lundi 18 mai 2009

"L'hôpital doit admettre qu'il coûte cher à la collectivité"

LE MONDE 15.05.09

Jean-Loup Durousset préside la Fédération hospitalière privée (FHP), qui représente 1 200 cliniques et hôpitaux privés à but lucratif. Il explique pourquoi il soutient le projet de loi Hôpital, patients, santé, territoires, qui bouleverse en profondeur les relations entre secteurs public et privé.

Comment réagissez-vous aux concessions du gouvernement sur la gouvernance des hôpitaux publics ?

Nous étions favorables à cette loi, car il est indispensable que l'hôpital se restructure, et assume sa responsabilité d'assurer des soins de qualité dans un modèle économique d'efficience. Les concessions d'aujourd'hui nous inquiètent, car elles pourraient dénaturer le projet originel. Il y a eu une confusion quand le président de la République a parlé de "patron" à la tête de l'hôpital, ce qui donne une vision trop autoritaire de la fonction. Car le directeur d'hôpital est surtout un diplomate : il est en lien avec les médecins, les patients, les autorités ministérielles et l'assurance-maladie. Or, la diplomatie n'a de sens que si on a les moyens d'agir en tant que tel. Il faut que les médecins participent à la gestion hospitalière. Mais je ne suis pas sûr qu'ils soient les mieux éclairés pour décider.

La loi vous reconnaît le droit d'exercer des missions - urgences, gardes, accueil des plus démunis, formation des jeunes médecins - qui relevaient du monopole du secteur public. N'est-ce pas un changement décisif ?

Oui, c'est un cap symbolique, qui constitue l'aboutissement des réformes précédentes de l'hôpital et qui s'incarne dans l'abandon, par le projet de loi, de la notion de "service public hospitalier". L'idée qui a présidé à ce changement, c'est que, quel que soit le statut des établissements, public ou privé, ils doivent pouvoir avoir des missions identiques, et donc partager les missions de service public. L'Etat doit choisir l'acteur le plus performant pour exercer ces missions. Il peut le faire avec un établissement public, associatif, ou commercial. S'il juge le commercial le plus efficient, il a intérêt à le choisir. Pour le patient, cela ne changera rien, au contraire. L'important est qu'il ait la garantie que le service rendu, en termes de qualité de soins, soit le meilleur.

Mais si les cliniques forment les jeunes médecins, est-ce que cela ne va pas accélérer l'exode des médecins vers le privé ?

D'abord, les jeunes ne quittent pas spécialement l'hôpital public à la fin de leurs études. Ils choisissent d'exercer dans le privé, ce qui n'est pas la même chose. Mais, la plupart du temps, les internes ne savent pas dans quel secteur ils vont exercer. Il nous a paru important de présenter aux jeunes médecins l'ensemble des activités que nous exerçons, afin qu'ils se familiarisent avec notre secteur. J'ajoute que certaines spécialités chirurgicales, comme la main ou l'ophtalmologie, ne sont plus exercées qu'à 85 % par le privé. Il est donc important que les jeunes se forment là où ces spécialités sont pratiquées.

Avoir obtenu l'exercice de missions de service public constitue aussi une part de marché supplémentaire pour vous...

Oui, en quelque sorte, mais il faut bien voir que c'est un marché contrôlé par l'Etat. Les pouvoirs publics délivrent les autorisations d'ouverture des cliniques, délimitent le périmètre de chaque établissement avec des objectifs de soins quantifiés, et fixent les tarifs de chaque activité. Les cliniques ne peuvent donc librement doubler leur volume d'activité. C'est totalement une idée reçue.

Diriez-vous que le projet de loi tend à aligner le public sur le modèle de l'hôpital-entreprise ?

Effectivement, on passe à un système qui uniformise les secteurs public et privé, mais ce mouvement se fait dans le sens de l'intérêt collectif. Plutôt que de dire : le public s'aligne sur le privé, je dirais que c'est plutôt l'inverse, puisque le privé obtient le droit d'exercer des missions de service public. Par ailleurs, je trouve choquant qu'on associe le mot entreprise à quelque chose de péjoratif. L'idée que l'hôpital public pourrait être soumis à la rentabilité me paraît une idée reçue, stupide.

Finalement, nous fonctionnons un peu comme un aiguillon pour l'hôpital. En obtenant les missions de service public, on pousse le public dans ses retranchements, on interroge son efficience, sa capacité à apporter des soins de qualité à moindre coût. L'hôpital doit admettre qu'il coûte cher à la collectivité. Dans le même sens, les cliniques privées doivent s'interroger en termes d'équité et d'accès aux soins, notamment pour offrir des soins en tarifs opposables, c'est-à-dire sans dépassements d'honoraires. C'est tout le sens du mouvement désormais enclenché.

Propos recueillis par Cécile Prieur
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Les manifestations et la grève sont en recul

Des milliers de personnels des hôpitaux ont manifesté, jeudi 14 mai, dans une quarantaine de villes contre le projet de loi Hôpital, patients, santé, territoires, actuellement en discussion au Sénat. Emmené par le Mouvement de défense de l'hôpital public et les principaux syndicats de praticiens hospitaliers, le cortège parisien - qui a rassemblé 3 200 personnes selon la police, 14 000 selon les syndicats - était deux fois moins fourni que lors de la manifestation du 28 avril. Selon le ministère de la santé, la participation à la grève était globalement inférieure à celle observée le 28 avril : 11,6 % des médecins étaient grévistes en province contre 14,4 % le 14 mai, et 26,5 % dans les hôpitaux de Paris contre 50,1 %.

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