Hommage à Jean-Luc Godard, qui du reste n'est pas mort. Voici une petite anecdote à propos du "cinéma de Godard". Je me souviens être allé voir son dernier film -le « dernier Godard », selon l’expression consacrée- en salle dans un moment de grande majesté, alors que la Fête du Cinéma le rendait accessible à un large public.
Il était difficile d’imaginer ce qui pouvait nous attendre, après de nombreuses années d’absence et l’hermétisme si entretenu par l’auteur du Mépris et révéré par de sombres adorateurs, issus de petits milieux intellectuels, qui peuplent, je pense, toute bonne ville respectable. Durant la quinzaine, la place revenait à 10 francs ou peut-être moins, bien moins cher que d’habitude. Je me souviens que la petite salle du cinéma de province où je m’étais rendu était pleine et que cela constituait déjà un événement.
Le film s’appelait « L’éloge de l’amour ». Il avait la particularité d’être filmé en partie en couleur, en numérique, puis en noir et blanc, dans un autre format. Cette distinction constituait une manière de différencier le passé (traité en couleur) et le présent (traité en noir et blanc) du récit et de situer l’expérimentation de l’auteur. Je ne saurais pas vraiment que dire de plus au sujet de ce film. Il me semble que le personnage principal, joué par Putzulu, écrivait une thèse d’histoire, quelque chose d’assez fastidieux et ennuyeux, et s’interrogeait sur la Résistance en Europe, au cours de la dernière guerre, et ses fondements et son idéologie. Je me souviens qu’il faisait souvent référence aux écrits de Simone Weil, et par la même occasion, à son attachement et sa conversion au christianisme. Le film suivait ainsi la pensée et les réflexions encore brutes et schématiques du personnage, les amorces et les digressions d’un homme en prise avec l’Histoire et sa compréhension, passant d’une référence à l’autre, comme d’une liane à l’autre, baladé dans une jungle ténébreuse et insoluble. Il était question de la mémoire, du temps, de la vieillesse, de la vérité établie par l’histoire… De son efficacité.
Il est possible que j’invente, mais je me souviens avec précision de la projection, qui eut lieu un samedi, au cours de l’après-midi. Je revois la petite salle tapissée de rouge qui s’est vidée avant la fin du film, à mesure qu’il vacillait entre les jeux de couleurs surexposées et poétiques, cadrant la mer et les routes automnales, les citations piquées à la volée, comme des gifles. C'était aussi amusant d'observer le visage des déserteurs qui s’échappaient dans l'ombre, par petits groupes ou courageusement seuls, exaspérés par le spectacle. Il y avait également ceux qui soupiraient en regardant leur montre, comme pour signifier leur empressement et prétexter d’un geste agacé l’urgence d'un rendez-vous. La salle se transforma rapidement en un théâtre exposant tout à la fois le désastre et la magie du cinéma. Nous ne fûmes plus que quelques uns lorsque la lumière réapparut, à peu près une dizaine. Un ou deux spectateurs s’étaient appremment endormis, d'autres avaient pris le parti de rester jusqu’au bout, de suivre ou de comprendre ou parce qu’ils avaient payé leur entrée. D’autres plus navrant encore étaient restés par snobisme, non par égard au maître, mais aux petits cercles bourgeois dont ils faisaient partie. Je fus d'ailleurs stupéfait d’apprendre que le fait de rester et « de ne pas lâcher prise » ne correspondait pas à de l’intérêt, mais plutôt à un acte insidieux de "résistance" qui désignait une forme de discrimination sociale et intellectuelle… Reconnaissons le mérite indéniable de Jean-Luc Godard: celui de nous révéler ce précieux ridicule, chèrement acquis.
J’ai relevé cette phrase magnifique dans la presse, que je vous livre telle quelle :
"Il y a un non sens absurde dans cette authentique quête de sens…"
Magnifique, non?
Vive Godard! Vive la Suisse Libre!
Y-
Il était difficile d’imaginer ce qui pouvait nous attendre, après de nombreuses années d’absence et l’hermétisme si entretenu par l’auteur du Mépris et révéré par de sombres adorateurs, issus de petits milieux intellectuels, qui peuplent, je pense, toute bonne ville respectable. Durant la quinzaine, la place revenait à 10 francs ou peut-être moins, bien moins cher que d’habitude. Je me souviens que la petite salle du cinéma de province où je m’étais rendu était pleine et que cela constituait déjà un événement.

Il est possible que j’invente, mais je me souviens avec précision de la projection, qui eut lieu un samedi, au cours de l’après-midi. Je revois la petite salle tapissée de rouge qui s’est vidée avant la fin du film, à mesure qu’il vacillait entre les jeux de couleurs surexposées et poétiques, cadrant la mer et les routes automnales, les citations piquées à la volée, comme des gifles. C'était aussi amusant d'observer le visage des déserteurs qui s’échappaient dans l'ombre, par petits groupes ou courageusement seuls, exaspérés par le spectacle. Il y avait également ceux qui soupiraient en regardant leur montre, comme pour signifier leur empressement et prétexter d’un geste agacé l’urgence d'un rendez-vous. La salle se transforma rapidement en un théâtre exposant tout à la fois le désastre et la magie du cinéma. Nous ne fûmes plus que quelques uns lorsque la lumière réapparut, à peu près une dizaine. Un ou deux spectateurs s’étaient appremment endormis, d'autres avaient pris le parti de rester jusqu’au bout, de suivre ou de comprendre ou parce qu’ils avaient payé leur entrée. D’autres plus navrant encore étaient restés par snobisme, non par égard au maître, mais aux petits cercles bourgeois dont ils faisaient partie. Je fus d'ailleurs stupéfait d’apprendre que le fait de rester et « de ne pas lâcher prise » ne correspondait pas à de l’intérêt, mais plutôt à un acte insidieux de "résistance" qui désignait une forme de discrimination sociale et intellectuelle… Reconnaissons le mérite indéniable de Jean-Luc Godard: celui de nous révéler ce précieux ridicule, chèrement acquis.
J’ai relevé cette phrase magnifique dans la presse, que je vous livre telle quelle :
"Il y a un non sens absurde dans cette authentique quête de sens…"
Magnifique, non?
Vive Godard! Vive la Suisse Libre!
Y-
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