Je n'ai pas dormi, je ne crois pas avoir dormi. J'étais pourtant prévenu, sourdement, par un soupçon à l'égard de moi-même et du sommeil. N'avais-je pas somnolé toute la journée, toute la semaine, cela ne durait-il pas depuis des mois ou des années? Cette nuit blanche, "surconsciente", et paradoxale semblait ainsi attendue... Il flottait sous moi l'absence, dans un éclat brûlant de fièvre, à mesure que je naviguais sur ce fleuve étrange, calme et navré. Les réflexions et préoccupations qui m'habitaient déjà hier soir avait pourtant donné l'alerte. Ce grand chemin menait à vue, en même temps qu'il me perdait, incapable de réagir, vaincu par le rythme des flots et le cours de cette voix qui martelait: "ouvre les yeux, vois ce que tu ne veux voir". Pris dans le courant des eaux, qui dominait la rive, je saisissais au passage, sur des îlots de sable blanc, dans l'écume du fleuve advenant sur le cadavre des arbres et dans le bois flotté: l'écran d'une vie morcelée. La mienne et celle des autres, tout se monde unit malgré le nombre. De là où je descendais, je pouvais distinctement apercevoir certains visages. Ce grand type aux cheveux blancs et blonds que je reconnus comme un archétype de ce monde infini, éternellement jeune, seulement apparant. Je distinguai le visage de mes soeurs et de leurs maris et il m'apparut que toutes nos vies se ressemblaient, qu'elles étaient dotées des mêmes signes, comme issues d'une coque brisée. Dans un même fracas, tout allait dans un sens unique, rapidement puis lentement, de manière altérée. Et tout défilait, suivant la rotation d'un disque ou d'un tourbillon, emporté vers le fond au milieu duquel je glissais, observant ici et là, avec de grands yeux ouverts tous ceux qui allaient devant moi, les mêmes occurences: les mêmes chiffres, les mêmes dates, les mêmes événements, le même train... Chacun portait sur le visage, une expression figée et systématique, un sourire puis une grimace, un rire puis un cri... Et dans ce tourbillon, j'apercevais tous les objets du quotidien et des mots tournoyant que j'imaginais plongeant vers l'abîme, dans le siphon de cette tourmente. Le paysage de la vie moderne et le confort noyé par la cuvette des latrines. Et des mots autant que des objets mouraient, condamnés, assassinés par moi: le canapé, l'ordinateur, la santé, le docteur, le code civil, la liberté, le mariage, les enfants et surtout le travail, le travail, avalé comme une vérité droite et l'Argent !!!! Et tous ces excécrables et ses petits-enfants... Et tout cela tournoyait comme un disque, avec l'allure d'une mécanique parfaitement huilée, binaire et folle, débarrassée. Je me tenais au milieu de cette chaîne humaine, à l'unisson, identique, tenant la main de mes congénères, s'émerveillant des mêmes choses, souriant là où chacun souriait. L'horizon plat succombant morne et sans relief, sans histoire et mémoire singulière car je célèbrais, j'accceptais ma vie d'homme moderne, alliéné et résolu.
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