; apparemment inconscient de certaines règles de base du journalisme mais
ayant écorné les images des communicants, révélé bien des travers et
des manies des puissants (la répétition mot pour mot par Sarkozy du même
discours aux agriculteurs, son sketch de kleptomane avec un stylo
officiel, en Roumanie, etc). Et sans doute que ce spectacle lui-même,
comme toute oeuvre, balançait, ne sachant pas ce qu'il était, ni ce
qu'il voulait vraiment dire.
Eh bien voilà. C'est définitif et radical. Recevant
le clown de l'Elysée sans jamais lui rappeler, fût-ce subrepticement, la
dimension tragique de son clown (discours de Dakar, discours de
Grenoble, ruissellement de l'argent, règne fondé sur la haine, etc)
Barthès a opté dans l'instant pour sa vraie nature, comme on cocherait
enfin une case: un spectacle de légitimation des politiques par leur
propre clown. Une banale petite entreprise de fun washing, comme il y a
du green washing.
On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. Si on rit désormais avec Yann Barthès, on saura qu'on rit aussi, non pas seulement de, mais avec Sarkozy, dont l'hologramme se tiendra les côtes à nos côtés. Chacun prendra ses responsabilités. C'est toute la donne économique de cette transaction du rire (que nous donne Barthès ? Que lui donnons-nous en échange par nos rires, à lui et à Canal+ ?) qui, d'un coup, a basculé et s'est clarifiée. A tout prendre, c'est plus confortable ainsi.
On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui. Si on rit désormais avec Yann Barthès, on saura qu'on rit aussi, non pas seulement de, mais avec Sarkozy, dont l'hologramme se tiendra les côtes à nos côtés. Chacun prendra ses responsabilités. C'est toute la donne économique de cette transaction du rire (que nous donne Barthès ? Que lui donnons-nous en échange par nos rires, à lui et à Canal+ ?) qui, d'un coup, a basculé et s'est clarifiée. A tout prendre, c'est plus confortable ainsi.
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