mercredi 25 mars 2009

Monsieur Ostinato

Il me parla d'Ostinato.
_ "Ostinato ?" ai-je demandé, intrigué.
_ "Ostinato, a-t-il répété, c'est une notation musicale. Avant d'ajouter tout en s'assoyant à mes côtés : "Vous connaissez la musique ?"
_ "Oui... Non. Répondis-je embarrassé. Est-ce qu'elle se connait ?"
_ "Ah ! s'exclama t-il. Connaissez-vous l'oeuvre musicale de Schumann ?"
_ "L'alcoolique ?"
_ "Peut-être ? dit-il en riant. Ce qui expliquerait son acharnement... "
_ "L'ostinato traduit l'obstination, c'est ça ? "
_ "Oui, ça vient de l'italien je suppose. Cela désigne l'épreuve de la mort qui ne vient pas, comme une note qui resterait là..." En disant cela il avait d'abord fait glisser la tranche de son index le long d'une gorge muette tout en laissant pendre sa langue et puis avait pointé le ciel en désignant une note très aigue culminant vers des sommets inaudibles, comme suspendue! Ce spectacle me fit rire un moment avant de songer qu'il était fou, que cet ostinato était l'objet de sa propre obsession.
_ "L'ostinato... dit-il dans un soupir. C'est une vraie tragédie."
Je compris que le vieil homme était fasciné par cettte expression, cette note ou je-ne-sais-quoi, que je me représentais comme un non-lieu, un lieu profane ou d'errance, sans au-delà. Ce qui l'intéressait implicitement c'était aussi l'aboutissement, le déplouement de cette note unique ou ce thème vers un autre motif. La décomposition de l'ostinato, sa fuite, vers l'autre rive, tant espérée, enfin atteinte...
L'homme se redressa brutalement en voyant arriver le train.
_ "C'est ainsi, soupira-t-il encore, sans doute faut-il l'accepter ?"
Il se tourna une dernière fois vers moi en levant poliment son chapeau.
_ "Cela m'a fait plaisir de discuter avec vous." Puis il se retourna, réajustant son long manteau gris et son écharpe rouge avant de disparaitre dans le premier compartiment, en direction de l'étage, derrière les vitres teintées.

Aucun commentaire: