Décroche un journal du présentoir. Les titres évoquent la lente ascension du chômage vers les sommets de la crise, quelque chose comme ça... Présentation des chiffres de janvier, un supplément littéraire consacré à Simone Weil. Décide de l'acheter. La bibliothèque ne fait plus suivre les journaux pendant les vacances. Entre dans la boutique, avance vers le comptoir, pose la feuille de choux au titre grandiloquent. "S'offre Le Monde qui peut", pensai-je. "Dans cet état", rectifia une autre voix ironique.
_ Bonjour Madame.
Une femme aux lunettes rouges, de formes rectangulaires, cheveux teints en blond et courts, environ cinquante ans, récupère mon journal et le passe sous le scanner de sa machine. _ Bonjour Monsieur, dit-elle en même temps avec un sourire faussé. Un euro trente.
Je scrute le fond de mon portefeuille. "Un euro trente?" me répétai-je silencieusement en songeant alors que ce satané journal coûtait dix centimes de moins il y a encore deux ans de cela. "Un euro vingt", c'était le prix du "Monde" avant l'envolée du pétrole... Je me faisais chaque fois à l'époque cette étrange réflexion en passant à la pompe. Cela résonnait comme une insondable équation: "un litre d'essence équivaut au prix d'un journal. Qui lit le journal et conduit?" Là-dessus je cherche l'appoint parmi la monnaie qui traîne là sous le tissu et la couture de la fermeture éclair de mon portefeuille. Je lançai d'ailleurs au hasard quelques mots après avoir déposé une pièce de deux euros sur le comptoir:
_ J'ai peut-être la monnaie... attendez... Non!
_ Ce n'est pas grave, répond-elle en jetant la pièce dans le ventre métallique de la caisse enregistreuse. Elle en sort deux pièces jaunes et réhausse ses lunettes. Voila.
Elle me tend la monnaie que je récupère.
_ Merci. Bonne journée, au revoir! lancé-je
_ De même, me répond-elle aussitôt avec ce sourire qui d'un seul coup s'éfondre.
J'énumère, en quittant la boutique, ces formules de politesse ou de réciprocité, d'équité peut-être? Manifestement vides : "de même", "idem", "pareillement", que sais-je encore? Signes du temps.
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