Vieille, ébouriffée, les cheveux blancs, roux et blonds, vêtue d'un tailleur gris, de petites lunettes lui tombent sur le nez comme une ancre austère qui pose et souligne la gravité de ce monde. Tête baissée, déclinant quelquefois un bref hochement, elle se réserve, tout à son jeu théâtral: elle écoute, absorbe l'absence en recourant à l'objet, ces lunettes noires qu'elle abandonne ou chausse comme une ponctuation, un trait diacritique, une virgule.
Puis vient son tour de chant, elle se déploie sans doute, partant de la raison, décollant du sol, de la table où trône les volumes de cette fameuse thèse, de ce replis derrière les barriquades, aucun signe jusqu'alors n'était allé vers l'étudiante. Elle regarde enfin la coupable entamant dans le même temps quelques gammes d'orateurs, des phrases de grimoires de lignées professorales, de vieilles femmes. Elle élève la voix vers un point inaudible, bien au-dessus de la mêlée, sordide, noire, qu'elle estime probablement aveugle. Elle "réfute", "critique", "reproche", "note", "remarque", "reprend", autant de verbes performatifs qui puisent dans l'autorité le miroir de Narcisse. "Des manques et des absences figurent dans ce travail" et son orgueil de tragédienne est touché: ses écrits n'apparaissent pas dans la bibliographie... Le travail et le temps apparaissent sans mesure, en-deça des sphères insondables du savoir. Mais qui sont ces juges et quel est ce jeu, le sens étrange de ce rituel?
Il semble que le jury naisse ainsi, dans un rapport de domination, face à ses semblables et devant l'élève ou le novice à travers la pertinence de ses remarques et le nombre de ses critiques. La voix prend ainsi son envol et la jouissance de l'être supérieur, jeté tel un phoenix, à ce ton croissant dans l'espace, dans la vibrante mesure du savoir et de la prophétie, selon l'altitude vertigineuse de l'inventaire et l'assurance grave de ce corps tourné vers la foule avec l'approbation, le regard tendre et complice des autres sexagénaires.
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