mardi 21 avril 2009

Excursus sur l'Etranger (part.1)

Si la pérégrination, s'affranchir de tout point donné dans l'espace, est l'antithèse conceptuelle de la fixation en un point, la forme sociologique de l'étranger représente pourtant dans une certaine mesure la réunion de ces déterminations - en manifestant d'ailleurs une fois de plus que le rapport à l'espace n'est qu'un côté de la condition, et de l'autre le symbole des rapports aux hommes. On ne conçoit donc pas ici l'étranger au sens déjà abordé plusieurs fois du vagabond, qui vient un jour et repart le lendemain, mais de celui qui vient un jour et reste le lendemain - pour ainsi dire le vagabond potentiel qui, bien qu'il ne pousse pas plus loin son voyage, n'a pas entièrement surmonté l'absence d'attaches de ses allées et venues. Il est fixé à l'intérieur d'un cercle géographique donné - ou d'un cercle dont les frontières sont aussi déterminées que celles inscrites dans l'espace - mais sa position y est déterminée surtout par le fait qu'il n'y appartient pas d'avance, qu'il y importe des qualités qui n'en proviennent pas et ne peuvent en provenir. La combinaison de distance et de proximité que contient toute relation arrive ici à un rapport dont la formulation la plus brève est: dans une relation, la distance signifie que le proche est lointain, tandis que l'étranger signifie que le lointain est proche. Car l'étrangeté est de toute évidence une relation toute positive, une forme spéciale d'action réciproque; les habitants de Sirius ne nous sont pas étrangers à proprement parler, du moins au sens sociologique du mot, celui qui nous intéresse: ils n'existent même pas pour nous, ils se trouvent au-delà du proche et du lointain. L'étranger est un élément du groupe même, tout comme les pauvres et les divers ennemis de l'intérieur - un élément dont l'articulation immanente au groupe implique à la fois une extériorité et un face-à-face.
Georg Simmel, 1908, 1999, Sociologie, Etudes sur les formes de la socialisation, Paris, Puf, pp.663-668.

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