vendredi 16 octobre 2009

Artaud le mômo

Les asiles d'aliénés sont des réceptacles de magie noire, conscients et prémédités.
Et ce n'est pas seulement que les médecins favorisent la magie par leurs
thérapeutiques intempestives et hybrides
C'est qu'ils en font

S'il n'y avait pas de médecins
il n'y aurait pas de malades,
pas de squelettes de morts
malades à charcuter et dépiauter.
car c'est par les médecins, et non par les malades, que la société a commencé.

Ceux qui vivent, vivent des morts.
Et il faut aussi que la mort vive;
Et il n'y a rien comme un asile d'aliénés pour couver doucement la mort, et tenir
en couveuse les morts.

Cela a commencé 4000 ans avant J.C., cette technique thérapeutique de la mort lente,
Et la médecine moderne, complice en cela de la plus sinistre et crapuleuse magie,
passe ces morts à l'électrochoc ou à l'insulinothérapie, afin de bien, chaque jour
vider ces haras d'hommes de leur moi,
et de les présenter ainsi vides,
ainsi fantastiquement
disponibles et vides,
aux obscènes sollicitations anatomiques et atomiques
de l'état appelé Bardo, livraison du barda de vivre aux exigences du non-moi.

Le Bardo est l'affre de mort par lequel le moi tombe en flaque,
et il y a, dans l'électrochoc, un état flaque
par lequel passe tout traumatisé,
et qui lui donne, non plus à cet instant de connaître, mais affreusement et
désespérément méconnaître ce qu'il fut, quand il était soi, quoi, loi, moi
roi, toi, zut et ça.

J'y suis passé et ne l'oublierai pas.

La magie de l'électro-choc draine un râle, elle plonge le commotionné dans
ce râle par lequel on quitte la vie.

Or, je le répète, le Bardo c'est la mort, et la mort n'est qu'un état de magie
noire qui n'existait pas il n'y a pas si longtemps

Créer ainsi artificiellement la mort comme la médecine actuelle l'entreprend
c'est favoriser un reflux du néant qui n'a jamais profité à personne,
mais dont certains profiteurs prédestinés de l'homme se repaissent depuis
longtemps.

En fait, depuis un certain point du temps.

Lequel?

Celui où il fallut choisir entre renoncer à être homme ou devenir un aliéné
évident.

Mais quelle garantie les aliénés évidents de ce monde ont-ils d'être soignés
par d'authentiques vivants?

farfadi
ta azor
tau ela
auela
a
tara
ila


FIN


Une page blanche pour séparer le texte du livre qui est fini de tout
le grouillement du Bardo qui apparaît dans les limbes de l'électro-choc.
Et dans ces limbes une typographie spéciale, laquelle est là pour abjecter Dieu,
mettre en retrait les paroles verbales auxquelles une valeur spéciale a
voulu être attribuée.

Antonin Artaud,
12 janvier 1948

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