jeudi 17 avril 2008

Un pays différent des autres


Mais que s'est-il passé chez vous ces deux dernières semaines? me demande l'ami étranger. Mah, je réponds, un ministre a été accusé de concussion. Beh, dit l'ami, rien d'étrange, cela est arrivé aussi chez nous. Comment a réagi le gouvernement? Il lui a assuré de sa solidarité morale, je réponds. Juste, dit l'ami, le gouvernement doit présumer que, jusqu'à ce qu'il ne soit pas prouvé que le ministre a vraiment commis un crime, il soit une personne bien, autrement il ne l'aurait jamais coopté. Plutôt, continue, l'ami, dis-moi qu'a fait le ministre. Je réponds que, pour être libre de défendre son honneur et ne pas mettre dans l'embarras le gouvernement, il a donné sa démission. L'ami observe que nous sommes vraiment devant une personne digne du plus grand respect. Ainsi il se fait dans les pays civilisés.
Il est vrai, lui dis-je, mais il est arrivé une chose étrange. Ce ministre, qui se trouve évidemment dans une âpre polémique avec la magistrature qui l'a accusé, a dit que si le gouvernement n'adhérerait pas à sa polémique il lui retirerait les votes de son groupe et le ferait chuter. Observe l'ami que cela sonne un peu comme un chantage : si le ministre avait donné sa démission pour pouvoir se défendre librement sans impliquer le gouvernement, parce qu'alors il l'implique? La chose m'étonne, dit-il, même si je comprends que le vôtre est un gouvernement qui se règle sur l'appui extérieur, négocié un par un, des divers groupes, parmi lequel celui du ministre en question. Non, je corrige : au gouvernement il y a une "union" de partis qui se sont présentés aux élections sous la même bannière car ils partageaient tous quelques sacrés principes et tous s'opposaient à celui-là qui considéraient le précédente mauvaise administration; Il me demande l'ami : compris le groupe du ministre démissionnaire? Certes, je réponds. Et donc, insiste l'ami, le ministre dont on parle avait adhéré à l'union par motifs idéals et il était, soit cependant en un sens métaphorique, disposé à se battre jusqu'à la fin pour le triomphe de ces principes idéals. Et comment non, je réponds. Et alors, s'étonne l'ami, car dans le moment où il est accusé le ministre ne croit plus en ces principes idéals et menace de faire chuter ce gouvernement qui a été élu par son soutien?
Ne sachant plus quoi répondre, je prie l'ami de changer de sujet. Il me demande alors comme jamais quand notre homme politique, y compris les hommes du gouvernement, fait un voyage et est interrogé à l'extérieur, au lieu de se faire interprète des intérêts de notre pays auprès du pays hôte, répondant aux questions des journalistes locaux, il répond en revanche aux questions des journalistes italiens que entre autre on ne voit pas pourquoi ils aient fait un voyage aussi coûteux pour demander au politique des choses qu'ils auraient pu lui demander au pays. Et dans les réponses à ces questions le politique parle des choses nationales, lançant des messages menaçants non seulement à ses adversaires mais souvent même à ses propres collègues du parti ou du gouvernement. Il me dit l'ami que dans le reste du monde civilisé, si un homme du gouvernement doit faire une déclaration importante, il ne fait pas du tourisme mais reste dans son propre pays et convoque une conférence de presse ou carrément lance un message à la nation, comme fait souvent le président Bush; ou bien parle au parlement, qui est le lieu chargé pour des déclarations qui concernent la politique nationale. Tu vois, je lui explique, si notre politique parle dans une conférence ou au parlement, son discours est enregistré mot à mot, et après il ne peut plus démentir ce qu'il a dit. En revanche parlant à l'extérieur, sa voix arrivant à la patrie à travers la médiation de chroniqueurs, il peut toujours dire avoir été mal compris. Mais pourquoi un politique désire être mal compris, me demande l'ami? Je confesse qu'aussi sur ce point je n'ai pas une réponse convaincante. En chaque cas je lui fais remarquer qu'il est important pour notre politique de parler à l'extérieur, parce que nous sommes des provinciaux et ce qui se dit à Rome fait moins nouvelle que ce qui se dit à Mombasa. Pour cela nos politiques font tant de voyages à l'extérieur, même en famille - dont l'unité doit être sauvegardée.
Vous semblez presque un pays différent des autres, dit l'ami. Par exemple, pourquoi dès le premier jour suivant les élections, il parait que le but de l'opposition de votre pays soit de faire chuter le gouvernement, d'autant que sa chute est demandée et annoncée chaque jour? Mais comment, je demande, le but d'une opposition n'est-elle pas celle de faire chuter le gouvernement en fonction? Absolument non, au moins chez nous, répond l'ami. En démocratie le but de l'opposition est, puisque le gouvernement a été élu, le talonne jour après jour, pour le faire améliorer les lois, pour l'empêcher de prévariquer. Si l'opposition perd du temps chaque jour pour élaborer des plans pour faire chuter le gouvernement, il n'a pas le temps pour étudier les projets alternatifs qui devrait lui opposer, ou les critiques circonstanciées et continues à son action, pour la corriger.
Je dois admettre qu'il a raison, aussi parce que chez nous, pour faire chuter le gouvernement, l'opposition n'est pas indispensable, la majorité suffit.
A ce point je dois admettre qu'effectivement nous semblons un pays différent des autres.

Umberto Eco, La Bustina di Minerva, 31 janvier 2008, L'Espresso.

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